D’entrée de jeu, Fabien Cloutier explique qu’il n’est pas homme à relocaliser gentiment dans un parc un écureuil qui lui casserait les noix. Il se délecterait plutôt à l’idée de lui faire subir mille et une tortures sanguinaires. Si l’anecdote présente peu d’intérêt en soi, elle se révèle pourtant une juste métaphore de ce qu’il faut attendre d’Assume, premier spectacle de stand-up comique du dramaturge, chroniqueur et comédien. Ce fustigeur de la bêtise humaine ne cajolera pas l’auditoire. Il abattra violemment tout ce qui aura le malheur de croiser son regard assassin.
L’auteur du livre Trouve-toi une vie entend manifestement choquer son auditoire. Et, seul sur scène (hormis un écureuil empaillé), soutenu par quelques effets d’éclairages et de musique, il y parvient. Parfois en usant d’une langue scabreuse – où les allégories anales et fécales se révèlent quelque peu surexploitées –, parfois en suggérant des images ou même des odeurs répulsives.
L’habile conteur répugne ainsi le public afin d’accroître l’impact de ses propos, tel un Pier Paolo Pasolini (pensons à Porcherie et à Salò ou les 120 jours de Sodome) de l’humour québécois. Il s’en prend de cette façon notamment à certains adeptes du mouvement bio qui, friands d’une harmonie originelle avec la nature, font fi des notions modernes d’hygiène.
Autre stratégie déployée en vue d’ébranler l’auditoire: la moquerie pure et simple. En les apostrophant virtuellement à grands coups d’épithètes belliqueuses telles que «nounounes» ou «niaiseuses», l’humoriste s’attaque aux participantes des émissions de décoration qui ne peuvent que s’en remettre à des experts pour changer la couleur de leurs murs ou la disposition de leurs meubles.
Cette analyse pertinente et drôle peut en outre se targuer de poursuivre un but louable, soit de conscientiser les coupables d’une inertie pathétique face à une situation insatisfaisante qu’il est entièrement en leur pouvoir de modifier, les initiant ainsi aux joies du libre-arbitre. On reconnaît là, d’ailleurs, l’un des chevaux de bataille de Cloutier, à savoir la prééminence du gros bon sens et des choix individuels tant en ce qui a trait à la nourriture (Pour réussir un poulet) qu’en ce qui concerne l’éducation et les soins à apporter aux enfants (Billy (les jours de hurlement)), entre autres sujets.
Si ce type d’humour se veut constructif, puisqu’il instigue une réflexion véritable, il est permis de se demander, en revanche, quelle finalité peut être visée par d’autres procédés comme la ridiculisation de l’accent jeannois ou saguenéen. Faut-il comprendre que l’humoriste se moque plutôt de ceux qui bafouent cet idiome?
Rire de tout mais surtout des autres
Cette hypothèse est loin d’être avérée et semble un peu facile. Transformera-t-on le second degré de l’humour en un gigantesque parapluie sous lequel il fait bon s’abriter des critiques des apôtres de la tolérance pendant que l’on se moque éhontément des différences des uns et des autres? D’aucuns se poseront certainement cette question à la suite de la représentation. Peut-être est-ce là, en soi, une petite victoire pour le satiriste Cloutier…
Chose certaine, l’univers de Fabien Cloutier, humoriste soliste, est loin d’être étranger à celui du personnage de Scotstown et de Cranbourne. On y retrouve la même langue crue, une certaine autodérision, le même type d’historiettes colorées quoique plus courtes, mais aussi un brin de cette candeur (passant, entre autres, par l’amalgame de différents niveaux de langue et par l’usage de métaphores surprenantes) qui rendait le «chum à Chabot» attachant malgré son manque d’éducation et de culture.
Or, il est étonnant de retrouver aussi, dans Assume, le même genre de stéréotypes que ceux véhiculés dans les deux solos théâtraux (comme la tendance à l’ivrognerie qu’il prête aux Beaucerons, par exemple) sans pouvoir, cette fois, les mettre sur le compte du spectre intellectuel restreint d’un quelconque personnage.
Sans doute doit-on saluer l’audace de celui qui tente de prouver qu’on peut impunément rire de tout. Car Assume ne manque pas de déclencher, du moins à certains moments, l’hilarité. Mais la question la plus importante reste de savoir si l’on a envie, sous prétexte de participer à une prise de conscience collective des travers de la société québécoise, de passer une soirée à rire parfois de soi, mais bien souvent des autres, qu’ils soient collectionneurs d’attaches à pain, amateurs de restauration rapide, pourfendeurs obsessionnels de pissenlits, partisans du poil pubien libre, propriétaires immobiliers dénués de toute initiative en décoration ou encore simplement Jeannois.
Texte et mise en scène: Fabien Cloutier. Une production d’Encore Spectacle. En tournée à travers le Québec jusqu’au 16 mai 2018.
