Geoffrey Gaquère, comédien, metteur en scène et directeur artistique d’Espace Libre, nous offre ici une version légèrement remaniée du texte qu’il a lu à l’occasion du 13e Congrès québécois du théâtre en novembre 2015.
Quand je suis arrivé à la direction artistique d’Espace Libre, j’ai dit qu’en plus de travailler à déployer encore et toujours le mandat de recherche et d’exploration de ce théâtre, je travaillerais à l’ouvrir sur de nouveaux publics. Notamment: la diversité culturelle et la communauté des citoyens de l’arrondissement qu’il habite depuis maintenant près de 40 ans, le très éclectique Centre-Sud de Montréal. Pourquoi? Pour tenter de répondre par l’action à l’article 27 de la Déclaration des droits de l’homme: «Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits qui en résultent.»
Je pense sincèrement qu’à l’heure actuelle, si nous voulons que le citoyen soit solidaire de sa culture, il faut que la culture soit davantage solidaire du citoyen. Un de mes objectifs en matière de développement de public est donc de faire connaître Espace Libre à la communauté de citoyens qui vit aux abords de ses murs et qui, trop souvent, ignore son existence ou ne se sent pas concernée par l’art que nous y faisons. Tout en continuant à répondre par l’excellence au mandat artistique qui est le nôtre, je veux développer une relation étroite entre nos voisins et des artistes rattachés à nos saisons, afin de faire de ce lieu un théâtre d’Art et de Ville.
Trois initiatives
Ainsi, trois projets phares ont vu le jour depuis un an: le «tarif voisin», qui est offert aux citoyens du quartier sur présentation d’une preuve d’adresse, le «comité spectateur», qui a pour but d’initier au théâtre des citoyens des quartiers Sainte-Marie et Saint-Jacques qui manifestent déjà un intérêt pour la culture en fréquentant les bibliothèques avoisinantes, et finalement le «spectacle de quartier», qui est le projet culminant de notre démarche citoyenne.
Ce spectacle, réalisé en collaboration avec des artistes professionnels et des citoyens de notre quartier, prendra l’affiche dans notre saison officielle. Trois spectacles sont déjà en préparation pour les trois prochaines saisons. Le premier sera celui d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier: Pôle Sud, documentaires scéniques, un documentaire théâtral sur Centre-Sud.
Cette avenue nouvelle donne un lieu, des outils et un territoire de recherche pour des artistes dont la démarche s’articule autour d’une collaboration étroite avec le citoyen. Ces créateurs trouvent chez nous des réponses à leurs questions sur l’impact du théâtre sur la société. Ils y développent une éthique de la création et inventent un langage scénique où l’humanisme prime. Ils s’ancrent dans les réalités de leur temps et trouvent une scène où le centre n’est pas le «je» mais le «nous».
Diversité culturelle
Si nous affirmons que l’art est important et utile dans notre société, alors il faut que l’art soit également le reflet de ceux qui composent cette société. Si nous voulons que nos salles se colorent, il va falloir que nos scènes se colorent et que l’ensemble des «acteurs» qui composent notre société puisse se raconter sur les scènes des théâtres. L’avenir de notre société, et donc fatalement de notre théâtre, n’est pas dans le repli sur soi, mais dans l’apprentissage du vivre ensemble. Je pense que l’exemple peut être donné par le théâtre. C’est la raison pour laquelle ma première saison est composée en partie de spectacles dits de la «diversité culturelle».
Cependant, ce n’est pas en premier lieu parce qu’ils sont issus de la «diversité» que ces spectacles se retrouvent sur la scène d’Espace Libre, mais bien parce que, avant tout, je suis tombé en amour avec des propositions artistiques fortes. C’est parce qu’ils répondaient tous au mandat du théâtre que je dirige que Bibish de Kinshasa, Native Girls Syndrome et Like Mother, Like Daughter/Telle mère, telle fille se trouvent au cœur de la saison en cours.
Une histoire qui vient d’ailleurs et qui se poursuit au Québec
Lors des représentations de Bibish de Kinshasa, j’ai été ému aux larmes de me faire apostropher par cette jeune fille ou cette vieille dame, originaire d’Haïti ou du Burundi, pour me faire dire: «Merci d’avoir programmé un spectacle qui parle de nous». Pourtant le spectacle ne parlait ni du Burundi ni d’Haïti. Alors, pourquoi me dire merci? Peut-être parce que les artistes noirs qui se trouvaient sur scène n’étaient pas là pour remplir une fonction, mais pour raconter leur histoire, une histoire qui vient d’ailleurs et qui, aujourd’hui, se poursuit ici, au Québec. Le pari que j’ai à relever, ensuite, c’est que les spectateurs issus de la communauté congolaise de Montréal reviennent à Espace Libre. Il en va de même pour tous les autres publics que nous tentons de développer.
Mais attention, on aura beau en appeler au courage des directeurs artistiques, s’il n’y a pas de politique culturelle forte, nous ne ferons jamais que défricher un nouveau territoire. Aller à la rencontre des communautés, de nouveaux publics, ça se fait entre autres en ayant des moyens financiers et des outils de communication adéquats. Car ce n’est pas en étant comme moi, diffuseur spécialisé au maigre budget de communications, tributaire des subventions que recevront (ou pas) les compagnies en diffusion, qu’on sera en mesure de faire un travail qui aura un impact significatif pour l’ensemble de la population et l’avenir de notre société. Ce travail doit être soutenu par nos gouvernements et des politiques culturelles fortes. Je pense aussi que les médias doivent se faire davantage les relais de ces initiatives positives.
