Il est rare qu’une pièce à portée sociale soit en même temps fantaisiste et humoristique. C’est le cas de la savoureuse fable du jeune dramaturge allemand Philipp Löhle que nous offre le Théâtre de l’avenue des Pins. On nous y raconte les cocasses mésaventures d’un individu très ordinaire, si ce n’est qu’il tire sa subsistance d’un… lama qu’il tient dans son sous-sol. Jusqu’au jour où Greenpeace − non sans raison − vient lui enlever son gagne-pain. Cette spoliation sera le déclencheur de dépouillements en cascade, chacun des membres de son entourage lui proposant de l’alléger de ses maigres possessions, l’une, de son frigo, l’autre, de sa télé, un troisième, de son micro-ondes, finalement de tous ses biens.
La mise en scène de Charles Dauphinais nous fait assister en direct à cette délectable entreprise de démolition d’une cuisine, qui devient celle de… notre société de consommation. Le pauvre dépossédé y assiste avec un relatif détachement. Sa grosse colère, commentée sur scène par une batterie et un tambour, c’est pour Greenpeace : «Avec le lama, j’avais trouvé une source de travail en dehors du capitalisme», se lamente-t-il. Un dernier coup de pied rageur dans le mur désormais vide lui ouvrira d’ailleurs une paradoxale brèche vers la liberté.
Dans un premier temps, ce dénuement semble entraîner chez notre ami des lamas une fringale de biens, mais celle-ci ne se révèle au fond que mépris pour l’inutile et scandaleuse surabondance de notre monde. Il n’aura ensuite de cesse que de se libérer du peu qui lui reste. Il couche sur la paille, fait tout pour perdre l’argent qui lui tombe − littéralement − du ciel. Il décline l’offre d’emploi qu’on lui fait pour remédier à son indigence: «Le seul type qui veut pas de travail, vous lui en donnez», proteste-t-il, non sans quelque logique. Il refuse jusqu’à la dictature du temps et adopte l’élégant slogan : «Tempus, fuck it». Il court, lui aussi, mais en sens inverse des autres. Bref, il veut vivre selon ses propres règles. La sienne : «prendre le capitalisme par les couilles». À la fin – le tableau est saisissant −, il s’écrie : «Je suis libre», mais vous verrez dans quel lieu paradoxal, il la trouve, sa liberté!
Philipp Löhle se garde bien d’en faire un héros. Ce à quoi cet adepte de la simplicité volontaire aspire, c’est plutôt à l’inertie, et s’il se veut libre et nu, c’est tout seul. Enfant, il exigeait même son carré de sable à lui! Marginal et anticapitaliste, selon sa propre définition, d’accord. Asocial, surtout.
La mise en forme du Quat’sous situe ce conte moral drolatique dans un contexte apparemment réaliste : celui d’un banal appartement. Et les comédiens s’expriment dans un français québécois qu’on pourrait qualifier de quotidien. Mais la disparition progressive des meubles comme le rétrécissement de la vie du «héros» nous amènerait plutôt du côté d’Ionesco. Et non, on ne le voit pas courir. À peine agir. Ce sont deux narrateurs, au micro, devant la scène (ils se partagent aussi tous les autres rôles) qui nous racontent sa quête essoufflante de la… tranquillité. En dehors de l’économie évidente du nombre de comédiens − une préoccupation récurrente des metteurs en scène − cette proposition, tout à fait intéressante, a l’avantage de présenter Gospodin de l’extérieur, comme la construction que les autres en font. Ce qui n’empêche pas qu’il est bien le personnage central. Au centre du plateau − il y reste d’ailleurs constamment, et souvent immobile −, Steve Laplante l’incarne avec une sorte d’indifférente autorité.
En sortant du théâtre, je suis restée avec une image : Anette, sa petite amie, s’écrie «Je t’aime, Gospodin», mais c’est la liasse de billets de banque qu’elle vient de trouver chez lui qu’elle embrasse…
Texte de Philipp Löhle. Traduction d’Anissa Lahyane et Jean-Philippe Lehoux. Mise en scène de Charles Dauphinais. Une production du Théâtre de Quat’sous. Jusqu’au 19 février 2016.
