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Katia Petrowick et Brice Noeser : Important, mais pas sérieux

© Stéphane Najman

À l’image des deux personnages qu’ils incarnent sur scène, c’est une histoire d’amitié qui lie les deux interprètes dirigés par Estelle Clareton dans Tendre. Cette relation amicale constitue le noyau d’une œuvre mêlant de façon surprenante danse contemporaine et art du clown, destinée au jeune public. Tous deux d’origine française, c’est pourtant au Québec que les parcours de Katia Petrowick et Brice Noeser se croisent et que les deux danseurs se lient d’amitié.

Diplômée en danse contemporaine du Conservatoire National Supérieur de Paris, c’est suite à la présentation de son projet de fin d’année dans lequel elle donne vie à une étrange créature que Katia Petrowick se dirige vers l’art du clown et complète une formation au Centre national des arts du cirque. Depuis, elle aime voyager entre la danse et le clown en mettant notamment ses talents bi-disciplinaires au service de Luc Patton dans Swan et de Stéphanie Chêne dans Niaiseuses et Peter, Peter, Pet…er, deux créations qu’elle présente à Montréal en 2006, qui marquent une étape importante dans sa carrière et démontrent son attachement particulier à la scène québécoise.

Le parcours de Brice Noeser est surtout ancré au Québec, où, après avoir finalisé des études en danse contemporaine, il intègre la compagnie le Fils d’Adrien Danse d’Harold Rhéaume, dont il reprendra le rôle solo dans son spectacle jeunesse Variation mécanique au Québec et en France en 2010. Dernièrement, il a travaillé avec des chorégraphes indépendants à Montréal et sous la direction de Danièle Desnoyers dans Paradoxe Mélodie. Le recours à l’humour dans ses collaborations avec Estelle Clareton le conduit aujourd’hui à inclure le clown dans son approche de la danse pour Tendre.

Trois complices

C’est en assistant à une représentation de S’envoler, d’Estelle Clareton, où Brice était interprète en 2010, que Katia a été charmée par l’univers de la chorégraphe montréalaise. La rencontre de ces trois complices conduit à la concrétisation du projet pour jeune public qu’Estelle avait en tête. Pourtant familière avec ce type d’audience, grâce aux créations pour la jeunesse de sa propre compagnie, L’Embellie Musculaire, Katia Petrowick ne se targue pas d’arriver avec un savoir-faire: «Pour chaque nouvelle création, je repars toujours de zéro, précise-t-elle. Nous avons créés à partir d’une page vierge, tous ensemble. Estelle est beaucoup partie de nous, de ce qu’on était, mais aussi de notre lien d’amitié et de notre rencontre.»

Interrogés sur l’influence des regards d’enfants dans l’approche de leur création, les deux interprètes remarquent une certaine spontanéité dans la réception du spectacle. «Nous n’avons pas cherché à faire les enfants sur scène, s’accordent à dire Brice et Katia. Il fallait éviter de surjouer afin de retrouver une part d’enfance véritable, en s’efforçant de garder une part d’innocence. Nous avions en tête une phrase-clé en art du clown: c’est important, mais pas sérieux. Cela symbolise peut-être même l’enfance en fait.»

Sur scène, les personnages qu’ils incarnent sont dotés de plusieurs facettes, ce qui permet d’apporter une certaine complexité à leur relation. «Le personnage de Brice est vraiment touchant parce que, même s’il a envie d’être avec l’autre, il est très psychorigide et ne maîtrise pas tout le temps ses émotions. Il a aussi ses revers et n’est pas toujours tendre. Les deux personnages ne sont pas univoques, ils sont tiraillés et à tour de rôle fragiles, autoritaires, fous.»

