Je garde un vif souvenir de cette œuvre mise en scène par Jeanine Beaubien, avec les bouleversants Paul Hébert et Monique Lepage en George et Martha, que j’avais vus à la Poudrière en 1966… Par contre, peu ou pas de souvenir des productions du Théâtre du Rideau Vert en 1988 (avec Monique Spaziani et Raymond Bouchard) et en 2000 (avec Louise Marleau et Raymond Cloutier), les deux fois dans la traduction de Michel Tremblay, dont se sert encore Serge Denoncourt pour cette production de la Compagnie Jean Duceppe. Cette traduction n’est pas sans défauts: un même personnage y passe allégrement du parler québécois («pour l’amour du Christ») au littéraire («Georges, que j’agonis d’injures…»). Comme quoi, dans ce classique contemporain, plus que la prose d’Albee, ce qui compte, c’est un duo d’acteurs bien dirigés. Pour le reste, le texte sulfureux a de quoi agacer. Sur le plan dramaturgique, il est même à la limite du vraisemblable.
Un couple dans la quarantaine avancée règle ses comptes après une soirée trop arrosée chez le père de Martha, recteur d’université de son état. Son George de mari, minable et raté professeur d’histoire subalterne, pas foutu de publier (alors que la règle dans les universités américaines est: «publish or perish»), ne trouve rien de mieux à faire que de se vider le cœur sur sa femme, la mettant toujours au défi de pousser plus loin la cruauté gratuite, la vacherie, la mesquinerie, entre deux verres d’alcool qu’il lui (et se) sert avec une rigueur de métronome. Quant à Martha, elle rivalise en vulgarité, prenant autant que lui plaisir à semer la zizanie dans le jeune couple venu leur rendre visite à… 2h du matin, en tentant de séduire le mari pendant que sa femme vomit dans les toilettes.
Je parlais d’invraisemblance: comment qualifier autrement ces lassantes agressions verbales répétitives, ces incessantes menaces d’aller jusqu’au bout dans le dévoilement des tares de l’adversaire, pour chaque fois accuser le coup d’un geste plus violent qu’on s’y attendait? Et surtout, comment croire à un dénouement où il s’avère que Martha s’était «imaginé» un enfant que George lui a «tué» en faisant croire qu’un télégramme (qu’il a avalé) leur a annoncé sa mort? Était-ce vraiment cet enfant imaginaire qui a pu la bouleverser à ce point? Dès lors, la scène finale où le vieux couple torturé, brisé, se tient tendrement enlacé, comme à bout de forces, laisse perplexe. Cela n’empêche pas tout le public de se lever d’un bond juste après dans une belle unanimité, comme toujours chez Duceppe où les sièges, dit-on, ont des ressorts…!
En voyant l’œuvre encore une fois, me demandant ce qui avait pu justifier son parcours étonnant, tant au théâtre qu’au cinéma, je me suis répété que seuls les acteurs peuvent en être la cause. Il faut en effet qu’ils soient exceptionnels pour s’incruster dans la mémoire. Or ici, Normand D’Amour semble parfois figé en George, presque au neutre sur le plan corporel (même si vocalement, ses réparties sont implacables), tandis que Maude Guérin en Martha manque un peu de vécu. Ses facéties de fillette l’éloignent du personnage vieillissant, rongé par l’alcool et les désillusions. Bref, on ne voit pas vraiment le «marécage» dans lequel le couple s’enfonce inexorablement. Les deux autres personnages cependant sont plus convaincants: Kim Despatis et François-Xavier Dufour, dans les rôles de faire-valoir du couple infernal, drôles et pitoyables, s’avèrent d’une innocence touchante.
Cependant, je dois dire que présenter cette pièce exigeante chez Duceppe constitue tout de même un tour de force. À la Poudrière il y a 49 ans, la salle (un long couloir où s’entassaient 300 personnes au maximum) ne laissait qu’un espace réduit au plateau tout au fond, ce qui contribuait à la sensation d’étouffement du huis clos. Cette fois, sur l’immense plateau, on a reconstitué avec minutie un gigantesque salon de George et Martha où, face à une salle de 800 personnes, il faut constamment hurler ses répliques. Malgré ces conditions ingrates, le public est attentif et silencieux tout au long des deux heures trente que dure la représentation. Chapeau. Il reste que dans ma mémoire, le duo Guérin-D’Amour ne surpassera pas Lepage-Hébert.
Texte: Edward Albee. Traduction: Michel Tremblay. Mise en scène: Serge Denoncourt. Scénographie: Guillaume Lord. Costumes: François Barbeau. Éclairages: Étienne Boucher. Son: Nicolas Basque. Accessoires: Normand Blais. Avec Maude Guérin, Normand D’Amour, Kim Despatis et François-Xavier Dufour. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 28 mars 2015.