D’entrée de jeu, Fabien Cloutier explique qu’il n’est pas homme à relocaliser gentiment dans un parc un écureuil qui lui casserait les noix. Il se délecterait plutôt à l’idée de lui faire subir mille et une tortures sanguinaires. Si l’anecdote présente peu d’intérêt en soi, elle se révèle pourtant une juste métaphore de ce qu’il faut attendre d’Assume, premier spectacle de stand-up comique du dramaturge, chroniqueur et comédien. Ce fustigeur de la bêtise humaine ne cajolera pas l’auditoire. Il abattra violemment tout ce qui aura le malheur de croiser son regard assassin.
L’auteur du livre Trouve-toi une vie entend manifestement choquer son auditoire. Et, seul sur scène (hormis un écureuil empaillé), soutenu par quelques effets d’éclairages et de musique, il y parvient. Parfois en usant d’une langue scabreuse – où les allégories anales et fécales se révèlent quelque peu surexploitées –, parfois en suggérant des images ou même des odeurs répulsives.
L’habile conteur répugne ainsi le public afin d’accroître l’impact de ses propos, tel un Pier Paolo Pasolini (pensons à Porcherie et à Salò ou les 120 jours de Sodome) de l’humour québécois. Il s’en prend de cette façon notamment à certains adeptes du mouvement bio qui, friands d’une harmonie originelle avec la nature, font fi des notions modernes d’hygiène.
Autre stratégie déployée en vue d’ébranler l’auditoire: la moquerie pure et simple. En les apostrophant virtuellement à grands coups d’épithètes belliqueuses telles que «nounounes» ou «niaiseuses», l’humoriste s’attaque aux participantes des émissions de décoration qui ne peuvent que s’en remettre à des experts pour changer la couleur de leurs murs ou la disposition de leurs meubles.
Cette analyse pertinente et drôle peut en outre se targuer de poursuivre un but louable, soit de conscientiser les coupables d’une inertie pathétique face à une situation insatisfaisante qu’il est entièrement en leur pouvoir de modifier, les initiant ainsi aux joies du libre-arbitre. On reconnaît là, d’ailleurs, l’un des chevaux de bataille de Cloutier, à savoir la prééminence du gros bon sens et des choix individuels tant en ce qui a trait à la nourriture (Pour réussir un poulet) qu’en ce qui concerne l’éducation et les soins à apporter aux enfants (Billy (les jours de hurlement)), entre autres sujets.
Si ce type d’humour se veut constructif, puisqu’il instigue une réflexion véritable, il est permis de se demander, en revanche, quelle finalité peut être visée par d’autres procédés comme la ridiculisation de l’accent jeannois ou saguenéen. Faut-il comprendre que l’humoriste se moque plutôt de ceux qui bafouent cet idiome?
Rire de tout mais surtout des autres
Cette hypothèse est loin d’être avérée et semble un peu facile. Transformera-t-on le second degré de l’humour en un gigantesque parapluie sous lequel il fait bon s’abriter des critiques des apôtres de la tolérance pendant que l’on se moque éhontément des différences des uns et des autres? D’aucuns se poseront certainement cette question à la suite de la représentation. Peut-être est-ce là, en soi, une petite victoire pour le satiriste Cloutier…
Chose certaine, l’univers de Fabien Cloutier, humoriste soliste, est loin d’être étranger à celui du personnage de Scotstown et de Cranbourne. On y retrouve la même langue crue, une certaine autodérision, le même type d’historiettes colorées quoique plus courtes, mais aussi un brin de cette candeur (passant, entre autres, par l’amalgame de différents niveaux de langue et par l’usage de métaphores surprenantes) qui rendait le «chum à Chabot» attachant malgré son manque d’éducation et de culture.
Or, il est étonnant de retrouver aussi, dans Assume, le même genre de stéréotypes que ceux véhiculés dans les deux solos théâtraux (comme la tendance à l’ivrognerie qu’il prête aux Beaucerons, par exemple) sans pouvoir, cette fois, les mettre sur le compte du spectre intellectuel restreint d’un quelconque personnage.
Sans doute doit-on saluer l’audace de celui qui tente de prouver qu’on peut impunément rire de tout. Car Assume ne manque pas de déclencher, du moins à certains moments, l’hilarité. Mais la question la plus importante reste de savoir si l’on a envie, sous prétexte de participer à une prise de conscience collective des travers de la société québécoise, de passer une soirée à rire parfois de soi, mais bien souvent des autres, qu’ils soient collectionneurs d’attaches à pain, amateurs de restauration rapide, pourfendeurs obsessionnels de pissenlits, partisans du poil pubien libre, propriétaires immobiliers dénués de toute initiative en décoration ou encore simplement Jeannois.
Assume
Texte et mise en scène: Fabien Cloutier. Une production d’Encore Spectacle. En tournée à travers le Québec jusqu’au 16 mai 2018.