Tranche-cul, ça claque et c’est violent; ça fait rire, oui, mais en grinçant sérieusement des dents. Au commencement, il y a une placière qui lit un discours de Gandhi qu’un individu juge suffisamment ennuyeux pour le lui arracher des mains. Une vanne est alors ouverte et c’est le début du carnage… Les comédiens, répartis dans les gradins parmi les spectateurs, nous haranguent chacun à leur tour dans des tirades péremptoires et cassantes; des individus ordinaires qui déversent leur fiel gratuitement, par aigreur, ressentiment, pour passer leurs nerfs, persuadés d’avoir raison et fièrement drapés dans leur droit à l’opinion. Inutile de dire que les sophismes sont légion.
Dire à l’autre tout le mal que l’on pense de lui, le rabaisser, jouir de sa détresse, faire tout ce qui est humainement possible pour ne pas éprouver soi-même la désagréable sensation d’être un loser… Car c’est bien comme cela que fonctionne notre monde dichotomique, n’est-ce pas? Les winners d’un bord, les losers de l’autre. Racistes, misogynes, partisans fervents du capitalisme sauvage, égoïstes, narcissiques, eugénistes mêmes, les personnages justifient leurs lamentables discours par une interprétation toute personnelle de la théorie de l’évolution, incarnant l’état de nature tel que décrit par Hobbes. « C’est nous ou c’est eux », dira l’un d’eux. Simple, non?
Par ces monologues qui prennent racine dans des thématiques d’actualité (accès aux soins de santé, émissions télévisées de motivation de soi, accès à l’emploi difficile, mondialisation…) et se reçoivent comme une claque au visage, Jean-Philippe Baril Guérard pose des questions essentielles : jusqu’où peut aller la liberté d’expression, quand une opinion devient-elle incitation à la haine, la violence intime est-elle plus acceptable que la violence publique, la violence psychologique plus acceptable que la violence physique? Il nous donne aussi un aperçu terrifiant de la façon dont se déploie une pensée pervertie par les raccourcis intellectuels.
Si les textes sont inégaux, il n’en reste pas moins que l’ensemble fait mouche et nous laisse avec le triste sentiment de vivre dans un monde sans pitié. La mise en scène, également signée Baril Guérard, contribue au malaise en divisant le public en deux groupes qui se font face, sous un éclairage permettant d’étudier les visages des agresseurs verbaux aussi bien que des agressés. Les scènes, brutes et crues, s’enchaînent sans transition, dans un crescendo de cruauté mentale qui engloutit le spectateur. Difficile de ne pas penser à ces tribunes radiophoniques et électroniques où chacun déverse des insanités sans un soupçon d’autocensure. En ce moment, au lieu de dissimuler leur bassesse derrière un pseudonyme, les trolls s’affichent à Espace libre.
Texte et mise en scène de Jean-Philippe Baril Guérard. Une production du Théâtre En Petites Coupures. À Espace Libre jusqu’au 20 décembre 2014.
Tranche-cul, ça claque et c’est violent; ça fait rire, oui, mais en grinçant sérieusement des dents. Au commencement, il y a une placière qui lit un discours de Gandhi qu’un individu juge suffisamment ennuyeux pour le lui arracher des mains. Une vanne est alors ouverte et c’est le début du carnage… Les comédiens, répartis dans les gradins parmi les spectateurs, nous haranguent chacun à leur tour dans des tirades péremptoires et cassantes; des individus ordinaires qui déversent leur fiel gratuitement, par aigreur, ressentiment, pour passer leurs nerfs, persuadés d’avoir raison et fièrement drapés dans leur droit à l’opinion. Inutile de dire que les sophismes sont légion.
Dire à l’autre tout le mal que l’on pense de lui, le rabaisser, jouir de sa détresse, faire tout ce qui est humainement possible pour ne pas éprouver soi-même la désagréable sensation d’être un loser… Car c’est bien comme cela que fonctionne notre monde dichotomique, n’est-ce pas? Les winners d’un bord, les losers de l’autre. Racistes, misogynes, partisans fervents du capitalisme sauvage, égoïstes, narcissiques, eugénistes mêmes, les personnages justifient leurs lamentables discours par une interprétation toute personnelle de la théorie de l’évolution, incarnant l’état de nature tel que décrit par Hobbes. « C’est nous ou c’est eux », dira l’un d’eux. Simple, non?
Par ces monologues qui prennent racine dans des thématiques d’actualité (accès aux soins de santé, émissions télévisées de motivation de soi, accès à l’emploi difficile, mondialisation…) et se reçoivent comme une claque au visage, Jean-Philippe Baril Guérard pose des questions essentielles : jusqu’où peut aller la liberté d’expression, quand une opinion devient-elle incitation à la haine, la violence intime est-elle plus acceptable que la violence publique, la violence psychologique plus acceptable que la violence physique? Il nous donne aussi un aperçu terrifiant de la façon dont se déploie une pensée pervertie par les raccourcis intellectuels.
Si les textes sont inégaux, il n’en reste pas moins que l’ensemble fait mouche et nous laisse avec le triste sentiment de vivre dans un monde sans pitié. La mise en scène, également signée Baril Guérard, contribue au malaise en divisant le public en deux groupes qui se font face, sous un éclairage permettant d’étudier les visages des agresseurs verbaux aussi bien que des agressés. Les scènes, brutes et crues, s’enchaînent sans transition, dans un crescendo de cruauté mentale qui engloutit le spectateur. Difficile de ne pas penser à ces tribunes radiophoniques et électroniques où chacun déverse des insanités sans un soupçon d’autocensure. En ce moment, au lieu de dissimuler leur bassesse derrière un pseudonyme, les trolls s’affichent à Espace libre.
Tranche-cul
Texte et mise en scène de Jean-Philippe Baril Guérard. Une production du Théâtre En Petites Coupures. À Espace Libre jusqu’au 20 décembre 2014.