Après s’être intéressée à l’effondrement du viaduc de la Concorde avec Sexy Béton et à la manipulation génétique en agriculture avec Grains, Annabel Soutar poursuit sa quête de vérité à travers un autre spectacle de théâtre documentaire, Le Partage des eaux. L’enjeu social ciblé, en l’occurrence, est le sort réservé à l’eau douce au Canada.
Après avoir fait quelques déplacements seule à travers le pays afin de réaliser différentes entrevues, la dramaturge-documentariste a entraîné ses deux filles de 8 et 10 ans, ainsi que son époux acteur, qui devait négocier avec les horaires de tournage du film X-Men, dans une odyssée «en winnebago», dont la destination finale était Fort McMurray, en Alberta, royaume du sable bitumineux. C’est toute cette enquête qui est reproduite sur scène. Huit comédiens interprètent donc l’auteure, ses enfants ainsi que toute une galerie de personnages rencontrés avant ou au cours de leur épopée sur les routes canadiennes. Alex Ivanovici, le conjoint d’Annabel Soutar, campe pour sa part son propre rôle.
La trame dramatique de la pièce, qui se veut fidèle à la démarche réelle de la créatrice, laisse entendre qu’au fil des premières recherches faites dans le cadre de ce spectacle sur l’eau commandé par le comité des Jeux panaméricains 2015 (ayant eu lieu à Toronto cet été et où le spectacle a été présenté dans sa version anglaise, The Watershed), les deux axes principaux de la pièce se sont révélés d’eux-mêmes. D’une part, il y a la fin du financement fédéral de la RLE (Région des lacs expérimentaux), véritable laboratoire à ciel ouvert situé en Ontario et comportant environ 60 petites étendues d’eaux où sont menées différentes recherches scientifiques sur la pollution, la décontamination, les changements climatiques, etc. D’autre part, il est question des sables bitumineux albertains et des risques que présente leur exploitation pour l’eau potable. Comment les deux sujets sont-ils reliés? Soutar tente de savoir si nos dirigeants ont voulu museler la communauté scientifique afin de pouvoir extraire et vendre du pétrole sans trop d’opposition.
Si, au début du spectacle, le déferlement de chiffres et d’acronymes ainsi que la succession d’intervenants gouvernementaux, scientifiques et militants donne quelque peu le tournis, peu à peu les personnages, tout comme les débats, arrivent à s’incarner. Les enjeux environnementaux et les défis posés par le cumul des rôles d’enquêtrice, de dramaturge et de mère qu’endossent l’héroïne se clarifient et gagnent l’intérêt du spectateur.
L’une des scènes les plus fortes de la production montre justement l’auteure, coincée dans un véhicule n’ayant de récréatif que le nom et répondant par un juste courroux aux assauts simultanés des politiciens à la langue de bois, des enfants se chamaillant sans cesse et de l’État qui laisse planer une menace quant au financement du projet, puisque celui-ci risque de desservir à la fois les objectifs et l’image du gouvernement canadien. Même le metteur en scène du spectacle, Chris Abraham, est représenté comme craignant, en s’associant à la quête de Soutar, de faire mine de mordre la main qui le nourrit. Une auto-critique plutôt savoureuse.
La scénographie fluide s’ajuste très bien aux pérégrinations des protagonistes grâce entre autres au mur de brique, à l’arrière de la scène, où sont projetés des images de lieux (une bibliothèque, une ruelle…), mais aussi les noms et titres des divers intervenants prenant la parole. Qui plus est, le décor polymorphe, fait surtout de palettes de bois s’agençant de multiples façons, peut évoquer tant le bar d’un hôtel que l’intérieur du véhicule familial ou un lac gelé, par exemples. Quelques tuyaux, suspendus en hauteur, permettent le surtitrage des répliques prononcées par les personnages s’exprimant en anglais.
D’ailleurs, ce simple fait de marier les réalités anglophone et francophone pour n’en faire qu’une seule, de présenter le Canada comme une entité à laquelle les Québécois appartiennent tout aussi naturellement que les Ontariens ou les Manitobains, participe à la teneur politique du Partage des eaux. Et c’est sans compter le propos de la pièce qui frôle la polémique. Encore une fois, Annabel Soutar nous offre du théâtre aussi engagé qu’humain, un théâtre dont on a toujours soif.
Texte d’Annabel Soutar. Mise en scène de Chris Abraham. Une coproduction du Crow’s Theatre et du Théâtre Porte Parole, présentée à l’Usine C jusqu’au 28 novembre.
