Critiques

Judson Church is Ringing in Harlem (Made-to-Measure) : L’émotion avant tout

Trajal Harrell misait sur l’extravagance avec son Antigone Sr, présentée au FTA il y a deux ans. Cette fois, l’expérience est autre avec M2M, Made to Measure, une commande du prestigieux MoMA de New York soulignant le 40e anniversaire des premières performances de la Judson Church.

Avec ses complices Thibault Lac et Ondrej Vidlar (toujours aussi magnétiques), Harrell joue cette fois la carte de l’intimité, la salle de répétition du Monument-National se trouvant dépouillée à son maximum. Impossible pour le spectateur de fuir la fragilité des interprètes, mais aussi celle des participants, certains parfois troublés par l’apparente absence d’oscillation.

Chaque impulsion se décline d’abord dans l’infiniment subtil (le travail de butō amorcé de façon parallèle par Harrell produit déjà son effet) avant que les frémissements des doigts évoquent la douleur autant que la douceur, l’impulsion de la main s’exprimant alors de façon presque intime. Le mouvement devient libération, semble purifié – liquéfié presque – avant que l’on puisse retrouver ces impulsions associés au voguing et ces Balls qu’Harrell a intégré avec maestria au fil de ses productions précédentes.

Les danseurs se prêtent volontiers au jeu, chaque geste devenant exaltation, que ce soient ceux des interprètes ou des spectateurs, certains devenant volontiers danseur d’un soir.  « Work it ! » ou « Don’t Think ! » : les danseurs incitent à la catharsis dans son expression la plus simple. Tout peut basculer en une fraction de seconde selon les pulsions des participants, la façon dont chacun réagira aux gestes, aux regards.

Le corps exultera avant de s’apaiser, laissant danseurs et spectateurs sur un même pied d’égalité, dépassé par la force du geste, par la communion ressentie.

On suivra le prochain projet de Trajal Harrell avec intérêt.

Judson Church is Ringing in Harlem (Made-to-Measure)

Chorégraphie de Trajal Harrell. Une coproduction de Danspace Project – Platform 2012 (New York), avec Judson@50 (New York), Moma PS1 (New York et HauHebbel Am Ufer (Berlin). Présenté au FTA les 29 et 30 mai 2016.

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.