Jouer sur l’élasticité des genres

La performance questionne à la fois le rapport à l’autre, mais aussi les codes et les genres. «Nous avons beaucoup joué avec ce qui est habituellement lié au masculin et au féminin, mais aussi avec les codes de la représentation… Qu’est-ce que c’est la danse et est-ce qu’elle peut faire rire? Mais ce n’est pas vraiment appuyé, ça reste très léger, en tout cas il faut que nous gardions cette légèreté», insiste Katia.

Par ailleurs, le défi pour les deux artistes a été de jongler entre deux disciplines: «La rencontre de la danse et du clown a pu parfois me perdre dans la recherche d’une présence sur scène, déclare Brice. Il fallait trouver un moyen de les rassembler dans notre corps et notre interprétation sans que ça se voie sur scène; de faire en sorte que le public ne se demande pas si c’est de la danse ou bien du clown, et surtout de garder le plaisir de jouer.» Et Katia d’ajouter: «C’est aussi une pièce que nous avons reprise après une longue pause, avec le fantasme de tout ce qu’on avait laissé il y a un an, donc pour moi, un des plus gros défis était de retrouver cette fraicheur initiale.»

À l’origine, la pièce avait été conçue avec des marionnettes à l’aspect caoutchouteux, mais trouvant qu’elles prenaient un peu trop de place, Estelle Clareton a décidé d’exploiter le mouvement d’élasticité qui était initialement présent dans le corps des interprètes; d’où, ensuite, l’intégration de l’imposant élastique rouge qui attache les personnages l’un à l’autre. «Ils en sont prisonniers et ne peuvent rien faire l’un sans l’autre, affirme Brice. Cet objet représente à la fois la tension qu’il y a entre eux et un symbole assez clair du lien avec l’autre.»

Aller à la rencontre des enfants

À une semaine de la grande première à Montréal, c’est avec enthousiasme et une complicité palpable que les interprètes partagent les références qui sont venues les influencer dans le processus de création. «On s’est inspirés de l’univers des films de Wes Anderson pour les costumes et la musique, du décalage des chansons de Philippe Catherine, de la maladresse de Mr Bean et du personnage d’animation italien des années 70, La Linéa

Afin d’établir un premier contact avec le public, une série d’ateliers de danse-clown a été offerte par la chorégraphe dans les écoles. «Ces deux dernières semaines, à travers ses rencontres avec les enfants, Estelle a fait tout ce travail avec l’élastique et a expliqué ce que voulait dire Tendre pour qu’ils se familiarisent avec ce qu’ils vont voir sur scène.» Par la suite, au début de l’hiver, Brice poursuivra les ateliers dans certains établissements scolaires au Québec, pour mieux établir une continuité avec le spectacle et renforcer le lien entre la création et les enfants. Un projet que l’équipe compte aussi amener en France l’année prochaine, lors du Festival Méli’môme de Reims.

Tendre

Chorégraphie: Estelle Clareton. Éclairages: Éric Champoux. Musique: Éric Forget. Scénographie, accessoires et costumes: Annie Gélinas. Avec Brice Noeser et Katia Petrowick (ou Audrée Juteau). Une production des Créations Estelle Clareton. À l’Agora de la danse le 7 novembre 2015. Au Centre culturel de Joliette le 24 octobre 2017. À la Salle Georges-Codling du Marché des arts Desjardins (Sorel) du 20 au 22 novembre 2017. Au Théâtre Hector-Charland (L’Assomption) le 4 février 2018. À l’Espace-Théâtre Muni-Spec (Mont-Laurier) les 6 et 7 février 2018. Aux Gros becs, en collaboration avec la Rotonde (Québec), du 20 au 25 février 2018. Au Palace (Granby) le 15 avril 2018. À l’Agora des arts (Rouyn-Noranda) le 1er mai 2018. Au Rift (Ville-Marie) le 3 mai 2018. À la Maison Théâtre du 9 au 27 mai 2018.

Mélanie Carpentier

À propos de

Journaliste spécialisée en danse pour Le Devoir et enseignante de français langue seconde, elle a été membre de la rédaction de JEU de 2017 à 2018.