Alain Platel et les Ballets C de la B sont un peu les enfants chéris des Québécois et chacune de leur visite est un événement. Ce nouveau passage ne fera que renforcer l’engouement du public pour la compagnie.
Tauber Bach, traduit littéralement de l’allemand, veut dire : musique de Bach chantée par des sourds. Dans Tauberbach, on retrouve les obsessions de Platel : la musique de Bach, le langage, le propos sur les exclus de la société. Orthopédagogue de formation, Platel a étudié la langue des signes, a travaillé avec des enfants handicapés et autistes, et reste persuadé qu’il existe d’autres moyens de communiquer que le langage.
« Comment (sur)vivre avec dignité quand il nous reste très peu ? » Platel s’est inspiré du documentaire Estamira, réalisé par Marcos Prado en 2004, qui trace le portrait d’une femme vivant dans une décharge près de Rio de Janeiro ; schizophrène, elle s’est inventée une langue et dit communiquer avec des forces astrales.
Sur le plateau, des tonnes de vêtements épars évoquent le dépotoir d’Estamira, et plus largement, tous ces endroits souillés, puants, dégueulasses, ces montagnes de déchets, produits d’un gaspillage éhonté. On pense aux décharges à ciel ouvert de l’Inde, où des centaines d’enfants grappillent ce qui peut se récupérer des appareils informatiques au rebut pour le revendre, on pense aux bidonvilles qui poussent comme de la mauvaise herbe aux portes des grandes villes, aux réfugiés parqués dans des camps, au sixième continent, cette île de déchets de plastique au beau milieu de l’océan. On pense à tous les « sans » : abri, domicile, travail, dignité, avenir. Quand il s’agit de la misère, ce ne sont pas les images qui manquent, malheureusement.
De ce monceau de linge multicolore émergent les danseurs. Corps rampants et salis se heurtent et se cherchent, pieds pointés, poignets cassés. On entend une mouche voler. Piochant dans les vêtements, ils s’en affublent, en jouent, parfois avec drôlerie, comme le fait si bien cet étonnant danseur « papillon », ou cet autre qui, d’un t-shirt kaki suggère une mitraillette.
La gestuelle saccadée exprime la violence de l’homme en situation de survie. Il n’y a pas de rencontre possible, seulement la lutte et le désarroi. Il n’y a plus d’humanité, seulement l’instinct animal. Les mains claquent sur la peau nue, les étreintes sont douloureuses et les portés désaxés. Les danseurs, qui semblent possédés, livrent une performance d’une grande générosité. Le langage incompréhensible, proféré par la (remarquable) comédienne Elsie De Brauw, dit mieux que les mots la profondeur de la solitude de cette femme qui vit là, dans cet environnement toxique. Les extraits de Bach chanté par des sourds accentuent encore cette impression de marginalité et de désespérance alors que ceux interprétés à l’accordéon par Richard Galliano surviennent comme un apaisement.
Traversé de quelques traits d’humour bienvenus, à la fois lyrique et saisissant, débridé et parfaitement maitrisé, chaotique et lumineux, Tauberbach est de ces spectacles dont la puissance et la grave beauté nous habitent longtemps.
Tauberbach
Conception et mise en scène : Alain Platel. Une production des Ballets C de la B. Au Monument-National, à l’occasion du FTA, jusqu’au 1er juin 2015 et au Grand Théâtre de Québec, à l’occasion du Carrefour, le 3 juin 2015.
Alain Platel et les Ballets C de la B sont un peu les enfants chéris des Québécois et chacune de leur visite est un événement. Ce nouveau passage ne fera que renforcer l’engouement du public pour la compagnie.
Tauber Bach, traduit littéralement de l’allemand, veut dire : musique de Bach chantée par des sourds. Dans Tauberbach, on retrouve les obsessions de Platel : la musique de Bach, le langage, le propos sur les exclus de la société. Orthopédagogue de formation, Platel a étudié la langue des signes, a travaillé avec des enfants handicapés et autistes, et reste persuadé qu’il existe d’autres moyens de communiquer que le langage.
« Comment (sur)vivre avec dignité quand il nous reste très peu ? » Platel s’est inspiré du documentaire Estamira, réalisé par Marcos Prado en 2004, qui trace le portrait d’une femme vivant dans une décharge près de Rio de Janeiro ; schizophrène, elle s’est inventée une langue et dit communiquer avec des forces astrales.
Sur le plateau, des tonnes de vêtements épars évoquent le dépotoir d’Estamira, et plus largement, tous ces endroits souillés, puants, dégueulasses, ces montagnes de déchets, produits d’un gaspillage éhonté. On pense aux décharges à ciel ouvert de l’Inde, où des centaines d’enfants grappillent ce qui peut se récupérer des appareils informatiques au rebut pour le revendre, on pense aux bidonvilles qui poussent comme de la mauvaise herbe aux portes des grandes villes, aux réfugiés parqués dans des camps, au sixième continent, cette île de déchets de plastique au beau milieu de l’océan. On pense à tous les « sans » : abri, domicile, travail, dignité, avenir. Quand il s’agit de la misère, ce ne sont pas les images qui manquent, malheureusement.
De ce monceau de linge multicolore émergent les danseurs. Corps rampants et salis se heurtent et se cherchent, pieds pointés, poignets cassés. On entend une mouche voler. Piochant dans les vêtements, ils s’en affublent, en jouent, parfois avec drôlerie, comme le fait si bien cet étonnant danseur « papillon », ou cet autre qui, d’un t-shirt kaki suggère une mitraillette.
La gestuelle saccadée exprime la violence de l’homme en situation de survie. Il n’y a pas de rencontre possible, seulement la lutte et le désarroi. Il n’y a plus d’humanité, seulement l’instinct animal. Les mains claquent sur la peau nue, les étreintes sont douloureuses et les portés désaxés. Les danseurs, qui semblent possédés, livrent une performance d’une grande générosité. Le langage incompréhensible, proféré par la (remarquable) comédienne Elsie De Brauw, dit mieux que les mots la profondeur de la solitude de cette femme qui vit là, dans cet environnement toxique. Les extraits de Bach chanté par des sourds accentuent encore cette impression de marginalité et de désespérance alors que ceux interprétés à l’accordéon par Richard Galliano surviennent comme un apaisement.
Traversé de quelques traits d’humour bienvenus, à la fois lyrique et saisissant, débridé et parfaitement maitrisé, chaotique et lumineux, Tauberbach est de ces spectacles dont la puissance et la grave beauté nous habitent longtemps.
Tauberbach
Conception et mise en scène : Alain Platel. Une production des Ballets C de la B. Au Monument-National, à l’occasion du FTA, jusqu’au 1er juin 2015 et au Grand Théâtre de Québec, à l’occasion du Carrefour, le 3 juin 2015.