Auteur, metteur en scène et militant théâtral, lauréat du prix Siminovitch 2014 (l’un des plus prestigieux au Canada), Olivier Choinière nous a habitués aux plus audacieuses propositions. Le voici qui récidive : le spectacle Polyglotte, conçu et mis en scène avec la complicité d’Alexia Bürger et présenté au FTA, mérite le déplacement. Original et nécessaire, le projet d’intégrer dans une production théâtrale des immigrants non-acteurs, résidents du quartier du Théâtre Aux Écuries, se concrétise en une soirée à la fois instructive, politiquement engagée et festive.
L’idée de construire le spectacle autour de la cérémonie d’accueil des nouveaux immigrants et de l’examen pour l’obtention de la citoyenneté canadienne donne lieu à beaucoup de cocasserie et à une ironie parfois féroce. En s’inspirant des cours d’anglais et de conversation française sur disque distribués à grande échelle dans les années 1960-1970, l’équipe a concocté un rituel fort ambigu. Le portrait du Québec, de Montréal, du Canada qui s’en dégage donne à réfléchir à la fois sur notre société en profonde transformation et sur le théâtre qui ne joue pas toujours son rôle.
Aux questions et diktats préenregistrés qui leur sont lancés par un invisible Big Brother, les candidats à la citoyenneté doivent répondre du mieux qu’ils peuvent, avec sincérité mais sans vexer leur pays d’accueil, ce qui ne va pas toujours de soi… Ils sont neuf, venus d’Iran, d’Inde, d’Égypte, du Mexique, de Colombie, d’Haïti ou de France, hommes et femmes aux histoires parsemées d’épreuves, aujourd’hui bien intégrés, parlant français ou anglais. Chacun s’avance au moment où des anecdotes personnelles, véridiques, sont diffusées dans les haut-parleurs. Ces petits récits donnent, grâce à leur ton de vérité, un visage concret à l’immigration.
Les interventions ridicules de la voix canadienne – « L’habitude de fumer a conduit notre nation au bord du désastre », « Montrez votre bonne volonté », « Le hockey n’est pas un jeu de filles » –, mises en parallèle avec les beaux discours des politiciens, créent un contraste irrésistible avec la réalité de ces gens. Non seulement doivent-ils se démener pour assurer leur survie, acculés aux emplois les plus dégradants parce qu’on ne reconnaît pas leurs compétences, mais aussi pour comprendre cette société schizophrénique, de double culture, aux velléités politiques, aux deux gouvernements sous la tutelle de la reine d’Angleterre, véritable chef de l’État canadien.
Elizabeth II, égérie de notre premier ministre, se fait d’ailleurs très présente dans ce cérémonial détourné, qui se déroule dans un bilinguisme systématique, pas toujours fidèle… Par un habile jeu de projection sur de grands panneaux servant d’écrans, qu’on déplace à volonté, et de surtitres un peu lacunaires, les metteurs en scène ont su créer des scènes d’une grande efficacité.
La maison en bois rond des nouveaux arrivants, avec une fenêtre donnant sur une manif violemment réprimée, le Ô Canada chanté en chœur un soir de hockey, avec la voix de Ginette Reno déformée par le ralenti, les images tirées d’Unité 9, Ève Landry et François Papineau cherchant à énumérer les provinces canadiennes à la place des candidats, sont proprement hilarantes. De même, le passage où les immigrants doivent lire les jurons qui s’inscrivent à l’écran : marde – mangeux – ostie… donnant finalement : « Les osties de gratteux de guitare, toute des osties de carrés rouges de mangeux de marde ! », célèbre citation qui en amène d’autres, fameuses, de nos dirigeants actuels ou passés, de Bolduc à La-La Tremblay.
Les non-acteurs se sont bien investis dans ce projet somme toute très politique. Cela fait du bien de voir ces gens que l’on croise tous les jours dans les rues, les métros ou ailleurs, enfin sur la scène, prenant la parole ou du moins endossant cette parole révélatrice. Ce qui est plus étonnant, c’est de voir le public se lever et porter allégeance à la Reine et à ses descendants!
Texte et montage d’Olivier Choinière. Mise en scène d’Olivier Choinière et Alexia Bürger. Une production de L’Activité. Présenté dans le cadre du FTA au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 4 juin 2015.
