En France, la grosse Laura Cadieux n’est pas une star. Pas plus que la radine Germaine Lauzon, la nostalgique Manon ou encore la vieille Albertine. Les héroïnes tremblayennes n’y sont pas non plus de parfaites inconnues : en cherchant bien, on finit par les trouver. Depuis un an, la Laura Cadieux qu’interprète Cécile Magnet dans une mise en scène de Christian Bordeleau a croisé la route de bien des spectateurs hexagonaux. Et c’est un bonheur.
Installé en France depuis 25 ans, Christian Bordeleau sait donner à la langue de Michel Tremblay l’espace et les corps qu’il lui faut. Créée lors du Off d’Avignon 2013, son adaptation du roman C’t’à ton tour, Laura Cadieux ! s’apprête à retrouver la cité des papes après être passé par L’Archipel à Paris et le Théâtre de Lenche à Marseille.
Seule sur un plateau garni d’une unique chaise en bois, la comédienne française Cécile Magnet manie le joual inventif de Michel Tremblay avec truculence et délicatesse. Sans chercher à imiter précisément l’accent québécois, elle s’empare de la langue très imagée de l’auteur comme on le ferait d’une langue inconnue mais immédiatement comprise.
Dans sa bouche, les jurons de Laura Cadieux sont d’ici et d’ailleurs. Ils vivent, frétillent autant que le corps de la comédienne généreusement amplifié par la costumière Sylvie Blondeau. Car Laura Cadieux est grosse. Si grosse que la ville est pour elle semée d’embûches. Que chaque sortie se transforme en épopée à la géographie limitée – l’action se situe en grande partie dans le cabinet d’un « génie-coyole » – mais à la langue dégourdie, experte dans les ragots et dans le slalom entre québécismes et néologismes.
Cécile Magnet était déjà la Marie-Lou de Christian Bordeleau dans sa première mise en scène de Michel Tremblay, en 2011. La drôlerie pathétique des personnages féminins de Tremblay ne lui est donc pas inconnue. La belle tournée de ce À toi pour toujours, ta Marie-Lou ! (qui sera aussi en Avignon, au Collège de la Salle, du 4 au 26 juillet à 14 h) où elle partageait la scène avec trois autres comédiens – Yves Collignon, Marie Mainchin et Sophie Parel – lui a permis de s’imprégner suffisamment de l’univers pour l’incarner tout entier sur scène, non seulement à travers l’obèse personnage éponyme, mais aussi en quittant régulièrement ce rôle pour faire entendre la voix de personnages secondaires.
Celle de Madame Therrien d’abord, qui au début de la pièce part à la recherche du fils de Laura Cadieux, sa meilleure amie, égaré dans le métro. Lors de son récit de l’attente chez le médecin, Cécile Magnet, toujours engoncée dans son costume de Laura Cadieux, adopte tous types de voix pour figurer le cercle des « éternelles », patientes du « génie-coloye » qui se retrouvent chaque semaine dans la salle d’attente pour se plaindre de la vie et en rire. Grave et éraillée pour souligner le comique de Madame Brouillette, grande amatrice de bandes dessinées avec monstres et vampires, fluette pour porter la peine de la veuve Armande Tardif – la plus grosse des femmes enceintes que Laura Cadieux ait jamais vue –, la voix de la comédienne suggère toutes les nuances de désespoir des petites gens dépeints par Tremblay : l’étouffement dans un carcan familial plein de haine et de lâcheté, les difficultés à joindre les deux bouts et surtout, leur capacité à éloigner la misère par un humour noir et jaune.
Christian Bordeleau et son interprète ont tout saisi de cette force des opprimés tremblayens, de sa résonance avec bien des solitudes contemporaines et de son influence sur le langage, et ils l’expriment avec une tendresse qui se garde bien de lorgner du côté du misérabilisme.
Laura Cadieux rêve d’une vie sans tapis roulants qui vont trop vite et manquent toujours de la faire tomber et ça, ça ne se dit pas avec un langage commun. Ni au Québec ni ailleurs. Ça ne se crie pas non plus sur les toits. Ça se raconte au creux d’une oreille attentive, dans une intimité qui permet les expressions biscornues et les anecdotes impudiques.
Cécile Magnet a l’art de crier les paroles gaillardes de son personnage comme on raconte sa soirée de la veille à un bon ami. Grâce à cette adresse simple et naturelle, elle offre en partage une écriture qu’on aimerait décidément entendre plus souvent sur les scènes françaises.
Texte de Michel Tremblay. Adaptation et mise en scène de Christian Bordeleau. À Avignon, au Théâtre des Corps-Saints, du 4 au 26 juillet, à 18 h 15.
