Critiques

Fredy : Au-delà du fait divers

La mort de Fredy Villanueva, 18 ans, survenue le 9 août 2008 lors d’une intervention policière à Montréal-Nord, a provoqué une émeute et fait couler beaucoup d’encre. Les audiences publiques ayant suivi l’enquête policière n’ont pu élucider clairement ce qui s’était passé ce jour-là.

L’auteure Annabel Soutar et sa compagnie Porte Parole ont réussi, avec rigueur et délicatesse, à éclairer un fait divers tragique hautement symbolique. La pièce Fredy doit être vue par le plus grand nombre. De cette affaire éminemment complexe a résulté un rapport d’enquête, cinq ans et demi après l’événement, rédigé à partir de quelque 25 000 pages de transcription, soit environ 6 millions de mots prononcés par témoins, avocats et juge. L’auteure, dont le propre travail d’enquête s’est buté à des portes fermées du côté de la police comme de la famille Villanueva, a conçu sa pièce en confrontant les discours. L’œuvre ne représenterait que 0.2% des paroles prononcées lors de l’enquête officielle… dont le montage crée un effet de choc salutaire.

Avec une maîtrise qui ne se dément pas, durant la petite heure trente-cinq que dure le spectacle, les sept interprètes d’origines culturelles diverses, totalement engagés, passant d’un personnage à l’autre, maintiennent une tension dramatique qui tient le public en alerte. Pas un mot ne nous échappe. Sans artifice, avec même un détachement nécessaire, le texte et la mise en scène explorent de façon efficace les méandres de l’affaire, chaque détail scruté, confronté à ce qu’ont dit les témoins ou rapporté les médias.

La pièce Fredy, qui relate une histoire immensément triste, se révèle chargée d’émotion du début à la fin. Si l’on sent tout de même un point de vue plus indulgent pour les jeunes impliqués dans l’affaire que pour la police, dont, à la fois, on ne saisit pas bien les raisons d’agir et le drame humain qui a pu être vécu, il n’empêche que les questions posées ne laissent pas indifférent. Le sujet du profilage racial ne peut être évité. Les nombreux meurtres de Noirs aux États-Unis ces dernières années nous viennent évidemment à l’esprit. Au-delà du fait divers, l’histoire démontre qu’il y a sans doute une leçon sociale à en tirer.

Le théâtre documentaire de la compagnie Porte Parole provoque le débat en abordant un sujet aussi délicat, mais le fait avec un respect et un investissement citoyen qui sont tout à l’honneur de ses artisans. Le metteur en scène Marc Beaupré a su tirer le meilleur du texte comme de ses interprètes, tous impeccables. La scène, transformée en salle de tribunal, prend le public à témoin, certains comédiens s’adressant parfois même directement à lui. À chacun, chacune, de se faire sa propre idée. Il ne faut surtout pas se priver de ce théâtre essentiel, qui vous remue.

Fredy

Texte: Annabel Soutar. Mise en scène: Marc Beaupré. Scénographie, costumes et accessoires: Julie Measroch. Éclairages: François Blouin. Musique: Alexander MacSween. Avec Solo Fugère, Ricardo Lamour, Nicolas Michon, Iannicko N’Doua, Alice Pascual, Joanie Poirier et Étienne Thibeault. Une production de Porte Parole. À la Licorne jusqu’au 26 mars 2016. Distribution 2017: Kémy St-Éloy, Ariane Castellanos, Ayana O’Shun, Joanie Poirier, Maxime Genois, Nicolas Michon et Victor Andrés Trelles TurgeonÀ la Petite Licorne du 18 au 22 décembre 2017. Dans le réseau Accès culture Montréal du 17 au 23 mars 2018. À l’Usine C du 26 au 29 mars 2018.