Quand un nom propre devient un nom commun, c’est que ce qu’il désigne est fort répandu… Des tartuffes, ces faux dévots qui embrigadent sous prétexte de montrer « le chemin du ciel » pour mieux escroquer, il y en a encore depuis que Molière, en 1669, leur a consacré une comédie désopilante à souhait. Le texte n’a pas pris une ride !
Ce Tartuffe mis en scène par Denis Marleau est réjouissant. Manifestement très bien dirigés, les comédiens se mettent parfaitement en bouche ce texte en vers du XVIIe siècle. Ils le jouent avec une telle assurance et un tel investissement qu’il apparaît comme par enchantement presque naturel ! D’autant plus que Denis Marleau a décidé d’installer ses personnages dans un décor de la fin des années soixante au Québec. Ce choix n’entraîne pas une « adaptation », tout le texte de Molière est respecté ; mais ce déplacement dans le temps et l’espace a le mérite de décupler les lectures.
Comme il l’avait fait avec Woyzeck de Büchner, transporté dans un village de la Nouvelle-Angleterre rappelant des communautés puritaines du XIXe siècle, Denis Marleau choisit ici des connotations nord-américaines pour faire entendre un texte classique. Encore une fois, c’est une réussite. Nous voici en 1969 dans un demeure aisée où les jeunes fument des joints, jouent de la guitare, se bécotent à qui mieux mieux au grand dam de la grand-mère (excellente Monique Miller) qui trouve ces comportements très peu pieux. Voilà bien illustrée la tension entre « libertins » et « conservateurs ». Peu importe l’époque, la société vit des transformations. Tout — le décor, les costumes, les attitudes, la musique — nous parle tellement qu’on devient immédiatement réceptif au texte de Molière ! Certains spectateurs se rappelleront peut-être avec un sourire en coin comment ils réussissaient à cacher à leurs parents qu’ils allaient se balader au parc plutôt que d’aller à la messe… Bref, ce changement spatio-temporel, marche « fort bien », comme dirait Molière.
Le bon sens, peut-être ?
La trame est assez simple : Orgon a recueilli chez lui un certain Tartuffe qui l’avait beaucoup impressionné par ses allures pieuses ; Tartuffe deviendra au fil du temps son confident et son directeur de conscience ; même si sa femme et ses enfants tentent de le soustraire à cette emprise, Orgon ne « faiblit » pas, persuadé que son « ami » est un être de vertu et d’abnégation, un modèle difficile à suivre. Orgon en viendra même à manquer à sa parole, ayant promis sa fille Mariane à Valère, pour lui imposer Tartuffe comme mari. Ce qui donnera lieu à des répliques suaves de la part de Dorine (extraordinaire Violette Chauveau), la suivante de Mariane, quasi domestique ici, qui la pousse à s’opposer à son père : « C’est à vous, non à lui, que le mari doit plaire », lui dira-t-elle, avant d’ajouter au grand rire de l’auditoire : « Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant / Il le peut épouser sans nul empêchement. » Admirons Molière dénonçant l’injustice et la cruauté des mariages obligés.
Et ce n’est pas tout, des phrases ayant un écho encore si pertinent que c’en est presque gênant, il y en a encore plein dans cette grande comédie. Jugez du peu : Cléante (posé Carl Béchard), ce beau-frère sage par qui, avec Dorine, passe le message de Molière, pour tenter d’apaiser la colère d’Orgon qui vient de découvrir la traîtrise de Tartuffe, lui dit : « nous vivons dans un temps où par la violence on fait mal ses affaires. » Cher Molière !
Benoît Brière, dans le rôle d’Orgon, est parfait, juste assez ferme pour se donner l’air du père de famille autoritaire, juste assez naïf pour se laisser berner par Tartuffe. Il est de ces faibles pour qui les « simagrées », les gestes extérieurs de la piété, suffisent comme preuve de ferveur religieuse. Ici aussi, le verdict est clair : dévotion affectée n’est pas dévotion. Son vis-à-vis, Emmanuel Schwartz, campe un Tartuffe ratoureur, étonnant de préciosité contrôlée, impayable dans les scènes de séduction d’Elmire. C’est par celle-ci, jouée par Anne-Marie Cadieux, que viendront les « preuves » drolatiques de l’hypocrisie de Tartuffe, ainsi qu’une dernière surprise, à la toute fin, qu’il ne faut pas révéler… Allez-y voir !
Texte de Molière. Mise en scène de Denis Marleau. Interprétation : Carl Béchard, Benoît Brière, Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau, Maxime Genois, Nicolas Dionne-Simard, Annie Ethier, Rachel Graton, Denis Lavalou, Bruno Marcil, Monique Miller, Jérôme Minière et Emmanuel Schwartz. Collaboration artistique et conception vidéo : Stéphanie Jasmin. Décor : Max-Otto Fauteux. Costumes : Michèle Hamel. Éclairages : Martin Labrecque. Musique originale et environnement sonore : Jérôme Minière. Maquillage et coiffures : Angelo Barsetti. Perruques : Rachel Tremblay. Une production du Théâtre du Nouveau Monde en collaboration avec Ubu, compagnie de création. Jusqu’au 22 octobre au Théâtre du Nouveau Monde, puis en tournée au Québec.
