Chaque année, dans le Kentucky, se réunissent des ventriloques venus du monde entier. Ils sont aussi différents que la pratique de la ventriloquie peut l’être, qui va du cabaret de Las Vegas à l’hôpital pour enfant, du cirque au festival rock ou à la télévision. Gisèle Vienne, marionnettiste de formation et créatrice de cette « partition sophistiquée » avec Dennis Cooper, auteur américain avec qui elle travaille depuis quelques années, a d’ailleurs assisté à une de ces réunions en 2014.
Dans ce spectacle, construit à partir d’improvisations dirigées et interprété magistralement par cinq marionnettistes du célèbre ensemble Puppertheater de Halle, en Allemagne, par Jonathan Capdevielle, acteur fétiche de Gisèle Vienne (qu’on a vu dans le saisissant Jerk) et par trois autres ventriloques, chacun semble jouer son propre rôle (et porte son propre nom), ce qui d’entrée installe le trouble.
L’animateur (Nils Dreschke), américain en diable avec ses airs enjoués, ses blagues foireuses et sa marionnette double de lui-même, fait les présentations : Lars et sa créature insolente et grivoise, qui semble complètement indépendante de lui, ce qui fait qu’il l’engueule et la tabasse ; le festivalier un peu zone avec sa marionnette de Kurt Cobain, accompagné d’une pétasse munie d’une bombe aérosol qui ne cherche qu’à coucher avec des célébrités qu’elle drague au Fuck You Festival ; Jessica, une blonde travestie flanquée d’une sauterelle verte et de son fils Vincent, qui aspire lui aussi à devenir ventriloque avec une muppet violette ; l’élégante Kristen, bon chic bon genre, et sa marionnette historique héritée de son père ventriloque, Klaus Kraus ; Ines l’infirmière qui distrait les enfants malades avec un pantin ressemblant à un fantôme sanguinolent et une jeune punk qui anime un coussin, Pillow, en lequel elle voit une sculpture de Brancusi.
Tout commence plutôt bien pour cette étrange assemblée. On se congratule, on se découvre, on réseaute. Chacun y va de son numéro, et on assiste à des moments extraordinaires, tel ce dialogue émouvant entre Kristen et Klaus, évoquant le deuil du père et l’enfance massacrée. Puis, tout se détraque, quand les marionnettes prennent le contrôle et que les manipulateurs deviennent manipulés… Ce qui donne lieu à des moments désopilants, comme la scène de drague entre Pillow et Kurt Cobain, ou encore l’accouchement de la mante religieuse. Dans cette fissure s’engouffrent et se subliment les sentiments refoulés, qui virent au tragique sous l’impulsion mortifère de l’infirmière.
On le sait depuis Guignol, la marionnette ose dire des choses que les humains ne se permettraient pas. Là, c’est l’inconscient qui s’exprime, à travers une multitude de voix, associées ou dissociées du corps émetteur. De la marionnette, de l’acteur et du ventriloque, on se demande qui parle. Cet ensemble choral crée un état de confusion appelant la catharsis, tout simplement captivant. Ainsi se dit le non-dit : les angoisses de mort, la solitude, le désir, le désespoir, dans un jeu de doubles qui fait craindre la schizophrénie.
La scène finale, quand Jessica (Jonathan Capdevielle), aidée de la muppet empruntée à Vincent («tout le monde aime les muppets, on est programmé pour ça»), avoue son malaise existentiel est poignante. Et se termine par : «I don’t remember the end.»
Texte de Dennis Cooper, en collaboration avec les interprètes. Mise en scène et conception des marionnettes de Gisèle Vienne. Une production de D.A.C.M. et du Puppentheater Halle. Présenté au FTA les 30 et 31 mai 2016.
Chaque année, dans le Kentucky, se réunissent des ventriloques venus du monde entier. Ils sont aussi différents que la pratique de la ventriloquie peut l’être, qui va du cabaret de Las Vegas à l’hôpital pour enfant, du cirque au festival rock ou à la télévision. Gisèle Vienne, marionnettiste de formation et créatrice de cette « partition sophistiquée » avec Dennis Cooper, auteur américain avec qui elle travaille depuis quelques années, a d’ailleurs assisté à une de ces réunions en 2014.
Dans ce spectacle, construit à partir d’improvisations dirigées et interprété magistralement par cinq marionnettistes du célèbre ensemble Puppertheater de Halle, en Allemagne, par Jonathan Capdevielle, acteur fétiche de Gisèle Vienne (qu’on a vu dans le saisissant Jerk) et par trois autres ventriloques, chacun semble jouer son propre rôle (et porte son propre nom), ce qui d’entrée installe le trouble.
L’animateur (Nils Dreschke), américain en diable avec ses airs enjoués, ses blagues foireuses et sa marionnette double de lui-même, fait les présentations : Lars et sa créature insolente et grivoise, qui semble complètement indépendante de lui, ce qui fait qu’il l’engueule et la tabasse ; le festivalier un peu zone avec sa marionnette de Kurt Cobain, accompagné d’une pétasse munie d’une bombe aérosol qui ne cherche qu’à coucher avec des célébrités qu’elle drague au Fuck You Festival ; Jessica, une blonde travestie flanquée d’une sauterelle verte et de son fils Vincent, qui aspire lui aussi à devenir ventriloque avec une muppet violette ; l’élégante Kristen, bon chic bon genre, et sa marionnette historique héritée de son père ventriloque, Klaus Kraus ; Ines l’infirmière qui distrait les enfants malades avec un pantin ressemblant à un fantôme sanguinolent et une jeune punk qui anime un coussin, Pillow, en lequel elle voit une sculpture de Brancusi.
Tout commence plutôt bien pour cette étrange assemblée. On se congratule, on se découvre, on réseaute. Chacun y va de son numéro, et on assiste à des moments extraordinaires, tel ce dialogue émouvant entre Kristen et Klaus, évoquant le deuil du père et l’enfance massacrée. Puis, tout se détraque, quand les marionnettes prennent le contrôle et que les manipulateurs deviennent manipulés… Ce qui donne lieu à des moments désopilants, comme la scène de drague entre Pillow et Kurt Cobain, ou encore l’accouchement de la mante religieuse. Dans cette fissure s’engouffrent et se subliment les sentiments refoulés, qui virent au tragique sous l’impulsion mortifère de l’infirmière.
On le sait depuis Guignol, la marionnette ose dire des choses que les humains ne se permettraient pas. Là, c’est l’inconscient qui s’exprime, à travers une multitude de voix, associées ou dissociées du corps émetteur. De la marionnette, de l’acteur et du ventriloque, on se demande qui parle. Cet ensemble choral crée un état de confusion appelant la catharsis, tout simplement captivant. Ainsi se dit le non-dit : les angoisses de mort, la solitude, le désir, le désespoir, dans un jeu de doubles qui fait craindre la schizophrénie.
La scène finale, quand Jessica (Jonathan Capdevielle), aidée de la muppet empruntée à Vincent («tout le monde aime les muppets, on est programmé pour ça»), avoue son malaise existentiel est poignante. Et se termine par : «I don’t remember the end.»
The Ventriloquists Convention
Texte de Dennis Cooper, en collaboration avec les interprètes. Mise en scène et conception des marionnettes de Gisèle Vienne. Une production de D.A.C.M. et du Puppentheater Halle. Présenté au FTA les 30 et 31 mai 2016.