La pièce Animaux, sur le point d’être créée à l’Espace libre par Daniel Brière et Alexis Martin, codirecteurs du Nouveau Théâtre Expérimental, aura une distribution hors du commun. C’est non seulement un chat, mais aussi un chien, une vache, un cheval miniature, une chèvre, un cochon, quatre poules, des poissons et un vivarium occupé par une colonie de grillons qui fouleront les planches aux côtés des « vrais » acteurs, Sophie Cadieux et Hubert Proulx.
« J’ai l’impression de travailler avec des extraterrestres », s’exclame Daniel Brière. « C’est flyé. J’imagine ce que je pourrais faire avec eux, mais en même temps, je n’ai aucun contrôle. » C’est pour explorer le risque et la surprise que Daniel Brière a voulu monter Animaux : « On avait envie de lâcher prise », explique-t-il. « Si la vache fait caca pendant qu’il y a une scène, il n’y a plus de scène. On est dans l’aléatoire. » Les animaux seront pour la plupart du temps libres de circuler où ils veulent, même d’aller voir les spectateurs. Le metteur en scène nage dans l’inconnu et chaque petit détail stimule sa création « Comment on éclaire des animaux ? Est-ce qu’on peut mettre des éclairages standards ? Est-ce que le bruit, la musique ou l’ambiance vont les déranger ? Il y a toute cette démarche autour qui est en dehors de la représentation. Je trouve ça vraiment intéressant. »
Alexis Martin a quant à lui effectué une recherche philosophique autour de notre rapport aux animaux. Il en a tiré une narration qui traversera spectacle et à laquelle Brière a juxtaposé une série de tableaux avec les animaux et les acteurs. « On s’est basés sur les travaux du baron Jakob Johann von Uexküll », explique le metteur en scène. « Sa théorie, c’est qu’au fond on ne vit pas dans le même monde que les animaux. On vit chacun dans nos bulles. » Tout au long du spectacle, les choses qui nous éloignent et nous rassemblent des animaux seront mises en parallèle : une cérémonie du thé avec des poules, une scène avec un cochon qui interroge notre consommation de viande.
La question morale
Daniel Brière le reconnaît, l’épreuve risque d’être difficile pour les animaux : « Je ne pense pas qu’ils vont vivre une expérience qui ne sera pas stressante. » On peut alors se demander s’il est moralement acceptable de déplacer des animaux, voire de leur faire peur « au nom de l’art ». Évidemment, des vétérinaires ont été consultés, les représentations auront lieu en plein jour, « moment de la journée où la lumière est à son zénith et la faune, pleinement éveillée », les animaux seront caressés et bien nourris avant d’être retournés chez eux après le spectacle.
On peut aussi dire que c’est bien pire dans les élevages industriels. Et surtout se rassurer: le geste n’est pas gratuit. Il s’inscrit dans la démarche artistique de deux metteurs en scène connus et respectés. Sauf qu’ici, on n’envisage le problème que du point de vue de l’humain. Qu’est-ce que les animaux – pourtant au centre du spectacle – vont retirer de cette expérience ? Que vaut la recherche artistique et le plaisir des spectateurs par rapport aux intérêts des animaux ? Bien souvent, comme le rappelle la journaliste américaine Alexis Soloski, la présence des animaux au théâtre ne sert qu’à renforcer la supériorité de l’homme ou encore idéaliser leur nature sauvage.
Si les animaux sont libres de sortir de scène à leur guise, ils n’ont quand même pas choisi d’être là. La critique britannique Lyn Gardner réfléchissait récemment à la question après qu’une série de pièces de théâtre aient mis en scène des acteurs quadrupèdes : « À quel point la représentation des animaux sur les planches en est une où l’on ne fait souvent que démontrer notre domination sur eux ainsi que leur manque d’agentivité ? » Elle se demandait également sur quelles bases morales s’appuient ce type de spectacle : « Plusieurs d’entre nous – moi comprise – seraient admiratifs devant un chien qui joue Crab au théâtre (le chien de Launce dans Les Deux Gentilshommes de Vérone de Shakespeare), mais n’oseraient pas aller voir des animaux au cirque […]. Où devrait-on tracer la ligne ? Devrait-il y avoir une ligne ? »
Alanna Devine, directrice de la défense des animaux à la SPCA de Montréal est quant à elle catégorique : « Il n’y a pas de circonstances dans lesquelles il est acceptable d’exploiter les animaux à de simples fins de divertissement. Au lieu de soumettre les animaux à la peur, au stress, à l’anxiété et au ridicule, si on veut interroger notre relation complexe et souvent paradoxale avec les animaux non-humains, on devrait engager la discussion plutôt qu’exposer les animaux dans une production théâtrale. »
« Quand j’étais au conservatoire, ils nous disaient d’éviter d’être sur scène avec un animal, parce qu’on allait se faire upstager, raconte Daniel Brière. La charge émotionnelle que créent les animaux est tellement forte qu’elle monopolise immédiatement l’attention des spectateurs au détriment des humains. » En mettant des animaux sur scène, on braque aussi le projecteur sur notre trouble rapport avec eux et sur nos obligations morales à leur endroit. Espérons que la seule présence d’Animaux sur une scène montréalaise provoquera de nombreuses et nécessaires remises en question.
Pour une réflexion sur les enjeux éthiques de la présence d’animaux dans l’art, cliquez ici.
Animaux
Texte et mise en scène : Daniel Brière et Alexis Martin. Avec Sophie Cadieux, Hubert Proulx et de vrais animaux. Une production du NTE. À l’Espace libre du 3 au 20 mars 2016.