Après s’être intéressée à l’effondrement du viaduc de la Concorde avec Sexy Béton et à la manipulation génétique en agriculture avec Grains, Annabel Soutar poursuit sa quête de vérité à travers un autre spectacle de théâtre documentaire, Le Partage des eaux. L’enjeu social ciblé, en l’occurrence, est le sort réservé à l’eau douce au Canada.
Après avoir fait quelques déplacements seule à travers le pays afin de réaliser différentes entrevues, la dramaturge-documentariste a entraîné ses deux filles de 8 et 10 ans, ainsi que son époux acteur, qui devait négocier avec les horaires de tournage du film X-Men, dans une odyssée «en winnebago», dont la destination finale était Fort McMurray, en Alberta, royaume du sable bitumineux. C’est toute cette enquête qui est reproduite sur scène. Huit comédiens interprètent donc l’auteure, ses enfants ainsi que toute une galerie de personnages rencontrés avant ou au cours de leur épopée sur les routes canadiennes. Alex Ivanovici, le conjoint d’Annabel Soutar, campe pour sa part son propre rôle.
La trame dramatique de la pièce, qui se veut fidèle à la démarche réelle de la créatrice, laisse entendre qu’au fil des premières recherches faites dans le cadre de ce spectacle sur l’eau commandé par le comité des Jeux panaméricains 2015 (ayant eu lieu à Toronto cet été et où le spectacle a été présenté dans sa version anglaise, The Watershed), les deux axes principaux de la pièce se sont révélés d’eux-mêmes. D’une part, il y a la fin du financement fédéral de la RLE (Région des lacs expérimentaux), véritable laboratoire à ciel ouvert situé en Ontario et comportant environ 60 petites étendues d’eaux où sont menées différentes recherches scientifiques sur la pollution, la décontamination, les changements climatiques, etc. D’autre part, il est question des sables bitumineux albertains et des risques que présente leur exploitation pour l’eau potable. Comment les deux sujets sont-ils reliés? Soutar tente de savoir si nos dirigeants ont voulu museler la communauté scientifique afin de pouvoir extraire et vendre du pétrole sans trop d’opposition.
Si, au début du spectacle, le déferlement de chiffres et d’acronymes ainsi que la succession d’intervenants gouvernementaux, scientifiques et militants donne quelque peu le tournis, peu à peu les personnages, tout comme les débats, arrivent à s’incarner. Les enjeux environnementaux et les défis posés par le cumul des rôles d’enquêtrice, de dramaturge et de mère qu’endossent l’héroïne se clarifient et gagnent l’intérêt du spectateur.
L’une des scènes les plus fortes de la production montre justement l’auteure, coincée dans un véhicule n’ayant de récréatif que le nom et répondant par un juste courroux aux assauts simultanés des politiciens à la langue de bois, des enfants se chamaillant sans cesse et de l’État qui laisse planer une menace quant au financement du projet, puisque celui-ci risque de desservir à la fois les objectifs et l’image du gouvernement canadien. Même le metteur en scène du spectacle, Chris Abraham, est représenté comme craignant, en s’associant à la quête de Soutar, de faire mine de mordre la main qui le nourrit. Une auto-critique plutôt savoureuse.
La scénographie fluide s’ajuste très bien aux pérégrinations des protagonistes grâce entre autres au mur de brique, à l’arrière de la scène, où sont projetés des images de lieux (une bibliothèque, une ruelle…), mais aussi les noms et titres des divers intervenants prenant la parole. Qui plus est, le décor polymorphe, fait surtout de palettes de bois s’agençant de multiples façons, peut évoquer tant le bar d’un hôtel que l’intérieur du véhicule familial ou un lac gelé, par exemples. Quelques tuyaux, suspendus en hauteur, permettent le surtitrage des répliques prononcées par les personnages s’exprimant en anglais.
D’ailleurs, ce simple fait de marier les réalités anglophone et francophone pour n’en faire qu’une seule, de présenter le Canada comme une entité à laquelle les Québécois appartiennent tout aussi naturellement que les Ontariens ou les Manitobains, participe à la teneur politique du Partage des eaux. Et c’est sans compter le propos de la pièce qui frôle la polémique. Encore une fois, Annabel Soutar nous offre du théâtre aussi engagé qu’humain, un théâtre dont on a toujours soif.
Le Partage des eaux
Texte d’Annabel Soutar. Mise en scène de Chris Abraham. Une coproduction du Crow’s Theatre et du Théâtre Porte Parole, présentée à l’Usine C jusqu’au 28 novembre.