Critiques

Richard III : La volonté d’être

Yves Renaud

On a l’habitude de voir en Richard III, le «prince des ténèbres» shakespearien, le tyran si assoiffé de pouvoir qu’il tue tout ce qui bouge pour accaparer la couronne d’Angleterre. Le Richard III de Sébastien Ricard est certes ce tyran sanguinaire que rien ne semble pouvoir arrêter. En effet, après la mort de son frère, le roi Edouard IV, il n’hésitera pas à comploter pour éliminer son frère Clarence, les enfants du roi et quiconque se trouve sur son chemin pour être roi.

Or voilà peut-être une des clés intéressantes du jeu de Sébastien Ricard: Richard veut être plus qu’il ne veut avoir. Il le déclare d’ailleurs d’emblée: «J’ai décidé de jouer le rôle du grand méchant», annonce-t-il dans sa première adresse au public, devenu par le fait même confident du monstre. Le seul rôle semble-t-il qu’il puisse jouer. Difforme, mal aimé, blessé, il veut être le plus fort, faire mentir les prédictions et malédictions plus qu’il ne veut avoir le pouvoir. Il défiera tout le monde, puisant sa force dans sa solitude. Car il n’a d’autre objectif que l’accomplissement de son propre désir. «Narcissisme pervers», diront plusieurs. Il y a de ça. Et plus encore. La performance de Sébastien Ricard est remarquable à tous les points de vue. Son Richard est tout à la fois retors et hypocrite, intelligent et sournois; séducteur sans être séduisant, il est osé, brutal, et à certains moments presque fragile. Parfois chancelant, il peut laisser deviner quelque faille. Et physiquement, quel exploit!

Brigitte Haentjens signe ici une mise en scène intelligente, limpide. Dès l’apparition des personnages – nombreux –, on sent qu’elle est en contrôle et des personnages, qui avancent lentement, au pas, magnifiques dans leurs costumes sans âge, et de cet espace sobre et imposant à la fois, pensé par Anick La Bissonnière. Quand Richard sort du groupe, comme si celui-ci l’accouchait, on ne peut que voir dans cette image l’idée que ce Richard qui les fera trembler tous est en fait un des leurs. Si Richard est seul en scène, on ne voit que lui et, autour, un grand vide. Quand tous les personnages sont là, on sent, au contraire, comment ils font partie du même monde, comment ils sont des acteurs les uns pour les autres, leurs rôles bien campés dans l’espace. C’est particulièrement troublant, car en fait Richard n’est pas le seul fourbe dans cette galère. Tous ont leurs ambitions, sont prêts à de multiples trahisons, mensonges, compromissions. Lui ne fait qu’exacerber les jeux de puissance. Et il s’agit bien d’un jeu. L’interprétation de Sébastien Ricard le montre très bien. Parfaitement «préparé», son Richard sait très bien où il s’en va. Il l’annonce, le joue, le surjoue, s’en amuse. Tout cela est très shakespearien, un mélange de terreur et de trivial, de tragique et de bouffonnerie. À des moments, on aurait dit Père Ubu! Ce côté baroque de la pièce est d’ailleurs bien intégré dans la traduction de Jean-Marc Dalpé.

Visuellement, ce spectacle est éblouissant: les éclairages superbes magnifient le décor, les costumes colorés et sensuels des femmes soulignent leur différence. Sans pouvoir réel, elles sont objet de convoitise mais se dégage aussi d’elles une force que leur donne leur sens moral. Les scènes entre Richard et les reines sont toutes impressionnantes. Soulignons seulement ici celle avec Élisabeth où Sylvie Drapeau est particulièrement renversante. Mais il faut dire que toute la distribution est à la hauteur dans ce spectacle. On a droit à de grosses pointures: Monique Miller, Louise Laprade, Marc Béland, pour ne mentionner que quelques uns des vingt interprètes. Francis Ducharme, en Richmond, se démarque à la fin dans ces scènes de combat bien chorégraphiées – où d’ailleurs les costumes des combattants uniformisent leur folie guerrière – et surtout dans la confrontation ultime avec Richard, véritable duel animal.

L’absence totale d’empathie pour autrui, les jeux de coulisses pour se hisser au plus haut de l’échelle sociale, les compromis avec le pouvoir pour obtenir toujours plus de lui, bref, l’individualisme élevé au rang de valeur suprême, tels sont les thèmes de Richard III. Voilà pourquoi, l’essayiste Jan Kott, il y a déjà longtemps, disait de Shakespeare qu’il était notre «contemporain». On prend note.

Richard III

Texte: William Shakespeare. Traduction: Jean Marc Dalpé. Mise en scène: Brigitte Haentjens. Dramaturgie: Mélanie Dumont. Avec Sylvio Arriola, Marc Béland, Larissa Corriveau, Sophie Desmarais, Sylvie Drapeau, Francis Ducharme, Maxim Gaudette, Reda Guerinik, Ariel Ifergan, Renaud Lacelle-Bourdon, Louise Laprade, Jean Marchand, Monique Miller, Olivier Morin, Gaétan Nadeau, Étienne Pilon, Hubert Proulx, Sébastien Ricard, Paul Savoie et Emmanuel Schwartz. Une production de Sibyllines. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 4 avril 2015. Au Centre national des Arts du 21 au 25 avril 2015.

Louise Vigeant

À propos de

Docteure en sémiologie théâtrale, elle a été professeure de 1979 à 2011. Membre de la rédaction de JEU (puis rédactrice en chef et directrice) de 1988 à 2003, elle a présidé l’Association québécoise des critiques de théâtre de 1996 à 1999 et, de 2004 à 2007, travaillé à la Délégation générale du Québec à Paris.