Le Mois Multi propose un spectacle magistral avec (Entre) du Théâtre Rude Ingénierie, compagnie de production multidisciplinaire de la ville de Québec qui se concentre sur la rencontre du son, de l’image, de l’objet, de l’ingénierie et du vivant. Ce spectacle marque leur premier pas dans l’univers de la danse et c’est sans doute cette virginité qui contribue tant à la force de la proposition. Elle est aussi leur marque de fabrique, puisque la compagnie cherche dans chacun de ses projets à aborder de nouvelles disciplines ou univers mais à la façon d’un jouet: explorer ses possibles et ne pas en faire une fin.
Philippe Lessard-Drolet (direction, mise en scène, lumière et interface technique) et Bruno Bouchard (dramaturgie, regard extérieur), qui explorent souvent des univers mêlant technologie, bricolage et théâtre d’objets, cherchaient à croiser la danse à un dispositif interactif; en gros des caméras captent les mouvements des danseurs et les images sont traduites en pixels de lumière par un ensemble de projecteur lumineux surplombant une plancher de bois rectangulaire.
Ce qui est extraordinaire, c’est que dès les premiers instants, le prétexte technologique est oublié, ou plus précisément le dispositif se met absolument au service du propos. Il est, d’une certaine mesure, le propos, puisque le plaisir du spectacle, tant pour les spectateurs que pour les danseurs (Josiane Bernier et Fabien Piché, tous deux magnifiques) réside en partie dans le fait de voir l’espace réagir aux gestes des danseurs, la lumière ou les sons changer en fonction des mouvements (sept tables tournantes diffusent des disques, manipulés par les danseurs). Mais tout cela devient vite secondaire devant la force de la proposition scénique, qui est un mélange de danse, de théâtre, avec des influences cinématographiques (une habitude chez Rude Ingénierie) et un déploiement de petits objets récupérés, comme autant de reliques d’une histoire (de couple) passée.
Jamais, je n’ai vu un spectacle s’appuyant sur un univers technologique réactif être capable à ce point d’émouvoir, de créer pleinement à partir de l’outil convoqué – ce dernier demeure un matériau de construction. Et cet outil est ici au service d’une proposition remarquable, et amplifie même sans doute les qualités chorégraphiques, interprétatives des danseurs et les qualités créatives de chaque membre de l’équipe, en offrant à chacun une liberté rare.
La gestuelle est très charnelle, vive, contrastée. On passe de gestes glissés rappelant Pina Baush, à des mouvements de bossa nova délirants, à des suspensions, à des postures loufoques, et toujours les corps se cherchent, dans des mouvements qui dépassent ceux de la danse improvisée ou les mouvements habituels de ces deux danseurs, en leur offrant une théâtralité, un humour, une liberté de déborder.
Comme souvent les contraintes techniques ont fait office de moteur: il fallait intégrer l’emplacement des caméras, la manipulation des objets (qui vont peupler progressivement l’espace). Les danseurs évoluent dans une terre inconnue, mélange de contraintes, de gestion de plateau, mais aussi d’un processus qui les a vus intervenir plus que jamais. Et l’on assiste, émerveillé, à une libération du corps, un corps dansant qui célèbre avant tout ses propres capacités à se mouvoir, à toucher, à glisser, à se glisser entre, à s’approcher, à être pleinement présent dans l’univers qui se crée et dans cette évocation d’un couple qui semble relire ces moments de fusion et d’écart. La précision et la complicité des deux interprètes contribue beaucoup à ce sentiment si charnel, si joyeux, si plein, si malicieux. Les mouvements comme les pauses, les attitudes sont d’une précision rare.
Dans la dernière partie, les danseurs rapprochent les tables tournantes et leur socle de bois bricolé. Ils les portent sur le plancher. La séquence d’ouverture se rejoue mais dans un espace encombré. Les tables tournent, les musiques se mêlent (très belle univers sonore géré par Simon Elmaleh), les gestes se reprennent, des sourires s’échangent, si évidents, si pleins de ce qui vient de se vivre, de se créer. Des sourires qui gagnent le public, qui retient son souffle sur les derniers grésillements des saphirs, hésitant à rompre le silence par des applaudissements. La marque des grands spectacles!
C’est un spectacle à voir, c’est un spectacle à programmer, météorite à l’orbite parfaite, équilibre si rare entre un procédé technique et une proposition artistique. Merci au Théâtre Rude Ingénierie pour ce bricolage et cette audace.
Direction chorégraphie et mise en scène: Philippe Lessard Drolet. Interprétation et collaboration à la chorégraphie: Josiane Bernier et Fabien Piché. Son: Simon Elmaleh. Éclairages et programmation du système interactif: Philippe Lessard Drolet. Une production du Théâtre Rude Ingénierie. À Méduse, en collaboration avec la Rotonde, à l’occasion du Mois Multi, jusqu’au 26 février 2016.
