Critiques

Fifi Brindacier : Jamais ne sera vaincue

Imaginée en 1945 par la romancière suédoise Astrid Lindgren, Fifi Brindacier est sans contredit l’un des personnages féminins les plus pugnaces de la littérature pour enfants. Peut-être même l’un des plus féministes.

Libre arbitre

Pirate au féminin, vivant seule avec un cheval et un singe, défiant les hommes forts, inscrite à l’école de la vie et peu douée pour les mondanités, Fifi, bien plus qu’Alice et Dorothée, ou même Gretel, remet en question les conventions sociales et les rôles sexuels. À neuf ans, Fifi est, probablement sans le savoir, un parfait exemple d’autodétermination. Pas surprenant que le personnage de Lisbeth Salander, au cœur de la trilogie Millénium, soit ouvertement inspiré de Fifi Brindacier.

Bien entendu, le libre arbitre de Fifi est loin de faire l’unanimité. La plupart de ses contemporains tiennent à ce qu’elle soit encadrée, supervisée, autrement dit placée à l’orphelinat ou adoptée. Il y a les deux policiers, plutôt empotés. Percilla, la présidente du Centre de protection des enfants. Sans parler de l’institutrice, rapidement dépassée par la tornade Fifi. Dans sa quête, notre héroïne peut heureusement compter sur ses deux complices, les jeunes Tommy et Annika.

Manque d’aplomb

Le personnage a beau, sur papier, être fort inspirant, ses aventures ici manquent de rythme, de rebondissements et d’originalité. Ces dernières années, la Roulotte nous habitué à plus de rires, plus d’imagination, plus de fantaisie. Sans parler des clins d’œil aux adultes, qui sont cet été pour ainsi dire inexistants.

Si les aventures de Fifi n’ont pas suffisamment d’aplomb, c’est d’abord une question de dramaturgie, puis fort probablement aussi de mise en scène. Il semble qu’Annie Ranger n’ait pas réussi à construire et déployer un récit qui soit à la hauteur de son héroïne. On s’étonne de voir, dans un spectacle d’une heure, autant de passages à vide, des tableaux qui ne font nullement progresser l’action. Même les chansons, qui sont généralement des moments forts des productions de la Roulotte, tombent souvent à plat.

Il reste que les cinq comédiens sont à la hauteur du défi, à commencer par Sophie Grenier dont la Fifi est truculente. Le père pirate de Maxime Genois est irrésistible. La policière de Mounia Zahzam est si drôle qu’on lui donnerait un spectacle à elle toute seule. Élizabeth Marcoux-Bélair incarne les femmes rigides avec brio. Aurélie Brochu Deschênes est un Tommy fort attachant.

En somme, pour le travail des comédiens, et pour présenter à vos enfants l’inspirante Fifi, un détour par un parc près de chez vous s’impose.

Fifi Brindacier

Texte de Astrid Lindgren, traduit par Gabrielle Rozsaffy. Mise en scène d’Annie Ranger. Une production du Théâtre la Roulotte. Dans les parcs de Montréal, jusqu’au 23 août 2015. Toutes les représentations sont gratuites. Elles sont annulées en cas de pluie.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.