Auteur, metteur en scène et militant théâtral, lauréat du prix Siminovitch 2014 (l’un des plus prestigieux au Canada), Olivier Choinière nous a habitués aux plus audacieuses propositions. Le voici qui récidive : le spectacle Polyglotte, conçu et mis en scène avec la complicité d’Alexia Bürger et présenté au FTA, mérite le déplacement. Original et nécessaire, le projet d’intégrer dans une production théâtrale des immigrants non-acteurs, résidents du quartier du Théâtre Aux Écuries, se concrétise en une soirée à la fois instructive, politiquement engagée et festive.
L’idée de construire le spectacle autour de la cérémonie d’accueil des nouveaux immigrants et de l’examen pour l’obtention de la citoyenneté canadienne donne lieu à beaucoup de cocasserie et à une ironie parfois féroce. En s’inspirant des cours d’anglais et de conversation française sur disque distribués à grande échelle dans les années 1960-1970, l’équipe a concocté un rituel fort ambigu. Le portrait du Québec, de Montréal, du Canada qui s’en dégage donne à réfléchir à la fois sur notre société en profonde transformation et sur le théâtre qui ne joue pas toujours son rôle.
Aux questions et diktats préenregistrés qui leur sont lancés par un invisible Big Brother, les candidats à la citoyenneté doivent répondre du mieux qu’ils peuvent, avec sincérité mais sans vexer leur pays d’accueil, ce qui ne va pas toujours de soi… Ils sont neuf, venus d’Iran, d’Inde, d’Égypte, du Mexique, de Colombie, d’Haïti ou de France, hommes et femmes aux histoires parsemées d’épreuves, aujourd’hui bien intégrés, parlant français ou anglais. Chacun s’avance au moment où des anecdotes personnelles, véridiques, sont diffusées dans les haut-parleurs. Ces petits récits donnent, grâce à leur ton de vérité, un visage concret à l’immigration.
Les interventions ridicules de la voix canadienne – « L’habitude de fumer a conduit notre nation au bord du désastre », « Montrez votre bonne volonté », « Le hockey n’est pas un jeu de filles » –, mises en parallèle avec les beaux discours des politiciens, créent un contraste irrésistible avec la réalité de ces gens. Non seulement doivent-ils se démener pour assurer leur survie, acculés aux emplois les plus dégradants parce qu’on ne reconnaît pas leurs compétences, mais aussi pour comprendre cette société schizophrénique, de double culture, aux velléités politiques, aux deux gouvernements sous la tutelle de la reine d’Angleterre, véritable chef de l’État canadien.
Elizabeth II, égérie de notre premier ministre, se fait d’ailleurs très présente dans ce cérémonial détourné, qui se déroule dans un bilinguisme systématique, pas toujours fidèle… Par un habile jeu de projection sur de grands panneaux servant d’écrans, qu’on déplace à volonté, et de surtitres un peu lacunaires, les metteurs en scène ont su créer des scènes d’une grande efficacité.
La maison en bois rond des nouveaux arrivants, avec une fenêtre donnant sur une manif violemment réprimée, le Ô Canada chanté en chœur un soir de hockey, avec la voix de Ginette Reno déformée par le ralenti, les images tirées d’Unité 9, Ève Landry et François Papineau cherchant à énumérer les provinces canadiennes à la place des candidats, sont proprement hilarantes. De même, le passage où les immigrants doivent lire les jurons qui s’inscrivent à l’écran : marde – mangeux – ostie… donnant finalement : « Les osties de gratteux de guitare, toute des osties de carrés rouges de mangeux de marde ! », célèbre citation qui en amène d’autres, fameuses, de nos dirigeants actuels ou passés, de Bolduc à La-La Tremblay.
Les non-acteurs se sont bien investis dans ce projet somme toute très politique. Cela fait du bien de voir ces gens que l’on croise tous les jours dans les rues, les métros ou ailleurs, enfin sur la scène, prenant la parole ou du moins endossant cette parole révélatrice. Ce qui est plus étonnant, c’est de voir le public se lever et porter allégeance à la Reine et à ses descendants!
Polyglotte
Texte et montage d’Olivier Choinière. Mise en scène d’Olivier Choinière et Alexia Bürger. Une production de L’Activité. Présenté dans le cadre du FTA au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 4 juin 2015.