Critiques

Débris : Instinct de survie

Suite à une collision entre un autobus et un camion, qui a fait plusieurs victimes et les manchettes des journaux, Daniel (Maxime Denomée), artiste peintre, tente de survivre avec sa culpabilité, ses remords et sa nouvelle notoriété d’« incassable ». Autre survivante, L.J. (Évelyne Rompré), danseuse nue avant l’accident, a été amputée des deux jambes et se déplace en fauteuil roulant.

Daniel vit avec sa jeune sœur, Steph (Dominique Laniel), qui rêve d’être chanteuse et dont la rencontre avec Karl (Mathieu Quesnel), un type peu recommandable, va donner droit à une scène « sexuellement explicite » assez risible et totalement superflue.

Ne sachant comment faire face à ce choc, Daniel va consulter un psychiatre, Gerry (Roger La Rue) qui va se révéler aussi perturbé que son patient, et bien incapable de l’aider à surmonter son stress post-traumatique.

Au-delà du tableau presque clinique et parfois appuyé des symptômes du complexe du survivant, Débris s’interroge la relation dans le couple et, le moins que l’on puisse dire c’est que le constat qui en est tiré vire au noir foncé.

Entre les deux survivants, Daniel et L.J., le lien est trouble. On sait peu de choses d’eux. Elle a perdu plus que lui, d’objet de désir elle est devenue objet de pitié. Lui, claquemuré dans sa douleur, aveugle et sourd à ce qui l’entoure, s’exprime et se débat sans comprendre ni même entendre la quête de L.J. Cherchant dans la pratique de son art une rédemption impossible, il aboie comme un chien blessé, se cogne contre les murs et fait beaucoup de bruit pour rien. Elle, tout en retenue, reste digne malgré la souffrance qui la gruge. Puisque son traumatisme est visible, par son corps mutilé, on dirait que cela suffit pour le reconnaître. Curieusement, son état de survivante est peu exploré. Comme s’il fallait qu’elle se contente d’avoir survécu, même avec deux jambes en moins.

L’autre couple, formé de Steph et Karl, est dans la même incommunicabilité. Dans le même déséquilibre : l’un aime et l’autre pas. Deux solitudes qui se côtoient et n’ont rien à partager ensemble qu’une poignée d’illusions, de moments disparates de plaisir. La scène où Karl, devant une toile abstraite de Daniel, s’interroge sur la nécessité de l’art est particulièrement réjouissante.

Enfin, le troisième couple, celui que formait Gerry et son épouse récemment disparue, était construit sur un mensonge, a fini dans le mensonge. Survivre, pour le vieux psychiatre, c’est avoir peur de tomber et de ne pas se relever.

Si la mise en scène de Claude Desrosiers (réalisateur de séries télévisées comme Aveux, Les hauts et les bas de Sophie Paquin ou Vice caché), ne recèle pas de grandes trouvailles, la direction d’acteurs est solide. Evelyne Rompré est simplement magnifique, elle fait passer dans un regard ce que le personnage ne dit pas, la solitude, la détresse, l’envie d’aimer. Alors que le texte de Ursula Rani Sarma, auteure écossaise, a braqué le projecteur sur Daniel, ici, c’est Evelyne Rompré qui vole la vedette en composant cette L.J. avec une intensité bouleversante.

En revanche, le désespoir de Maxime Denomée a plus de mal à passer, trop souvent confiné dans le même registre. Il ne faudrait pas abuser de cette baboune séduisante qui lui va si bien… Roger La Rue compose avec élégance un psychiatre intriguant, lui aussi en proie à un dilemme et un deuil improbable. Mathieu Quesnel a le physique de l’emploi pour cette tête-à-claques de Karl, arrogant et fat. Et Dominique Laniel, au jeu plus convenu mais d’une belle candeur, reste tout à fait charmante.

La scénographie d’Olivier Landreville, avec ses débris d’autobus (pneus, volant, pare-brise ) suspendus au-dessus de l’étroit couloir qui sert de scène, ne craint pas pas le pléonasme. Le choix du dispositif bifrontal est judicieux, mais rétrécit considérablement l’aire de jeu, limitant les déplacements et les mouvements des acteurs, et la vision des spectateurs.

Mais, ne serait-ce que pour les beaux yeux d’Évelyne Rompré et sa présence incandescente, ce spectacle vaut un détour par La Licorne.

Débris

Texte de Ursula Rani Sarma. Traduction de Jean Marc Dalpé. Mise en scène de Claude Desrosiers. Une production du Théâtre de la Manufacture. Au Théâtre La Licorne jusqu’au 28 mars 2015