Le Mois Multi propose un spectacle magistral avec (Entre) du Théâtre Rude Ingénierie, compagnie de production multidisciplinaire de la ville de Québec qui se concentre sur la rencontre du son, de l’image, de l’objet, de l’ingénierie et du vivant. Ce spectacle marque leur premier pas dans l’univers de la danse et c’est sans doute cette virginité qui contribue tant à la force de la proposition. Elle est aussi leur marque de fabrique, puisque la compagnie cherche dans chacun de ses projets à aborder de nouvelles disciplines ou univers mais à la façon d’un jouet: explorer ses possibles et ne pas en faire une fin.
Philippe Lessard-Drolet (direction, mise en scène, lumière et interface technique) et Bruno Bouchard (dramaturgie, regard extérieur), qui explorent souvent des univers mêlant technologie, bricolage et théâtre d’objets, cherchaient à croiser la danse à un dispositif interactif; en gros des caméras captent les mouvements des danseurs et les images sont traduites en pixels de lumière par un ensemble de projecteur lumineux surplombant une plancher de bois rectangulaire.
Ce qui est extraordinaire, c’est que dès les premiers instants, le prétexte technologique est oublié, ou plus précisément le dispositif se met absolument au service du propos. Il est, d’une certaine mesure, le propos, puisque le plaisir du spectacle, tant pour les spectateurs que pour les danseurs (Josiane Bernier et Fabien Piché, tous deux magnifiques) réside en partie dans le fait de voir l’espace réagir aux gestes des danseurs, la lumière ou les sons changer en fonction des mouvements (sept tables tournantes diffusent des disques, manipulés par les danseurs). Mais tout cela devient vite secondaire devant la force de la proposition scénique, qui est un mélange de danse, de théâtre, avec des influences cinématographiques (une habitude chez Rude Ingénierie) et un déploiement de petits objets récupérés, comme autant de reliques d’une histoire (de couple) passée.
Jamais, je n’ai vu un spectacle s’appuyant sur un univers technologique réactif être capable à ce point d’émouvoir, de créer pleinement à partir de l’outil convoqué – ce dernier demeure un matériau de construction. Et cet outil est ici au service d’une proposition remarquable, et amplifie même sans doute les qualités chorégraphiques, interprétatives des danseurs et les qualités créatives de chaque membre de l’équipe, en offrant à chacun une liberté rare.
La gestuelle est très charnelle, vive, contrastée. On passe de gestes glissés rappelant Pina Baush, à des mouvements de bossa nova délirants, à des suspensions, à des postures loufoques, et toujours les corps se cherchent, dans des mouvements qui dépassent ceux de la danse improvisée ou les mouvements habituels de ces deux danseurs, en leur offrant une théâtralité, un humour, une liberté de déborder.
Comme souvent les contraintes techniques ont fait office de moteur: il fallait intégrer l’emplacement des caméras, la manipulation des objets (qui vont peupler progressivement l’espace). Les danseurs évoluent dans une terre inconnue, mélange de contraintes, de gestion de plateau, mais aussi d’un processus qui les a vus intervenir plus que jamais. Et l’on assiste, émerveillé, à une libération du corps, un corps dansant qui célèbre avant tout ses propres capacités à se mouvoir, à toucher, à glisser, à se glisser entre, à s’approcher, à être pleinement présent dans l’univers qui se crée et dans cette évocation d’un couple qui semble relire ces moments de fusion et d’écart. La précision et la complicité des deux interprètes contribue beaucoup à ce sentiment si charnel, si joyeux, si plein, si malicieux. Les mouvements comme les pauses, les attitudes sont d’une précision rare.
Dans la dernière partie, les danseurs rapprochent les tables tournantes et leur socle de bois bricolé. Ils les portent sur le plancher. La séquence d’ouverture se rejoue mais dans un espace encombré. Les tables tournent, les musiques se mêlent (très belle univers sonore géré par Simon Elmaleh), les gestes se reprennent, des sourires s’échangent, si évidents, si pleins de ce qui vient de se vivre, de se créer. Des sourires qui gagnent le public, qui retient son souffle sur les derniers grésillements des saphirs, hésitant à rompre le silence par des applaudissements. La marque des grands spectacles!
C’est un spectacle à voir, c’est un spectacle à programmer, météorite à l’orbite parfaite, équilibre si rare entre un procédé technique et une proposition artistique. Merci au Théâtre Rude Ingénierie pour ce bricolage et cette audace.
(Entre)
Direction chorégraphie et mise en scène: Philippe Lessard Drolet. Interprétation et collaboration à la chorégraphie: Josiane Bernier et Fabien Piché. Son: Simon Elmaleh. Éclairages et programmation du système interactif: Philippe Lessard Drolet. Une production du Théâtre Rude Ingénierie. À Méduse, en collaboration avec la Rotonde, à l’occasion du Mois Multi, jusqu’au 26 février 2016.