Je garde un vif souvenir de cette œuvre mise en scène par Jeanine Beaubien, avec les bouleversants Paul Hébert et Monique Lepage en George et Martha, que j’avais vus à la Poudrière en 1966… Par contre, peu ou pas de souvenir des productions du Théâtre du Rideau Vert en 1988 (avec Monique Spaziani et Raymond Bouchard) et en 2000 (avec Louise Marleau et Raymond Cloutier), les deux fois dans la traduction de Michel Tremblay, dont se sert encore Serge Denoncourt pour cette production de la Compagnie Jean Duceppe. Cette traduction n’est pas sans défauts: un même personnage y passe allégrement du parler québécois («pour l’amour du Christ») au littéraire («Georges, que j’agonis d’injures…»). Comme quoi, dans ce classique contemporain, plus que la prose d’Albee, ce qui compte, c’est un duo d’acteurs bien dirigés. Pour le reste, le texte sulfureux a de quoi agacer. Sur le plan dramaturgique, il est même à la limite du vraisemblable.
Un couple dans la quarantaine avancée règle ses comptes après une soirée trop arrosée chez le père de Martha, recteur d’université de son état. Son George de mari, minable et raté professeur d’histoire subalterne, pas foutu de publier (alors que la règle dans les universités américaines est: «publish or perish»), ne trouve rien de mieux à faire que de se vider le cœur sur sa femme, la mettant toujours au défi de pousser plus loin la cruauté gratuite, la vacherie, la mesquinerie, entre deux verres d’alcool qu’il lui (et se) sert avec une rigueur de métronome. Quant à Martha, elle rivalise en vulgarité, prenant autant que lui plaisir à semer la zizanie dans le jeune couple venu leur rendre visite à… 2h du matin, en tentant de séduire le mari pendant que sa femme vomit dans les toilettes.
Je parlais d’invraisemblance: comment qualifier autrement ces lassantes agressions verbales répétitives, ces incessantes menaces d’aller jusqu’au bout dans le dévoilement des tares de l’adversaire, pour chaque fois accuser le coup d’un geste plus violent qu’on s’y attendait? Et surtout, comment croire à un dénouement où il s’avère que Martha s’était «imaginé» un enfant que George lui a «tué» en faisant croire qu’un télégramme (qu’il a avalé) leur a annoncé sa mort? Était-ce vraiment cet enfant imaginaire qui a pu la bouleverser à ce point? Dès lors, la scène finale où le vieux couple torturé, brisé, se tient tendrement enlacé, comme à bout de forces, laisse perplexe. Cela n’empêche pas tout le public de se lever d’un bond juste après dans une belle unanimité, comme toujours chez Duceppe où les sièges, dit-on, ont des ressorts…!
En voyant l’œuvre encore une fois, me demandant ce qui avait pu justifier son parcours étonnant, tant au théâtre qu’au cinéma, je me suis répété que seuls les acteurs peuvent en être la cause. Il faut en effet qu’ils soient exceptionnels pour s’incruster dans la mémoire. Or ici, Normand D’Amour semble parfois figé en George, presque au neutre sur le plan corporel (même si vocalement, ses réparties sont implacables), tandis que Maude Guérin en Martha manque un peu de vécu. Ses facéties de fillette l’éloignent du personnage vieillissant, rongé par l’alcool et les désillusions. Bref, on ne voit pas vraiment le «marécage» dans lequel le couple s’enfonce inexorablement. Les deux autres personnages cependant sont plus convaincants: Kim Despatis et François-Xavier Dufour, dans les rôles de faire-valoir du couple infernal, drôles et pitoyables, s’avèrent d’une innocence touchante.
Cependant, je dois dire que présenter cette pièce exigeante chez Duceppe constitue tout de même un tour de force. À la Poudrière il y a 49 ans, la salle (un long couloir où s’entassaient 300 personnes au maximum) ne laissait qu’un espace réduit au plateau tout au fond, ce qui contribuait à la sensation d’étouffement du huis clos. Cette fois, sur l’immense plateau, on a reconstitué avec minutie un gigantesque salon de George et Martha où, face à une salle de 800 personnes, il faut constamment hurler ses répliques. Malgré ces conditions ingrates, le public est attentif et silencieux tout au long des deux heures trente que dure la représentation. Chapeau. Il reste que dans ma mémoire, le duo Guérin-D’Amour ne surpassera pas Lepage-Hébert.
Qui a peur de Virginia Woolf?
Texte: Edward Albee. Traduction: Michel Tremblay. Mise en scène: Serge Denoncourt. Scénographie: Guillaume Lord. Costumes: François Barbeau. Éclairages: Étienne Boucher. Son: Nicolas Basque. Accessoires: Normand Blais. Avec Maude Guérin, Normand D’Amour, Kim Despatis et François-Xavier Dufour. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 28 mars 2015.