Quand un nom propre devient un nom commun, c’est que ce qu’il désigne est fort répandu… Des tartuffes, ces faux dévots qui embrigadent sous prétexte de montrer « le chemin du ciel » pour mieux escroquer, il y en a encore depuis que Molière, en 1669, leur a consacré une comédie désopilante à souhait. Le texte n’a pas pris une ride !
Ce Tartuffe mis en scène par Denis Marleau est réjouissant. Manifestement très bien dirigés, les comédiens se mettent parfaitement en bouche ce texte en vers du XVIIe siècle. Ils le jouent avec une telle assurance et un tel investissement qu’il apparaît comme par enchantement presque naturel ! D’autant plus que Denis Marleau a décidé d’installer ses personnages dans un décor de la fin des années soixante au Québec. Ce choix n’entraîne pas une « adaptation », tout le texte de Molière est respecté ; mais ce déplacement dans le temps et l’espace a le mérite de décupler les lectures.
Comme il l’avait fait avec Woyzeck de Büchner, transporté dans un village de la Nouvelle-Angleterre rappelant des communautés puritaines du XIXe siècle, Denis Marleau choisit ici des connotations nord-américaines pour faire entendre un texte classique. Encore une fois, c’est une réussite. Nous voici en 1969 dans un demeure aisée où les jeunes fument des joints, jouent de la guitare, se bécotent à qui mieux mieux au grand dam de la grand-mère (excellente Monique Miller) qui trouve ces comportements très peu pieux. Voilà bien illustrée la tension entre « libertins » et « conservateurs ». Peu importe l’époque, la société vit des transformations. Tout — le décor, les costumes, les attitudes, la musique — nous parle tellement qu’on devient immédiatement réceptif au texte de Molière ! Certains spectateurs se rappelleront peut-être avec un sourire en coin comment ils réussissaient à cacher à leurs parents qu’ils allaient se balader au parc plutôt que d’aller à la messe… Bref, ce changement spatio-temporel, marche « fort bien », comme dirait Molière.
Le bon sens, peut-être ?
La trame est assez simple : Orgon a recueilli chez lui un certain Tartuffe qui l’avait beaucoup impressionné par ses allures pieuses ; Tartuffe deviendra au fil du temps son confident et son directeur de conscience ; même si sa femme et ses enfants tentent de le soustraire à cette emprise, Orgon ne « faiblit » pas, persuadé que son « ami » est un être de vertu et d’abnégation, un modèle difficile à suivre. Orgon en viendra même à manquer à sa parole, ayant promis sa fille Mariane à Valère, pour lui imposer Tartuffe comme mari. Ce qui donnera lieu à des répliques suaves de la part de Dorine (extraordinaire Violette Chauveau), la suivante de Mariane, quasi domestique ici, qui la pousse à s’opposer à son père : « C’est à vous, non à lui, que le mari doit plaire », lui dira-t-elle, avant d’ajouter au grand rire de l’auditoire : « Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant / Il le peut épouser sans nul empêchement. » Admirons Molière dénonçant l’injustice et la cruauté des mariages obligés.
Et ce n’est pas tout, des phrases ayant un écho encore si pertinent que c’en est presque gênant, il y en a encore plein dans cette grande comédie. Jugez du peu : Cléante (posé Carl Béchard), ce beau-frère sage par qui, avec Dorine, passe le message de Molière, pour tenter d’apaiser la colère d’Orgon qui vient de découvrir la traîtrise de Tartuffe, lui dit : « nous vivons dans un temps où par la violence on fait mal ses affaires. » Cher Molière !
Benoît Brière, dans le rôle d’Orgon, est parfait, juste assez ferme pour se donner l’air du père de famille autoritaire, juste assez naïf pour se laisser berner par Tartuffe. Il est de ces faibles pour qui les « simagrées », les gestes extérieurs de la piété, suffisent comme preuve de ferveur religieuse. Ici aussi, le verdict est clair : dévotion affectée n’est pas dévotion. Son vis-à-vis, Emmanuel Schwartz, campe un Tartuffe ratoureur, étonnant de préciosité contrôlée, impayable dans les scènes de séduction d’Elmire. C’est par celle-ci, jouée par Anne-Marie Cadieux, que viendront les « preuves » drolatiques de l’hypocrisie de Tartuffe, ainsi qu’une dernière surprise, à la toute fin, qu’il ne faut pas révéler… Allez-y voir !
Tartuffe
Texte de Molière. Mise en scène de Denis Marleau. Interprétation : Carl Béchard, Benoît Brière, Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau, Maxime Genois, Nicolas Dionne-Simard, Annie Ethier, Rachel Graton, Denis Lavalou, Bruno Marcil, Monique Miller, Jérôme Minière et Emmanuel Schwartz. Collaboration artistique et conception vidéo : Stéphanie Jasmin. Décor : Max-Otto Fauteux. Costumes : Michèle Hamel. Éclairages : Martin Labrecque. Musique originale et environnement sonore : Jérôme Minière. Maquillage et coiffures : Angelo Barsetti. Perruques : Rachel Tremblay. Une production du Théâtre du Nouveau Monde en collaboration avec Ubu, compagnie de création. Jusqu’au 22 octobre au Théâtre du Nouveau Monde, puis en tournée au Québec.