Critiques

Straight Jacket Winter : Immigrants de l’intérieur

© Renaud Philippe

Voyage dans la naïveté et l’enfermement volontaire, Straight Jacket Winter, empruntant à L’Hiver de force de Réjean Ducharme et un tout petit peu à la ville de Vancouver, nous présente le lent repli sur soi de deux jeunes qui découvrent l’étranger.

Les deux auteurs québécois empruntent rapidement la voie des migrants intérieurs, perdus dans ce qu’ils croyaient être leur pays, alors qu’ils découvrent plutôt Hongcouver, ville canadienne au bord du Pacifique. Où le français, langue officielle du Canada, ne vient qu’en 10e position dans ce multiculturalisme fortement teinté de présences asiatiques, tous pays confondus. Les auteurs évoquent ici l’impossibilité de se sentir chez soi dans ce bout de pays, terre d’aliénation.

© Renaud Philippe

Le dispositif narratif s’articule en deux zones connexes. À partir des coulisses, installées sur scène de part et d’autre du plateau central, les deux auteurs dirigent, observent, manipulent leurs avatars qui occupent, eux, le centre de la scène. Dans une série de tableaux, on assiste alors à la découverte progressive du couple qui déménage sur la Côte Ouest, pour y faire sa vie: difficulté de communication à cause d’une barrière linguistique, l’anglais d’abord puis le mandarin ensuite, incapacité à développer un réseau social.

Le couple choisit alors d’explorer la réclusion, l’enfermement, le repli sur soi. Dans un lent processus de perte de conscience, ils se rapprochent de la folie, après avoir épuisé leurs ressources personnelles, après avoir éliminé systématiquement les stimuli extérieurs: déchiquetage de livres, vinyles sans table tournante pour reconstruire la musique dans leur tête, abandon du travail pour lui…

Leur ennui est communicatif, leur désœuvrement, total. Les deux auteurs assistent et suivent avec tendresse, et aussi parfois un brin de nostalgie, les déboires de leurs alter ego. Puis n’y tenant plus, tel un deus ex machina, ils viennent les sauver de leur enfermement, recréant sur scène un «home» perdu pour enfin se réconcilier avec la vie.

© Renaud Philippe

Straight Jacket Winter (en effet, comment traduire L’Hiver de force?) aborde la question d’intégration lorsqu’on est plongé dans un monde inconnu. Mais ces expatriés de l’intérieur sont ici peu confrontés au pays nouveau et ne nous fournissent que quelques pistes superficielles de cette collision avec ce coin de pays. L’impression qu’on ressent s’alimente donc plus de leur incapacité à se déployer dans le monde, plutôt qu’au choc culturel, articulé ici sur principalement sur la langue…

Étrange proposition qui semble ne pas trouver son adéquation entre la misère des migrants, surfaite ici, et la rupture d’avec le monde des adolescents de Ducharme. Comme si les deux intentions ne parvenaient pas à cohabiter, rendant l’une et l’autre invraisemblable. Alors il ne reste plus que quelques images intéressantes, la maquette finale, l’entre-corps érotique plutôt jouissif mais qui hésite à s’assumer, une certaine tension entre les créateurs et leurs créatures, un jeu de coulisses efficace. Bref une pièce dont le devenir me semble incertain. Et ce malgré la belle brochette de collaborateurs.

Straight Jacket Winter

Texte et mise en scène: Esther Duquette et Gilles Poulin-Denis. Collaboration à la mise en scène: Édith Patenaude. Scénographie et accessoires: Julie Vallée-Léger. Costumes: Drew Facey. Éclairages: Itai Erdal. Musique: Antoine Berthiaume et Jacques Poulin-Denis. Vidéo: Antoine Quirion Couture. Conseiller dramaturgique: Philippe Ducros. Conseiller artistique: Craig Holzschuh. Avec Esther Duquette, Frédéric Lemay, Gilles Poulin-Denis et Julie Trépanier. Une coproduction de 2PAR4, du Théâtre français du Centre national des Arts et du Théâtre la Seizième. Au Périscope, à l’occasion du Carrefour international de théâtre, jusqu’au 29 mai 2016. À la Licorne du 11 au 16 décembre 2017.