Critiques

Cinq à sept : Les corps des femmes

« Mon corps est celui que j’ai. » Parmi les premières phrases, cette déclaration, pourtant très simple, donne le ton à ce spectacle qui, à la fois, fait du bien et dérange.

Il fait du bien parce qu’il est mené avec vitalité, franchise et humour. Il dérange parce qu’il met le doigt sur des travers trop répandus dans notre « monde de marde », dixit une des filles : le jugement rapide, l’imposition de codes profitables à l’industrie de la mode et de la publicité mais malsains pour le grand nombre, et l’ostracisme de ceux qui ne s’y conforment pas.

Petits, gros, jeunes, vieux, habillés, déshabillés, beaux, laids : les corps des femmes sont toujours source d’attention, de désir, de soins, de commentaires, de revendications, de regrets, de tourments, de jalousie. Jouant sur la corde raide entre réalité et fiction, l’auteure Fanny Britt donne la parole à Kathleen Fortin, Julie Le Breton et Geneviève Schmidt (toutes trois formidables) qui exp(l)osent leurs frustrations, leurs envies et leurs idées. À peu près tout y passe : la sexualité, la maternité, la violence, le couple, la société actuelle dans laquelle réseaux sociaux, musique et chansons, sans compter le monde du travail (jeux de pouvoir,  rivalités, concupiscence) influencent les comportements et complexifient les relations. Et c’est mené tambour battant.

Elles sont là, toutes les trois, postées chacune devant un fauteuil « coquille » très vintage du genre qu’on pourrait trouver dans un bar à la mode; elles ne se déplaceront pas, ce qui ne veut pas dire qu’elles seront statiques ! La mise en scène de Mani Soleymanlou est en effet dynamisée par la musique, les éclairages, une gestuelle énergique, et ponctuée par des «  shooters, les filles ! » qui bousculent les registres.  Bref, ce Cinq à sept entre amies comédiennes est l’occasion d’un  feu roulant où le dit et le non-dit se bousculent pour avoir le premier, ou le dernier, mot.

Ici, l’humour côtoie habilement la réflexion. Et si l’accent est mis sur la particularité d’être femme pour qui à l’angoisse de faire face à la vacuité de la vie, comme tout un chacun, s’ajoutent les affres de l’humiliation si elle ne réussit pas là où on l’attend : se trouver un homme, garder son homme, se retrouver un homme si le premier l’abandonne, ou meurt ! (comme si l’identité de la femme passait encore par la reconnaissance de l’homme), nul doute que ce spectacle parle à tous. Car chacun devrait être en mesure de se « posséder soi-même » et aussi de reconnaître l’autre dans sa plénitude.

L’équipe a réussi avec ce court Cinq à sept à faire du théâtre d’idées sans lourdeur, tout simplement vrai. Et ce ne sont pas juste « des affaires de filles ».

Cinq à sept

Texte de Fanny Britt (avec la collaboration des interprètes). Mise en scène de Mani Soleymanlou. Une création d’Orange Noyée, en coproduction avec le Théâtre français du Centre national des arts, présentée à l’Espace GO jusqu’ au 5 décembre 2015.

Louise Vigeant

À propos de

Docteure en sémiologie théâtrale, elle a été professeure de 1979 à 2011. Membre de la rédaction de JEU (puis rédactrice en chef et directrice) de 1988 à 2003, elle a présidé l’Association québécoise des critiques de théâtre de 1996 à 1999 et, de 2004 à 2007, travaillé à la Délégation générale du Québec à Paris.