Il est rare qu’une pièce à portée sociale soit en même temps fantaisiste et humoristique. C’est le cas de la savoureuse fable du jeune dramaturge allemand Philipp Löhle que nous offre le Théâtre de l’avenue des Pins. On nous y raconte les cocasses mésaventures d’un individu très ordinaire, si ce n’est qu’il tire sa subsistance d’un… lama qu’il tient dans son sous-sol. Jusqu’au jour où Greenpeace − non sans raison − vient lui enlever son gagne-pain. Cette spoliation sera le déclencheur de dépouillements en cascade, chacun des membres de son entourage lui proposant de l’alléger de ses maigres possessions, l’une, de son frigo, l’autre, de sa télé, un troisième, de son micro-ondes, finalement de tous ses biens.
La mise en scène de Charles Dauphinais nous fait assister en direct à cette délectable entreprise de démolition d’une cuisine, qui devient celle de… notre société de consommation. Le pauvre dépossédé y assiste avec un relatif détachement. Sa grosse colère, commentée sur scène par une batterie et un tambour, c’est pour Greenpeace : «Avec le lama, j’avais trouvé une source de travail en dehors du capitalisme», se lamente-t-il. Un dernier coup de pied rageur dans le mur désormais vide lui ouvrira d’ailleurs une paradoxale brèche vers la liberté.
Dans un premier temps, ce dénuement semble entraîner chez notre ami des lamas une fringale de biens, mais celle-ci ne se révèle au fond que mépris pour l’inutile et scandaleuse surabondance de notre monde. Il n’aura ensuite de cesse que de se libérer du peu qui lui reste. Il couche sur la paille, fait tout pour perdre l’argent qui lui tombe − littéralement − du ciel. Il décline l’offre d’emploi qu’on lui fait pour remédier à son indigence: «Le seul type qui veut pas de travail, vous lui en donnez», proteste-t-il, non sans quelque logique. Il refuse jusqu’à la dictature du temps et adopte l’élégant slogan : «Tempus, fuck it». Il court, lui aussi, mais en sens inverse des autres. Bref, il veut vivre selon ses propres règles. La sienne : «prendre le capitalisme par les couilles». À la fin – le tableau est saisissant −, il s’écrie : «Je suis libre», mais vous verrez dans quel lieu paradoxal, il la trouve, sa liberté!
Philipp Löhle se garde bien d’en faire un héros. Ce à quoi cet adepte de la simplicité volontaire aspire, c’est plutôt à l’inertie, et s’il se veut libre et nu, c’est tout seul. Enfant, il exigeait même son carré de sable à lui! Marginal et anticapitaliste, selon sa propre définition, d’accord. Asocial, surtout.
La mise en forme du Quat’sous situe ce conte moral drolatique dans un contexte apparemment réaliste : celui d’un banal appartement. Et les comédiens s’expriment dans un français québécois qu’on pourrait qualifier de quotidien. Mais la disparition progressive des meubles comme le rétrécissement de la vie du «héros» nous amènerait plutôt du côté d’Ionesco. Et non, on ne le voit pas courir. À peine agir. Ce sont deux narrateurs, au micro, devant la scène (ils se partagent aussi tous les autres rôles) qui nous racontent sa quête essoufflante de la… tranquillité. En dehors de l’économie évidente du nombre de comédiens − une préoccupation récurrente des metteurs en scène − cette proposition, tout à fait intéressante, a l’avantage de présenter Gospodin de l’extérieur, comme la construction que les autres en font. Ce qui n’empêche pas qu’il est bien le personnage central. Au centre du plateau − il y reste d’ailleurs constamment, et souvent immobile −, Steve Laplante l’incarne avec une sorte d’indifférente autorité.
En sortant du théâtre, je suis restée avec une image : Anette, sa petite amie, s’écrie «Je t’aime, Gospodin», mais c’est la liasse de billets de banque qu’elle vient de trouver chez lui qu’elle embrasse…
Dénommé Gospodin
Texte de Philipp Löhle. Traduction d’Anissa Lahyane et Jean-Philippe Lehoux. Mise en scène de Charles Dauphinais. Une production du Théâtre de Quat’sous. Jusqu’au 19 février 2016.