Geoffrey Gaquère, comédien, metteur en scène et directeur artistique d’Espace Libre, nous offre ici une version légèrement remaniée du texte qu’il a lu à l’occasion du 13e Congrès québécois du théâtre en novembre 2015.
Quand je suis arrivé à la direction artistique d’Espace Libre, j’ai dit qu’en plus de travailler à déployer encore et toujours le mandat de recherche et d’exploration de ce théâtre, je travaillerais à l’ouvrir sur de nouveaux publics. Notamment: la diversité culturelle et la communauté des citoyens de l’arrondissement qu’il habite depuis maintenant près de 40 ans, le très éclectique Centre-Sud de Montréal. Pourquoi? Pour tenter de répondre par l’action à l’article 27 de la Déclaration des droits de l’homme: «Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits qui en résultent.»
Je pense sincèrement qu’à l’heure actuelle, si nous voulons que le citoyen soit solidaire de sa culture, il faut que la culture soit davantage solidaire du citoyen. Un de mes objectifs en matière de développement de public est donc de faire connaître Espace Libre à la communauté de citoyens qui vit aux abords de ses murs et qui, trop souvent, ignore son existence ou ne se sent pas concernée par l’art que nous y faisons. Tout en continuant à répondre par l’excellence au mandat artistique qui est le nôtre, je veux développer une relation étroite entre nos voisins et des artistes rattachés à nos saisons, afin de faire de ce lieu un théâtre d’Art et de Ville.
Trois initiatives
Ainsi, trois projets phares ont vu le jour depuis un an: le «tarif voisin», qui est offert aux citoyens du quartier sur présentation d’une preuve d’adresse, le «comité spectateur», qui a pour but d’initier au théâtre des citoyens des quartiers Sainte-Marie et Saint-Jacques qui manifestent déjà un intérêt pour la culture en fréquentant les bibliothèques avoisinantes, et finalement le «spectacle de quartier», qui est le projet culminant de notre démarche citoyenne.
Ce spectacle, réalisé en collaboration avec des artistes professionnels et des citoyens de notre quartier, prendra l’affiche dans notre saison officielle. Trois spectacles sont déjà en préparation pour les trois prochaines saisons. Le premier sera celui d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier: Pôle Sud, documentaires scéniques, un documentaire théâtral sur Centre-Sud.
Cette avenue nouvelle donne un lieu, des outils et un territoire de recherche pour des artistes dont la démarche s’articule autour d’une collaboration étroite avec le citoyen. Ces créateurs trouvent chez nous des réponses à leurs questions sur l’impact du théâtre sur la société. Ils y développent une éthique de la création et inventent un langage scénique où l’humanisme prime. Ils s’ancrent dans les réalités de leur temps et trouvent une scène où le centre n’est pas le «je» mais le «nous».
Diversité culturelle
Si nous affirmons que l’art est important et utile dans notre société, alors il faut que l’art soit également le reflet de ceux qui composent cette société. Si nous voulons que nos salles se colorent, il va falloir que nos scènes se colorent et que l’ensemble des «acteurs» qui composent notre société puisse se raconter sur les scènes des théâtres. L’avenir de notre société, et donc fatalement de notre théâtre, n’est pas dans le repli sur soi, mais dans l’apprentissage du vivre ensemble. Je pense que l’exemple peut être donné par le théâtre. C’est la raison pour laquelle ma première saison est composée en partie de spectacles dits de la «diversité culturelle».
Cependant, ce n’est pas en premier lieu parce qu’ils sont issus de la «diversité» que ces spectacles se retrouvent sur la scène d’Espace Libre, mais bien parce que, avant tout, je suis tombé en amour avec des propositions artistiques fortes. C’est parce qu’ils répondaient tous au mandat du théâtre que je dirige que Bibish de Kinshasa, Native Girls Syndrome et Like Mother, Like Daughter/Telle mère, telle fille se trouvent au cœur de la saison en cours.
Une histoire qui vient d’ailleurs et qui se poursuit au Québec
Lors des représentations de Bibish de Kinshasa, j’ai été ému aux larmes de me faire apostropher par cette jeune fille ou cette vieille dame, originaire d’Haïti ou du Burundi, pour me faire dire: «Merci d’avoir programmé un spectacle qui parle de nous». Pourtant le spectacle ne parlait ni du Burundi ni d’Haïti. Alors, pourquoi me dire merci? Peut-être parce que les artistes noirs qui se trouvaient sur scène n’étaient pas là pour remplir une fonction, mais pour raconter leur histoire, une histoire qui vient d’ailleurs et qui, aujourd’hui, se poursuit ici, au Québec. Le pari que j’ai à relever, ensuite, c’est que les spectateurs issus de la communauté congolaise de Montréal reviennent à Espace Libre. Il en va de même pour tous les autres publics que nous tentons de développer.
Mais attention, on aura beau en appeler au courage des directeurs artistiques, s’il n’y a pas de politique culturelle forte, nous ne ferons jamais que défricher un nouveau territoire. Aller à la rencontre des communautés, de nouveaux publics, ça se fait entre autres en ayant des moyens financiers et des outils de communication adéquats. Car ce n’est pas en étant comme moi, diffuseur spécialisé au maigre budget de communications, tributaire des subventions que recevront (ou pas) les compagnies en diffusion, qu’on sera en mesure de faire un travail qui aura un impact significatif pour l’ensemble de la population et l’avenir de notre société. Ce travail doit être soutenu par nos gouvernements et des politiques culturelles fortes. Je pense aussi que les médias doivent se faire davantage les relais de ces initiatives positives.