Critiques

My Dinner with André : Le dernier mot

My Dinner with André, dialogue écrit pour les planches par André Grégory et Wallace Shawn, puis porté à l’écran par Louis Malle en 1981, n’est pas des plus digestes. Avec les interprètes flamands Peter Van den Eede et Damiaan De Schrijver, c’est tout autre chose.

Deux amis d’antan, un dramaturge et un metteur en scène, se rencontrent dans un chic restaurant et se racontent leur vie. Ou plutôt, c’est André qui raconte. Car dès le départ, il s’empare de la conversation, exposant ses expériences et ses rencontres comme des trophées ; Wally se délecte plutôt du repas gargantuesque que leur servent les chefs Louis Trudeau et Thania Goyette du Pied Bleu — ce qui provoque d’ailleurs des moments délectables, les comédiens improvisant avec leurs hôtes, qui vont et viennent entre la table au centre de la scène et leurs fourneaux, bien visibles à l’arrière.

Les tirades d’André, interminables, pourraient nous ennuyer. La représentation fait 3h30, sans entracte — la direction du Carrefour a le chic de prendre des pincettes pour nous l’annoncer. Condescendant, il se gargarise de mots, à coup d’anecdotes racontées dans le détail, comme si le moindre oubli devait empêcher la discussion d’avancer. Notre irritation monterait, si Wally n’y allait pas de railleries désopilantes devant tant d’exactitude et de longueur. Des pointes placées toujours au bon moment.

C’est de cette dérision que provient d’ailleurs l’une des plus grandes joies de la pièce. Van den Eede et De Schrijver (surtout ce dernier, qui campe un Wally rougeaud et fort en bouche, bourré de dérision pour son vis-à-vis) ne se privent d’aucune connivence avec la foule, multipliant les interactions.

Peter Van den Eede incarne pour sa part un André plus ouvertement hautain — plus risible aussi, là où le film de Malle, plus exigeant, le confinait moins au rôle de sac de sable. Truculents, l’un et l’autre déploient cependant un tête-à-tête des plus réjouissants, truffé de pointes l’un à l’autre et de clins d’œil répétés vers l’assistance.

Les deux comédiens ne se formalisent pas, ne se cachent pas qu’ils sont en train de répéter le même texte qu’ils reprendront demain, cassant l’aridité d’un texte par ailleurs dense et verbeux. Ce texte atteint toutefois un autre niveau lorsque, passée la première heure où Wally ne dit presque rien, les répliques commencent à devenir des attaques. Les deux hommes s’opposent sur tout, et nous voyons se multiplier les terrains de mésentente, incertains parfois de savoir pour qui trancher — plus souvent pour Wally.

Il reste des longueurs, certes, mais le public n’est jamais laissé derrière très longtemps. La pièce, soutenue par une réelle connivence, est un festin jouissif.

My Dinner with André

Texte de André Gregory et Wallace Shawn. Mise en scène  et interprétation de Damiaan De Schrijver et Peter Van den Eede. Une production tg STAN et Cie de KOE. Présenté jusqu’au 4 juin 2015 au Théâtre Périscope, dans le cadre du Carrefour international de théâtre.

Simon Lambert

À propos de

Résidant à Québec, Simon Lambert est diplômé de l'Université Laval en philosophie et en littérature. Il collabore à JEU et au Devoir depuis 2015.