En France, la grosse Laura Cadieux n’est pas une star. Pas plus que la radine Germaine Lauzon, la nostalgique Manon ou encore la vieille Albertine. Les héroïnes tremblayennes n’y sont pas non plus de parfaites inconnues : en cherchant bien, on finit par les trouver. Depuis un an, la Laura Cadieux qu’interprète Cécile Magnet dans une mise en scène de Christian Bordeleau a croisé la route de bien des spectateurs hexagonaux. Et c’est un bonheur.
Installé en France depuis 25 ans, Christian Bordeleau sait donner à la langue de Michel Tremblay l’espace et les corps qu’il lui faut. Créée lors du Off d’Avignon 2013, son adaptation du roman C’t’à ton tour, Laura Cadieux ! s’apprête à retrouver la cité des papes après être passé par L’Archipel à Paris et le Théâtre de Lenche à Marseille.
Seule sur un plateau garni d’une unique chaise en bois, la comédienne française Cécile Magnet manie le joual inventif de Michel Tremblay avec truculence et délicatesse. Sans chercher à imiter précisément l’accent québécois, elle s’empare de la langue très imagée de l’auteur comme on le ferait d’une langue inconnue mais immédiatement comprise.
Dans sa bouche, les jurons de Laura Cadieux sont d’ici et d’ailleurs. Ils vivent, frétillent autant que le corps de la comédienne généreusement amplifié par la costumière Sylvie Blondeau. Car Laura Cadieux est grosse. Si grosse que la ville est pour elle semée d’embûches. Que chaque sortie se transforme en épopée à la géographie limitée – l’action se situe en grande partie dans le cabinet d’un « génie-coyole » – mais à la langue dégourdie, experte dans les ragots et dans le slalom entre québécismes et néologismes.
Cécile Magnet était déjà la Marie-Lou de Christian Bordeleau dans sa première mise en scène de Michel Tremblay, en 2011. La drôlerie pathétique des personnages féminins de Tremblay ne lui est donc pas inconnue. La belle tournée de ce À toi pour toujours, ta Marie-Lou ! (qui sera aussi en Avignon, au Collège de la Salle, du 4 au 26 juillet à 14 h) où elle partageait la scène avec trois autres comédiens – Yves Collignon, Marie Mainchin et Sophie Parel – lui a permis de s’imprégner suffisamment de l’univers pour l’incarner tout entier sur scène, non seulement à travers l’obèse personnage éponyme, mais aussi en quittant régulièrement ce rôle pour faire entendre la voix de personnages secondaires.
Celle de Madame Therrien d’abord, qui au début de la pièce part à la recherche du fils de Laura Cadieux, sa meilleure amie, égaré dans le métro. Lors de son récit de l’attente chez le médecin, Cécile Magnet, toujours engoncée dans son costume de Laura Cadieux, adopte tous types de voix pour figurer le cercle des « éternelles », patientes du « génie-coloye » qui se retrouvent chaque semaine dans la salle d’attente pour se plaindre de la vie et en rire. Grave et éraillée pour souligner le comique de Madame Brouillette, grande amatrice de bandes dessinées avec monstres et vampires, fluette pour porter la peine de la veuve Armande Tardif – la plus grosse des femmes enceintes que Laura Cadieux ait jamais vue –, la voix de la comédienne suggère toutes les nuances de désespoir des petites gens dépeints par Tremblay : l’étouffement dans un carcan familial plein de haine et de lâcheté, les difficultés à joindre les deux bouts et surtout, leur capacité à éloigner la misère par un humour noir et jaune.
Christian Bordeleau et son interprète ont tout saisi de cette force des opprimés tremblayens, de sa résonance avec bien des solitudes contemporaines et de son influence sur le langage, et ils l’expriment avec une tendresse qui se garde bien de lorgner du côté du misérabilisme.
Laura Cadieux rêve d’une vie sans tapis roulants qui vont trop vite et manquent toujours de la faire tomber et ça, ça ne se dit pas avec un langage commun. Ni au Québec ni ailleurs. Ça ne se crie pas non plus sur les toits. Ça se raconte au creux d’une oreille attentive, dans une intimité qui permet les expressions biscornues et les anecdotes impudiques.
Cécile Magnet a l’art de crier les paroles gaillardes de son personnage comme on raconte sa soirée de la veille à un bon ami. Grâce à cette adresse simple et naturelle, elle offre en partage une écriture qu’on aimerait décidément entendre plus souvent sur les scènes françaises.
C’t’à ton tour, Laura Cadieux !
Texte de Michel Tremblay. Adaptation et mise en scène de Christian Bordeleau. À Avignon, au Théâtre des Corps-Saints, du 4 au 26 juillet, à 18 h 15.