Un bar en région éloignée. Grubi, le gardien du phare, raconte avoir passé la nuit à jouer aux dés avec un homme; ils ont fumé et parlé jusqu’aux petites heures du matin. Bruno, le tenancier, a lui aussi passé la nuit avec le même homme; ils ont joué aux dards, ont fumé, ont parlé… Commencent alors les attaques, chacun accusant l’autre de mentir. Puis on fait un pas : et si c’était le même homme, après tout, et que chacun disait vrai… Mais comment serait-ce possible? On bascule alors dans l’étrange, et l’arrivée de César, le chauffeur de taxi qui a lui aussi passé la nuit avec Madox, conduit à l’escalade.
Le texte (1995) de Matéï Vișniec, auteur d’origine roumaine parmi les plus joués, installe un huis clos de suspicion et de peur. L’auteur a pris des leçons chez son compatriote Ionesco. Ce que révèle la présence de Madox, ici, ce sont des personnages cantonnés dans une vie morne, où l’ennui rôde. Il ne faudrait pas pousser beaucoup pour voir des liens avec nos existences virtuelles et la nécessité de nous façonner une histoire présentable.
Cette considération est de toute façon secondaire. C’est d’ailleurs une des réussites de la pièce, dont le sujet reste non dit et ne peut l’être. On se traite de menteurs à tour de bras, comme si la dernière vérité qui devait être confessée était… passons. La proposition est absurde, et Madox pourrait bien représenter n’importe qui. Chose certaine, cet absurde se transpose de plain-pied dans l’ici et maintenant et provoque de belles résonnances. Le choix de texte de la jeune troupe La Trâlée révèle une acuité du regard.
Partie de la programmation de Premier Acte, Trois nuits avec Madox sort par ailleurs le théâtre du théâtre et s’installe à l’étage de L’Autre Zone, bar d’habitués du quartier Limoilou. L’espace large et sur deux niveaux permet d’intéressants déplacements, et le cachet briques-bois-acier fournit un décor tout indiqué; on est définitivement ailleurs dans ce petit bar isolé en bord de mer isolé.
Si dans l’ensemble certaines répliques peinent ici et là à s’inscrire tout à fait dans la progression du récit, ce qui provoque chez le spectateur quelques décrochages, il faut par ailleurs souligner une bonne performance d’ensemble, dont celle de Nadia Girard, qui se glisse dans la peau de l’excentrique Clara avec un plaisir et des excès contagieux. Le travail sur le texte, fort bien mis en bouche, a été rigoureux; la langue est crédible, c’est la nôtre.
À l’apogée du récit, lorsque les cinq personnages sont réunis dans l’espace restreint du bar, l’atmosphère est lourde et la situation, inextricable. Chacun est à fleur de peau, l’issue est imprévisible; c’est là que s’ouvrent les plus belles possibilités du spectacle. Le spectateur est alors pris à partie, un enjeu est là qui dépasse celui de la seule pièce.
Texte de Matéï Vișniec. Mise en scène de Guillaume Pepin. Une production de La Trâlée. Présenté au bar L’Autre Zone, 1096, 3e avenue, jusqu’au 10 octobre 2015.
Un bar en région éloignée. Grubi, le gardien du phare, raconte avoir passé la nuit à jouer aux dés avec un homme; ils ont fumé et parlé jusqu’aux petites heures du matin. Bruno, le tenancier, a lui aussi passé la nuit avec le même homme; ils ont joué aux dards, ont fumé, ont parlé… Commencent alors les attaques, chacun accusant l’autre de mentir. Puis on fait un pas : et si c’était le même homme, après tout, et que chacun disait vrai… Mais comment serait-ce possible? On bascule alors dans l’étrange, et l’arrivée de César, le chauffeur de taxi qui a lui aussi passé la nuit avec Madox, conduit à l’escalade.
Le texte (1995) de Matéï Vișniec, auteur d’origine roumaine parmi les plus joués, installe un huis clos de suspicion et de peur. L’auteur a pris des leçons chez son compatriote Ionesco. Ce que révèle la présence de Madox, ici, ce sont des personnages cantonnés dans une vie morne, où l’ennui rôde. Il ne faudrait pas pousser beaucoup pour voir des liens avec nos existences virtuelles et la nécessité de nous façonner une histoire présentable.
Cette considération est de toute façon secondaire. C’est d’ailleurs une des réussites de la pièce, dont le sujet reste non dit et ne peut l’être. On se traite de menteurs à tour de bras, comme si la dernière vérité qui devait être confessée était… passons. La proposition est absurde, et Madox pourrait bien représenter n’importe qui. Chose certaine, cet absurde se transpose de plain-pied dans l’ici et maintenant et provoque de belles résonnances. Le choix de texte de la jeune troupe La Trâlée révèle une acuité du regard.
Partie de la programmation de Premier Acte, Trois nuits avec Madox sort par ailleurs le théâtre du théâtre et s’installe à l’étage de L’Autre Zone, bar d’habitués du quartier Limoilou. L’espace large et sur deux niveaux permet d’intéressants déplacements, et le cachet briques-bois-acier fournit un décor tout indiqué; on est définitivement ailleurs dans ce petit bar isolé en bord de mer isolé.
Si dans l’ensemble certaines répliques peinent ici et là à s’inscrire tout à fait dans la progression du récit, ce qui provoque chez le spectateur quelques décrochages, il faut par ailleurs souligner une bonne performance d’ensemble, dont celle de Nadia Girard, qui se glisse dans la peau de l’excentrique Clara avec un plaisir et des excès contagieux. Le travail sur le texte, fort bien mis en bouche, a été rigoureux; la langue est crédible, c’est la nôtre.
À l’apogée du récit, lorsque les cinq personnages sont réunis dans l’espace restreint du bar, l’atmosphère est lourde et la situation, inextricable. Chacun est à fleur de peau, l’issue est imprévisible; c’est là que s’ouvrent les plus belles possibilités du spectacle. Le spectateur est alors pris à partie, un enjeu est là qui dépasse celui de la seule pièce.
Trois nuits avec Madox
Texte de Matéï Vișniec. Mise en scène de Guillaume Pepin. Une production de La Trâlée. Présenté au bar L’Autre Zone, 1096, 3e avenue, jusqu’au 10 octobre 2015.