Molière y reconnaîtrait-il ses petits? Le Tartuffe présenté au FTA par la prestigieuse Schaubühne de Berlin, dans la mise en scène de Michael Thalheimer, s’avère pour le moins décoiffant! L’ajout d’extraits de l’Ancien Testament, avertissements divins aux accents de malédictions lancés avec fureur par des acteurs vociférant, crée un contraste grinçant avec l’univers comique de Molière. Un comique qui prend ici des allures inquiétantes, dans l’outrance du jeu de comédiens épatants.
La scénographie imposante frappe dès l’ouverture: en hauteur sur la scène, un enfoncement carré aux murs peints en doré, entouré d’un cercle qui se révélera plateau tournant (à la verticale), meublé uniquement d’un fauteuil et d’un crucifix, compose le décor, épuré. Dans les moments de grande tension qui se succèdent durant près de deux heures, le décor tourne, un peu, créant le déséquilibre chez les personnages, beaucoup, produisant la panique quand leur monde bascule.
La fable, connue, a été légèrement tordue par le metteur en scène: le richissime Orgon accueille dans sa maison Tartuffe, qui, plutôt qu’un bigot menteur, apparaît comme une sorte de saint, presque ascète dans sa quasi nudité. L’acteur Lars Eidinger, torse nu barbouillé de versets de la Bible, cheveux longs, séduit tour à tour les membres de la famille d’Orgon – tel le visiteur du Théorème de Pasolini – sans même se cacher. Orgon, qui a décidé de mettre en cet homme toute sa confiance, refuse de voir ce que tous les siens tentent de dénoncer en vain.
Autre trouvaille: la servante Dorine, plus âgée que les autres personnages, lucide, en ayant vu et entendu, devient un peu maîtresse du jeu, témoin implacable de ce qui adviendra. Alors que tous les autres, affublés de perruques aux cheveux filasse, maquillés de blanc – heureuse référence aux mises en scène conventionnelles des comédies de Molière –, sont joués de façon grotesque, multipliant cris et simagrées, Dorine demeure sobre, débitant ses répliques sur un ton souvent monotone. C’est elle qui conclura la pièce, signe de l’importance qu’on lui accorde.
En notre époque où fleurissent les extrémismes religieux, le metteur en scène fait un parallèle avec l’époque de l’auteur, où les ecclésiastiques intégristes voulaient imposer leur pouvoir politique par une foi de façade. Sa lecture radicale donne des passages irrésistibles, telle la scène fameuse où le vieux Orgon se cache sous une table pour surprendre Tartuffe séduisant son épouse: ici, pas de cachette, Orgon assiste à la scène du haut de son fauteuil dans les airs, tous les autres personnages soi-disant «cachés» le long du mur, en position de prière musulmane, derrières relevés alignés côté jardin… Ailleurs, après avoir mis la main sous sa jupe, Tartuffe ordonne à la vieille Dorine, qui n’inspire plus de désir à quiconque depuis des lustres… de porter le foulard!
Lorsque Tartuffe, fait héritier d’Orgon à l’encontre de tous, devient maître de la maison et leur demande de partir, le décor tourne, tourne, chacun hurlant, pleurant, se lamentant. Orgon s’écrie: «Mon Dieu! Mon Dieu! J’ai vu de mes propres yeux. Savez-vous ce que ʺvoirʺ signifie?» Mais il est trop tard. Monsieur Loyal, un huissier affublé de tics nerveux, possédé tel un démon, vient prendre possession des lieux au nom de Tartuffe, dans une scène d’une drôlerie mémorable. Sa sortie de scène lui mérite d’ailleurs une salve d’applaudissements.
À la fin, une clameur enthousiaste monte de la salle spontanément, devant ce spectacle d’une grande maîtrise. Oui, Molière pourfend encore l’hypocrisie, qu’elle soit religieuse ou politique!
D’après Molière. Mise en scène: Michael Thalheimer. Une production de la Schaubühne. À la salle Ludger-Duvernay du Monument-National, à l’occasion du FTA, jusqu’au 24 mai 2015.