La pièce Animaux, sur le point d’être créée à l’Espace libre par Daniel Brière et Alexis Martin, codirecteurs du Nouveau Théâtre Expérimental, aura une distribution hors du commun. C’est non seulement un chat, mais aussi un chien, une vache, un cheval miniature, une chèvre, un cochon, quatre poules, des poissons et un vivarium occupé par une colonie de grillons qui fouleront les planches aux côtés des « vrais » acteurs, Sophie Cadieux et Hubert Proulx.
« J’ai l’impression de travailler avec des extraterrestres », s’exclame Daniel Brière. « C’est flyé. J’imagine ce que je pourrais faire avec eux, mais en même temps, je n’ai aucun contrôle. » C’est pour explorer le risque et la surprise que Daniel Brière a voulu monter Animaux : « On avait envie de lâcher prise », explique-t-il. « Si la vache fait caca pendant qu’il y a une scène, il n’y a plus de scène. On est dans l’aléatoire. » Les animaux seront pour la plupart du temps libres de circuler où ils veulent, même d’aller voir les spectateurs. Le metteur en scène nage dans l’inconnu et chaque petit détail stimule sa création « Comment on éclaire des animaux ? Est-ce qu’on peut mettre des éclairages standards ? Est-ce que le bruit, la musique ou l’ambiance vont les déranger ? Il y a toute cette démarche autour qui est en dehors de la représentation. Je trouve ça vraiment intéressant. »
Alexis Martin a quant à lui effectué une recherche philosophique autour de notre rapport aux animaux. Il en a tiré une narration qui traversera spectacle et à laquelle Brière a juxtaposé une série de tableaux avec les animaux et les acteurs. « On s’est basés sur les travaux du baron Jakob Johann von Uexküll », explique le metteur en scène. « Sa théorie, c’est qu’au fond on ne vit pas dans le même monde que les animaux. On vit chacun dans nos bulles. » Tout au long du spectacle, les choses qui nous éloignent et nous rassemblent des animaux seront mises en parallèle : une cérémonie du thé avec des poules, une scène avec un cochon qui interroge notre consommation de viande.
La question morale
Daniel Brière le reconnaît, l’épreuve risque d’être difficile pour les animaux : « Je ne pense pas qu’ils vont vivre une expérience qui ne sera pas stressante. » On peut alors se demander s’il est moralement acceptable de déplacer des animaux, voire de leur faire peur « au nom de l’art ». Évidemment, des vétérinaires ont été consultés, les représentations auront lieu en plein jour, « moment de la journée où la lumière est à son zénith et la faune, pleinement éveillée », les animaux seront caressés et bien nourris avant d’être retournés chez eux après le spectacle.
On peut aussi dire que c’est bien pire dans les élevages industriels. Et surtout se rassurer: le geste n’est pas gratuit. Il s’inscrit dans la démarche artistique de deux metteurs en scène connus et respectés. Sauf qu’ici, on n’envisage le problème que du point de vue de l’humain. Qu’est-ce que les animaux – pourtant au centre du spectacle – vont retirer de cette expérience ? Que vaut la recherche artistique et le plaisir des spectateurs par rapport aux intérêts des animaux ? Bien souvent, comme le rappelle la journaliste américaine Alexis Soloski, la présence des animaux au théâtre ne sert qu’à renforcer la supériorité de l’homme ou encore idéaliser leur nature sauvage.
Si les animaux sont libres de sortir de scène à leur guise, ils n’ont quand même pas choisi d’être là. La critique britannique Lyn Gardner réfléchissait récemment à la question après qu’une série de pièces de théâtre aient mis en scène des acteurs quadrupèdes : « À quel point la représentation des animaux sur les planches en est une où l’on ne fait souvent que démontrer notre domination sur eux ainsi que leur manque d’agentivité ? » Elle se demandait également sur quelles bases morales s’appuient ce type de spectacle : « Plusieurs d’entre nous – moi comprise – seraient admiratifs devant un chien qui joue Crab au théâtre (le chien de Launce dans Les Deux Gentilshommes de Vérone de Shakespeare), mais n’oseraient pas aller voir des animaux au cirque […]. Où devrait-on tracer la ligne ? Devrait-il y avoir une ligne ? »
Alanna Devine, directrice de la défense des animaux à la SPCA de Montréal est quant à elle catégorique : « Il n’y a pas de circonstances dans lesquelles il est acceptable d’exploiter les animaux à de simples fins de divertissement. Au lieu de soumettre les animaux à la peur, au stress, à l’anxiété et au ridicule, si on veut interroger notre relation complexe et souvent paradoxale avec les animaux non-humains, on devrait engager la discussion plutôt qu’exposer les animaux dans une production théâtrale. »
« Quand j’étais au conservatoire, ils nous disaient d’éviter d’être sur scène avec un animal, parce qu’on allait se faire upstager, raconte Daniel Brière. La charge émotionnelle que créent les animaux est tellement forte qu’elle monopolise immédiatement l’attention des spectateurs au détriment des humains. » En mettant des animaux sur scène, on braque aussi le projecteur sur notre trouble rapport avec eux et sur nos obligations morales à leur endroit. Espérons que la seule présence d’Animaux sur une scène montréalaise provoquera de nombreuses et nécessaires remises en question.
Pour une réflexion sur les enjeux éthiques de la présence d’animaux dans l’art, cliquez ici.
Animaux
Texte et mise en scène : Daniel Brière et Alexis Martin. Avec Sophie Cadieux, Hubert Proulx et de vrais animaux. Une production du NTE. À l’Espace libre du 3 au 20 mars 2016.