Impossible d’ignorer que le conte d’Hans Christian Andersen, La Reine des neiges, a fait l’objet d’une adaptation cinématographique ayant déferlé sur le monde en 2013. À l’invitation de la metteure en scène d’Avant la retraite, Catherine Vidal, elle-même approchée par le Théâtre de l’Œil, l’auteur de Robin et Marion, Étienne Lepage, signe une adaptation du conte radicalement différente de celle des studios Disney, Le cœur en hiver.
Heureux comme des enfants pauvres qui ne comprennent pas ce qu’est la misère tant la vie met d’éléments qu’ils apprécient (tels les fleurs, les oiseaux, le soleil) à leur disposition, Kay et Gerda seront spoliés de leur douce félicité quand, en traversant la rue sans manteau lors d’une glaciale journée d’hiver, le petit Kay fera une funeste rencontre. En le convainquant que rien de beau ne dure en ce monde, la Reine des neiges lui offrira de mettre fin à ses souffrances en l’emmenant avec elle dans son royaume. Là, il ne ressentira plus aucune émotion, donc plus de douleurs ni de désillusions. Sa fidèle amie Gerda affrontera moult péripéties pour le libérer de ce paradis artificiel et le ramener à la vie – tel un Orphée aux enfers – avec ce qu’elle comporte de joies et de heurts.
Ce récit d’aventures jouit d’une langue singulière et ludique, de la coexistence de marionnettes de toutes sortes (à gaine, à tige, de type bunraku, etc.) et des interactions de celles-ci avec les hommes et femmes orchestres qui sont à la fois acteurs, manipulateurs et narrateurs. Amusant, inventif et très efficace. Le cœur en hiver arrive même à toucher au grandiose grâce à la fertile symbiose unissant sa scénographie, ses costumes et ses accessoires. Tantôt, un tas d’immondices se transforme en une montage fleurie de laquelle émerge une comédienne campant une magicienne, tantôt un amas de neige s’ouvre pour laisser place à une interprète masquée incarnant une Inuit au sein de son igloo. Ces univers qui se créent et se transforment constamment sous les yeux du spectateur (notamment, grâce à un plateau tournant dont une moitié se trouve toujours derrière le rideau de scène) se révèlent fascinants, voire magiques.
Malgré cette féerie visuelle, la production épouse le parti pris de ne pas bercer son jeune auditoire d’illusions. De manichéisme, il n’y a point et lorsqu’un personnage s’avère odieux, aucun sort, enfance malheureuse ou manque d’amour chronique ne vient justifier sa goujaterie. La rivière se réjouit d’avoir volé et menti à Gerda, la rose prend plaisir à blesser avec ses épines. La vie, bien qu’elle comporte de beaux moments et de belles rencontres, ne sera pas qu’une partie de plaisir, tenons-nous le pour dit. Mais plus audacieux encore, la fin du spectacle, contrairement à la grande majorité des œuvres destinées à un jeune public, est bien loin d’être rose bonbon. Or, ce qui s’avérerait légèrement déstabilisant devient troublant lorsqu’on s’attarde au contenu métaphorique de la pièce.
Un peu comme dans Peter Pan, de J. M. Barrie, avec toutefois un tantinet moins de subtilité, les personnages sont confrontés à un dilemme ontologique: ils peuvent choisir la vie, avec ce qu’elle comprend de vieillissement, de deuils et de souffrances, ou encore la mort, représentée par l’immatérielle Reine des neiges, qui n’est présente sur scène que par une voix et un éclairage amplifiés, tel une déesse maléfique ou encore une conscience plus ou moins schizophrénique pouvant mener qui l’écoute à vouloir mettre un terme définitif à ses tourments.
De nombreux indices mènent à penser que le personnage de la Reine des neiges symbolise la mort. Parmi ceux-ci, mentionnons d’abord qu’on insiste sur le fait que tous les humains sans exception devront, telle une fatalité, rencontrer la souveraine une fois dans leur vie. Ensuite, celle-ci apparaît à ceux qui oscillent entre la vie et la mort et lorsque cela se produit, elle tente de convaincre l’individu agonisant de mettre fin à ses souffrances en la suivant dans son royaume, où rien ne viendra plus troubler sa quiétude. Kay préfèrera ainsi rester dans le palais de glace de la reine plutôt que de retourner avec Gerda affronter les aléas de la vie.
Quoi qu’il en soit, comme Gerda n’a pu sauver son ami, elle doit apprendre à être heureuse sans lui, grâce aux fleurs et au soleil qui la réchauffe, notamment. Belle leçon de résilience, certes, mais il reste à savoir si tous les parents d’enfants de six à dix ans seront à l’aise avec la froide allégorie qui sous-tend ce néanmoins superbe spectacle.
Texte: Étienne Lepage. Mise en scène: Catherine Vidal. Scénographie et marionnettes: Richard Lacroix. Son: Francis Rossignol. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. Avec Nicolas Germain-Marchand, Pierre-Louis Renaud, Estelle Richard et Karine Sauvé. Une production du Théâtre de l’Œil. À la Maison Théâtre jusqu’au 22 novembre 2015. À la Cinquième Salle de le Place des Arts du 28 au 30 décembre 2017. À la Maison des arts de Laval du 28 au 31 janvier 2018. Au Théâtre de la Ville (Longueuil) le 18 février 2018. À la Maison des arts Desjardins (Drumondville) le 26 mars 2018. En tournée grâce au Conseil des arts de Montréal du 20 janvier au 31 mars 2018.
