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Gabrielle Lessard réinvente le monde

© Pascale Methot

Autrice et metteure en scène, Gabrielle Lessard n’a pas froid aux yeux ni la langue dans sa poche. Elle présente, à partir du 24 mars aux Écuries, Les Savants, sa deuxième création en carrière.

Titulaire d’un diplôme en littérature, Gabrielle Lessard abandonne des études en sciences et en musique pour entrer au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Elle obtient son diplôme en interprétation en 2012. Cette même année, elle est Wendy dans le spectacle Peter Pan, présenté par la Roulotte. On la voit dans Le P’tit Jourdain, mis en scène par Hubert Fielden à la salle Fred-Barry, et elle participe à Théâtre Tout Court. Plus récemment, elle interprète Nine dans Le Désir de Gobi de Suzie Bastien, au Théâtre Prospero, et elle part en tournée avec le spectacle pour adolescents Noyade(S), écrit et mis en scène par Jean-François Guilbeault et Andréane Joubert, de Samsara Théâtre.

En 2013, elle présente une première création, Retenir l’Aube, à l’Espace 4001 : « C’était pour découvrir ma plume, dit Gabrielle Lessard, un laboratoire présenté devant un public. Un texte poétique, instinctif, mais surtout une expérience dont j’ai beaucoup appris. »

Du rire à la grimace

Les Savants a été présenté en tant que laboratoire à Zone Homa en 2014, ce qui lui a permis de tester son texte : « Ce que j’ai voulu faire, c’est mixer le scientifique et le théâtral. J’ai écrit ce que j’appelle une utopie idéaliste, en brodant le portrait d’une société où tout va bien, où tout le monde est heureux. Puis, la question de faire un bébé est arrivée dans ma vie privée et m’a beaucoup interpelée, à tel point qu’elle s’est glissée dans mon projet. »

Curieusement, Gabrielle Lessard se pose à peu près les mêmes questions que celles qui sont soulevées dans la pièce Des arbres, présentée actuellement à La Licorne : sommes-nous les bonnes personnes pour élever un enfant ? Pourquoi mettre au monde un bébé dans notre société ? « Les Savants est une fable assez comique, reprend-elle. On suit un couple, Jules et Sylvie, qui viennent d’obtenir un permis de naissance et sont donc reconnus aptes à procréer, contrairement à Agathe qui, elle, n’a pas eu ce fameux permis alors qu’elle était déjà enceinte. Contrainte de se faire avorter, elle est envoyée en observation auprès du couple. L’agente du gouvernement, représentante du Ministère des naissances, surveille étroitement Jules et Sylvie afin de s’assurer que tout se passe bien. Je voulais avoir un propos à la fois politique et comique : comment faire si tout est contrôlé, arrangé, alors que nous sommes des êtres orgueilleux, amoureux, idéalistes ? Ce n’est pas vraiment une pièce futuriste, car la société que je décris reste humaine, il n’y a pas de caméra de surveillance ni d’autres gadgets technologiques. Mais l’obsession de la perfection génère un certain malaise. Tous les éléments de la pièce ont été puisés dans des sociétés contemporaines, le contrôle des naissances en Chine, la surveillance étatisée des enfants en Grande-Bretagne… Je veux prendre position, sans pour autant brandir des revendications. J’ai envie que les spectateurs rient, jusqu’à ce que leur rire vire en grimace. »

Dans la société imaginée par Gabrielle Lessard, on a droit au confort, mais pas à la liberté individuelle. Tout est défini par avance, les partys comme les désirs : « Sylvie veut écrire mais cette activité lui est interdite, parce qu’elle est jugée contre-productive. Plus les personnages ont des émotions ou des élans humains, moins ils sont heureux. Le jugement critique n’est pas permis non plus. Cela ressemble à ce que nous vivons : nous sommes bien divertis, mais nous ne sommes pas si libres qu’on veut le croire, le printemps érable l’a bien montré. »

Le goût du risque

Pour monter cette pièce, sans aucune subvention, Gabrielle Lessard s’est endettée : « C’est un quitte ou double, dit-elle. Mon objectif est d’établir un dialogue avec la communauté théâtrale, de me faire des alliés. J’aimerais aussi présenter cette pièce dans un autre théâtre. J’avais très envie de travailler avec Emmanuelle Lussier-Martinez, Marianne Dansereau, Catherine Lavoie et Michel-Maxime Legault, de partager avec eux un moment fort. Et ça, c’est déjà réussi ! »

Farouchement indépendante, Gabrielle Lessard avoue se méfier des institutions : « Si tu n’es pas dans le copinage, tu n’as aucune aide. Quand j’ai présenté Retenir l’aube, ça m’a coûté 200 $ pour le faire lire, j’ai eu une réponse près d’un an plus tard, me disant que ce n’est pas un texte de théâtre, mais de poésie, et qu’on ne souhaitait à aucun acteur de jouer dans cette pièce ! J’attendais des commentaires constructifs, pas une lettre d’insultes. Je trouve que beaucoup de textes qui sortent du CEAD sont formatés, ils se ressemblent tous. Les gens qui y travaillent n’ont eu aucune considération pour mon œuvre en chantier, alors qu’ils auraient dû m’encourager et  m’accompagner en tant que jeune auteur. Une écriture, ça ne se passe pas au papier sablé, ça évolue, ça progresse… Ce sont ses maladresses qui en font l’intérêt, à mon avis… »

Les Savants

Texte et mise en scène : Gabrielle Lessard. Son : Le Futur. Scénographie : Odile Gamache. Éclairages : Cédric Delorme-Bouchard. Avec Marianne Dansereau, Catherine Lavoie, Michel-Maxime Legault et Emmanuelle Lussier-Martinez. Aux Écuries du 24 mars au 3 avril 2016.