Auteure de plusieurs courtes formes théâtrales, Amélie Dallaire présente Queue cerise, son premier long texte dramatique, dans la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Michelle (interprétée par la trop rare Ève Duranceau) commence un nouvel emploi, complètement laissée à elle-même dans un environnement hostile et indomptable. Elle se raconte à ses quatre collègues qui se dévoilent en retour, tous découvrant ce qui se cache dans leurs bas-fonds et qui se refoule jusque dans le sous-sol du bureau.
Car la métaphore prend forme. Au fil des conversations, les personnages dévoilent leurs tares, leurs obsessions, leurs envies et les récits qui les traversent se matérialisent à l’intérieur de leur lieu de travail. L’univers qui en découle se veut à la fois sensible, loufoque, et surtout libre afin de laisser les significations se dessiner d’elles-mêmes et que l’inconscient de la pièce s’affirme alors.
La pièce s’élabore par tableaux, dans une logique de dévoilement-commentaire, où un personnage décrit un nœud qui nourrit son imaginaire au quotidien (par exemple regarder constamment son reflet dans les vitrines), puis d’autres le jugent en émettant des remarques qui deviennent des dévoilements à leur tour. Un choix narratif assumé qui contraste avec l’importance considérable que les personnages accordent aux récits. Car ceux-ci sont obnubilés par les histoires et les figures qui les composent. Que ce soit l’apparition d’une narratrice de la vie des autres, un collègue qui raconte un scénario de film avec intensité, une autre qui se demande ce qui occupe certains personnages de films au moment où elle pense à eux, ou Michelle qui invente des romans à ne pas écrire, tous sont obsédés par les récits à l’intérieur d’une pièce qui n’en comporte pas. Il s’agit moins d’une histoire qu’un espace traversé de présences qui s’exposent.
Dans chacun des tableaux du texte — face au psy, face à des téléspectateurs, devant la lumière braquée sur eux et devant les collègues ou même les spectateurs — tous les personnages se racontent si bien qu’ils savent même exprimer clairement ce qui leur échappe. Un genre de sur-conscience qui sied à notre temps où l’on contrôle les représentations de soi, mais qui abonde sur les scènes jusqu’à ce qu’on puisse se lasser d’entendre des personnages qui se comprennent autant, sans que cela serve à nous mener ailleurs, surtout dans ce qu’ils ont d’insaisissable.
L’espace est habilement construit. L’improbable décor fait d’un enchâssement de rideaux ressemblant à d’épais tapis brun-vert usés et d’un plancher recouvert de velours émeraude peut évoquer le caractère impersonnel d’un bureau, tout en lui attribuant une dimension insaisissable. Les pans de tissus aménagent une série de coulisses superbement utilisées par la mise en scène d’Olivier Morin qui fait surgir et disparaître les personnages par d’imprévisibles chorégraphies. Les images créées par l’éclairage, souvent franc et contrasté, participent aussi à l’installation de ces lieux poreux et fuyants associés au domaine du rêve.
Au final, les personnages de la pièce nomment abondamment leur propre inconscient et la mise en scène explore joyeusement le réel insolite que tout ce « dit » du texte construit. Or, malgré les douces dérives que la scène suscite et partage à la salle, on peut reprocher à la pièce de faillir à solliciter l’imaginaire des spectateurs pour conjointement révéler une part d’inconscient logée dans les personnages, en plus du leur. Vaste programme, j’en conviens. Mais j’y rêve aussi.
Texte d’Amélie Dallaire. Mise en scène d’Olivier Morin. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 13 février 2016.
Auteure de plusieurs courtes formes théâtrales, Amélie Dallaire présente Queue cerise, son premier long texte dramatique, dans la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Michelle (interprétée par la trop rare Ève Duranceau) commence un nouvel emploi, complètement laissée à elle-même dans un environnement hostile et indomptable. Elle se raconte à ses quatre collègues qui se dévoilent en retour, tous découvrant ce qui se cache dans leurs bas-fonds et qui se refoule jusque dans le sous-sol du bureau.
Car la métaphore prend forme. Au fil des conversations, les personnages dévoilent leurs tares, leurs obsessions, leurs envies et les récits qui les traversent se matérialisent à l’intérieur de leur lieu de travail. L’univers qui en découle se veut à la fois sensible, loufoque, et surtout libre afin de laisser les significations se dessiner d’elles-mêmes et que l’inconscient de la pièce s’affirme alors.
La pièce s’élabore par tableaux, dans une logique de dévoilement-commentaire, où un personnage décrit un nœud qui nourrit son imaginaire au quotidien (par exemple regarder constamment son reflet dans les vitrines), puis d’autres le jugent en émettant des remarques qui deviennent des dévoilements à leur tour. Un choix narratif assumé qui contraste avec l’importance considérable que les personnages accordent aux récits. Car ceux-ci sont obnubilés par les histoires et les figures qui les composent. Que ce soit l’apparition d’une narratrice de la vie des autres, un collègue qui raconte un scénario de film avec intensité, une autre qui se demande ce qui occupe certains personnages de films au moment où elle pense à eux, ou Michelle qui invente des romans à ne pas écrire, tous sont obsédés par les récits à l’intérieur d’une pièce qui n’en comporte pas. Il s’agit moins d’une histoire qu’un espace traversé de présences qui s’exposent.
Dans chacun des tableaux du texte — face au psy, face à des téléspectateurs, devant la lumière braquée sur eux et devant les collègues ou même les spectateurs — tous les personnages se racontent si bien qu’ils savent même exprimer clairement ce qui leur échappe. Un genre de sur-conscience qui sied à notre temps où l’on contrôle les représentations de soi, mais qui abonde sur les scènes jusqu’à ce qu’on puisse se lasser d’entendre des personnages qui se comprennent autant, sans que cela serve à nous mener ailleurs, surtout dans ce qu’ils ont d’insaisissable.
L’espace est habilement construit. L’improbable décor fait d’un enchâssement de rideaux ressemblant à d’épais tapis brun-vert usés et d’un plancher recouvert de velours émeraude peut évoquer le caractère impersonnel d’un bureau, tout en lui attribuant une dimension insaisissable. Les pans de tissus aménagent une série de coulisses superbement utilisées par la mise en scène d’Olivier Morin qui fait surgir et disparaître les personnages par d’imprévisibles chorégraphies. Les images créées par l’éclairage, souvent franc et contrasté, participent aussi à l’installation de ces lieux poreux et fuyants associés au domaine du rêve.
Au final, les personnages de la pièce nomment abondamment leur propre inconscient et la mise en scène explore joyeusement le réel insolite que tout ce « dit » du texte construit. Or, malgré les douces dérives que la scène suscite et partage à la salle, on peut reprocher à la pièce de faillir à solliciter l’imaginaire des spectateurs pour conjointement révéler une part d’inconscient logée dans les personnages, en plus du leur. Vaste programme, j’en conviens. Mais j’y rêve aussi.
Queue cerise
Texte d’Amélie Dallaire. Mise en scène d’Olivier Morin. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 13 février 2016.