Impossible d’ignorer que le conte d’Hans Christian Andersen, La Reine des neiges, a fait l’objet d’une adaptation cinématographique ayant déferlé sur le monde en 2013. À l’invitation de la metteure en scène d’Avant la retraite, Catherine Vidal, elle-même approchée par le Théâtre de l’Œil, l’auteur de Robin et Marion, Étienne Lepage, signe une adaptation du conte radicalement différente de celle des studios Disney, Le cœur en hiver.
Heureux comme des enfants pauvres qui ne comprennent pas ce qu’est la misère tant la vie met d’éléments qu’ils apprécient (tels les fleurs, les oiseaux, le soleil) à leur disposition, Kay et Gerda seront spoliés de leur douce félicité quand, en traversant la rue sans manteau lors d’une glaciale journée d’hiver, le petit Kay fera une funeste rencontre. En le convainquant que rien de beau ne dure en ce monde, la Reine des neiges lui offrira de mettre fin à ses souffrances en l’emmenant avec elle dans son royaume. Là, il ne ressentira plus aucune émotion, donc plus de douleurs ni de désillusions. Sa fidèle amie Gerda affrontera moult péripéties pour le libérer de ce paradis artificiel et le ramener à la vie – tel un Orphée aux enfers – avec ce qu’elle comporte de joies et de heurts.
Ce récit d’aventures jouit d’une langue singulière et ludique, de la coexistence de marionnettes de toutes sortes (à gaine, à tige, de type bunraku, etc.) et des interactions de celles-ci avec les hommes et femmes orchestres qui sont à la fois acteurs, manipulateurs et narrateurs. Amusant, inventif et très efficace. Le cœur en hiver arrive même à toucher au grandiose grâce à la fertile symbiose unissant sa scénographie, ses costumes et ses accessoires. Tantôt, un tas d’immondices se transforme en une montage fleurie de laquelle émerge une comédienne campant une magicienne, tantôt un amas de neige s’ouvre pour laisser place à une interprète masquée incarnant une Inuit au sein de son igloo. Ces univers qui se créent et se transforment constamment sous les yeux du spectateur (notamment, grâce à un plateau tournant dont une moitié se trouve toujours derrière le rideau de scène) se révèlent fascinants, voire magiques.
Malgré cette féerie visuelle, la production épouse le parti pris de ne pas bercer son jeune auditoire d’illusions. De manichéisme, il n’y a point et lorsqu’un personnage s’avère odieux, aucun sort, enfance malheureuse ou manque d’amour chronique ne vient justifier sa goujaterie. La rivière se réjouit d’avoir volé et menti à Gerda, la rose prend plaisir à blesser avec ses épines. La vie, bien qu’elle comporte de beaux moments et de belles rencontres, ne sera pas qu’une partie de plaisir, tenons-nous le pour dit. Mais plus audacieux encore, la fin du spectacle, contrairement à la grande majorité des œuvres destinées à un jeune public, est bien loin d’être rose bonbon. Or, ce qui s’avérerait légèrement déstabilisant devient troublant lorsqu’on s’attarde au contenu métaphorique de la pièce.
Un peu comme dans Peter Pan, de J. M. Barrie, avec toutefois un tantinet moins de subtilité, les personnages sont confrontés à un dilemme ontologique: ils peuvent choisir la vie, avec ce qu’elle comprend de vieillissement, de deuils et de souffrances, ou encore la mort, représentée par l’immatérielle Reine des neiges, qui n’est présente sur scène que par une voix et un éclairage amplifiés, tel une déesse maléfique ou encore une conscience plus ou moins schizophrénique pouvant mener qui l’écoute à vouloir mettre un terme définitif à ses tourments.
De nombreux indices mènent à penser que le personnage de la Reine des neiges symbolise la mort. Parmi ceux-ci, mentionnons d’abord qu’on insiste sur le fait que tous les humains sans exception devront, telle une fatalité, rencontrer la souveraine une fois dans leur vie. Ensuite, celle-ci apparaît à ceux qui oscillent entre la vie et la mort et lorsque cela se produit, elle tente de convaincre l’individu agonisant de mettre fin à ses souffrances en la suivant dans son royaume, où rien ne viendra plus troubler sa quiétude. Kay préfèrera ainsi rester dans le palais de glace de la reine plutôt que de retourner avec Gerda affronter les aléas de la vie.
Quoi qu’il en soit, comme Gerda n’a pu sauver son ami, elle doit apprendre à être heureuse sans lui, grâce aux fleurs et au soleil qui la réchauffe, notamment. Belle leçon de résilience, certes, mais il reste à savoir si tous les parents d’enfants de six à dix ans seront à l’aise avec la froide allégorie qui sous-tend ce néanmoins superbe spectacle.
Le cœur en hiver
Texte: Étienne Lepage. Mise en scène: Catherine Vidal. Scénographie et marionnettes: Richard Lacroix. Son: Francis Rossignol. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. Avec Nicolas Germain-Marchand, Pierre-Louis Renaud, Estelle Richard et Karine Sauvé. Une production du Théâtre de l’Œil. À la Maison Théâtre jusqu’au 22 novembre 2015. À la Cinquième Salle de le Place des Arts du 28 au 30 décembre 2017. À la Maison des arts de Laval du 28 au 31 janvier 2018. Au Théâtre de la Ville (Longueuil) le 18 février 2018. À la Maison des arts Desjardins (Drumondville) le 26 mars 2018. En tournée grâce au Conseil des arts de Montréal du 20 janvier au 31 mars 2018.