Ce n’est pas la première transposition scénique de poésie de la saison théâtrale. Après Nombreux seront nos ennemis, le recueil de Geneviève Desrosiers joué à La Chapelle, et Attentat, un collage de poèmes monté au Quat’sous, il y a eu Splendeur du mobilier russe présenté par le Groupe de poésie moderne à Espace Libre, où l’on peut aussi voir ces jours-ci Collection Printemps-été, un spectacle dans lequel le NTE fait défiler les poèmes. Tungstène de bile, résurgence théâtrale d’un recueil du même titre publié aux Éditions de l’Écrou, collabore à ces échanges entre poésie et art dramatique à l’œuvre sur les scènes cette année.
La petite scène qui soutient Tungstène de bile occupe un coin de la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui. En habitant ce point de vue privilégié, la pièce réussit autant à déployer sa vaste éloquence vers le public qu’à attirer l’attention de ce dernier pour des moments plus discrets. Ces modulations, en donnant un rythme et un souffle au spectacle, affirment sa forme théâtrale, en plus de délester les mots de l’entière responsabilité de la structure de la pièce. Les récits peuvent donc se développer pleinement, servis par l’interprétation précise et festive de Jean-François Nadeau, par les musiques entraînantes de Stéfan Boucher et sa présence aussi ludique qu’autoritaire.
Si le plaisir de jouer avec les événements et les personnages est manifeste, les histoires ne sont pas heureuses pour autant. Les images qui bâtissent les récits allient références inusitées et réflexions drolatiques, mais les trames qu’elles dessinent, malgré le fait qu’elles soient touchantes, tirent vers quelque chose de souvent inquiétant, lugubre ou triste. Les interprètes, avec l’habile renfort de tous les éléments de la conception, gardent actifs ces écarts à l’intérieur de la pièce où tout est double, triple, où tout se détourne et peut dévier.
C’est en partie de cette manière que s’affirme le travail de Nadeau comme poétique, à travers ces ruptures et adéquations entre les images décrites puis illustrées et une langue qui est un paysage autonome en elle-même. Les deux niveaux se nourrissent entre eux, sans trop se complaire dans les décalages. L’écriture et la mise en scène de cet objet ne sont ni une manière de dire les choses avec un accent qui se veut poésie, ni une accumulation d’élans lyriques. Il importe de le souligner.
Tungstène de bile raconte de manière joyeusement dissonante les manies, les victoires et les détresses ordinaires. Les jeux verbeux font éclater le quotidien et bouleversent le banal. Mais au final, les mots se replient un peu sur eux-mêmes. Avec toute son intelligence et sa maîtrise des enjeux scéniques, si Nadeau osait s’aventurer hors du « cachot de [s]a verve », peut-être qu’un peu plus de matière pourrait apparaître et alors la lumière s’imposerait véritablement. Sans penser pour autant que le poète puisse nier les ombres du monde, elles font indéniablement partie de son talent, ainsi que de notre plaisir.
Textes de Jean-François Nadeau. Mise en scène de Jean-François Nadeau et Stéfan Boucher. Une production de La Tourbière. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 4 avril.
Ce n’est pas la première transposition scénique de poésie de la saison théâtrale. Après Nombreux seront nos ennemis, le recueil de Geneviève Desrosiers joué à La Chapelle, et Attentat, un collage de poèmes monté au Quat’sous, il y a eu Splendeur du mobilier russe présenté par le Groupe de poésie moderne à Espace Libre, où l’on peut aussi voir ces jours-ci Collection Printemps-été, un spectacle dans lequel le NTE fait défiler les poèmes. Tungstène de bile, résurgence théâtrale d’un recueil du même titre publié aux Éditions de l’Écrou, collabore à ces échanges entre poésie et art dramatique à l’œuvre sur les scènes cette année.
La petite scène qui soutient Tungstène de bile occupe un coin de la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui. En habitant ce point de vue privilégié, la pièce réussit autant à déployer sa vaste éloquence vers le public qu’à attirer l’attention de ce dernier pour des moments plus discrets. Ces modulations, en donnant un rythme et un souffle au spectacle, affirment sa forme théâtrale, en plus de délester les mots de l’entière responsabilité de la structure de la pièce. Les récits peuvent donc se développer pleinement, servis par l’interprétation précise et festive de Jean-François Nadeau, par les musiques entraînantes de Stéfan Boucher et sa présence aussi ludique qu’autoritaire.
Si le plaisir de jouer avec les événements et les personnages est manifeste, les histoires ne sont pas heureuses pour autant. Les images qui bâtissent les récits allient références inusitées et réflexions drolatiques, mais les trames qu’elles dessinent, malgré le fait qu’elles soient touchantes, tirent vers quelque chose de souvent inquiétant, lugubre ou triste. Les interprètes, avec l’habile renfort de tous les éléments de la conception, gardent actifs ces écarts à l’intérieur de la pièce où tout est double, triple, où tout se détourne et peut dévier.
C’est en partie de cette manière que s’affirme le travail de Nadeau comme poétique, à travers ces ruptures et adéquations entre les images décrites puis illustrées et une langue qui est un paysage autonome en elle-même. Les deux niveaux se nourrissent entre eux, sans trop se complaire dans les décalages. L’écriture et la mise en scène de cet objet ne sont ni une manière de dire les choses avec un accent qui se veut poésie, ni une accumulation d’élans lyriques. Il importe de le souligner.
Tungstène de bile raconte de manière joyeusement dissonante les manies, les victoires et les détresses ordinaires. Les jeux verbeux font éclater le quotidien et bouleversent le banal. Mais au final, les mots se replient un peu sur eux-mêmes. Avec toute son intelligence et sa maîtrise des enjeux scéniques, si Nadeau osait s’aventurer hors du « cachot de [s]a verve », peut-être qu’un peu plus de matière pourrait apparaître et alors la lumière s’imposerait véritablement. Sans penser pour autant que le poète puisse nier les ombres du monde, elles font indéniablement partie de son talent, ainsi que de notre plaisir.
Tungstène de bile
Textes de Jean-François Nadeau. Mise en scène de Jean-François Nadeau et Stéfan Boucher. Une production de La Tourbière. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 4 avril.