Molière y reconnaîtrait-il ses petits? Le Tartuffe présenté au FTA par la prestigieuse Schaubühne de Berlin, dans la mise en scène de Michael Thalheimer, s’avère pour le moins décoiffant! L’ajout d’extraits de l’Ancien Testament, avertissements divins aux accents de malédictions lancés avec fureur par des acteurs vociférant, crée un contraste grinçant avec l’univers comique de Molière. Un comique qui prend ici des allures inquiétantes, dans l’outrance du jeu de comédiens épatants.
La scénographie imposante frappe dès l’ouverture: en hauteur sur la scène, un enfoncement carré aux murs peints en doré, entouré d’un cercle qui se révélera plateau tournant (à la verticale), meublé uniquement d’un fauteuil et d’un crucifix, compose le décor, épuré. Dans les moments de grande tension qui se succèdent durant près de deux heures, le décor tourne, un peu, créant le déséquilibre chez les personnages, beaucoup, produisant la panique quand leur monde bascule.
La fable, connue, a été légèrement tordue par le metteur en scène: le richissime Orgon accueille dans sa maison Tartuffe, qui, plutôt qu’un bigot menteur, apparaît comme une sorte de saint, presque ascète dans sa quasi nudité. L’acteur Lars Eidinger, torse nu barbouillé de versets de la Bible, cheveux longs, séduit tour à tour les membres de la famille d’Orgon – tel le visiteur du Théorème de Pasolini – sans même se cacher. Orgon, qui a décidé de mettre en cet homme toute sa confiance, refuse de voir ce que tous les siens tentent de dénoncer en vain.
Autre trouvaille: la servante Dorine, plus âgée que les autres personnages, lucide, en ayant vu et entendu, devient un peu maîtresse du jeu, témoin implacable de ce qui adviendra. Alors que tous les autres, affublés de perruques aux cheveux filasse, maquillés de blanc – heureuse référence aux mises en scène conventionnelles des comédies de Molière –, sont joués de façon grotesque, multipliant cris et simagrées, Dorine demeure sobre, débitant ses répliques sur un ton souvent monotone. C’est elle qui conclura la pièce, signe de l’importance qu’on lui accorde.
En notre époque où fleurissent les extrémismes religieux, le metteur en scène fait un parallèle avec l’époque de l’auteur, où les ecclésiastiques intégristes voulaient imposer leur pouvoir politique par une foi de façade. Sa lecture radicale donne des passages irrésistibles, telle la scène fameuse où le vieux Orgon se cache sous une table pour surprendre Tartuffe séduisant son épouse: ici, pas de cachette, Orgon assiste à la scène du haut de son fauteuil dans les airs, tous les autres personnages soi-disant «cachés» le long du mur, en position de prière musulmane, derrières relevés alignés côté jardin… Ailleurs, après avoir mis la main sous sa jupe, Tartuffe ordonne à la vieille Dorine, qui n’inspire plus de désir à quiconque depuis des lustres… de porter le foulard!
Lorsque Tartuffe, fait héritier d’Orgon à l’encontre de tous, devient maître de la maison et leur demande de partir, le décor tourne, tourne, chacun hurlant, pleurant, se lamentant. Orgon s’écrie: «Mon Dieu! Mon Dieu! J’ai vu de mes propres yeux. Savez-vous ce que ʺvoirʺ signifie?» Mais il est trop tard. Monsieur Loyal, un huissier affublé de tics nerveux, possédé tel un démon, vient prendre possession des lieux au nom de Tartuffe, dans une scène d’une drôlerie mémorable. Sa sortie de scène lui mérite d’ailleurs une salve d’applaudissements.
À la fin, une clameur enthousiaste monte de la salle spontanément, devant ce spectacle d’une grande maîtrise. Oui, Molière pourfend encore l’hypocrisie, qu’elle soit religieuse ou politique!
Tartuffe
D’après Molière. Mise en scène: Michael Thalheimer. Une production de la Schaubühne. À la salle Ludger-Duvernay du Monument-National, à l’occasion du FTA, jusqu’au 24 mai 2015.