Critiques

Album de finissants : Libérez les enfants!

© Marie-Ève Fortier

Créé en 2014, le spectacle Album de finissants a reçu cette année-là le prix Cochonnailles « décerné à une production inclassable mais incontournable » lors du Gala des Cochons d’or. Inclassable, certes, par sa dramaturgie éclatée et sa prise de parole exubérante, cette œuvre singulière réunit sur scène des comédiens professionnels et un chœur mixte de 25 élèves du secondaire, de 15 à 19 ans, dont plusieurs issus du quartier Centre-Sud. Cinquante jeunes y prennent part, en alternance, à Espace Libre, mais pas moins de 200, en fait, ont partagé cette expérience de scène depuis les débuts.

Ce « chœur » d’adolescents se révèle bien plus qu’un groupe de figurants : les jeunes, sur scène du début à la fin, investis dans une création à laquelle ils et elles – le contingent féminin nettement supérieur à celui des garçons – ont consacré quelque 35 heures de répétition, s’expriment avec force. S’ils le font davantage avec leurs corps, leurs visages et leurs mimiques, leurs attitudes et leur énergie, les comédiens assumant la plupart des textes, les mots semblent cependant sortir des cerveaux des jeunes, dans lesquels on a l’impression de plonger sans filet.

Divisée en quatre « périodes » réglées par la cloche comme à l’école, où ils passent la majeure partie de leur temps, la représentation se veut une radiographie d’une journée de classe à travers les pensées des élèves. Pour laisser libre cours à ce flot ininterrompu de cris du cœur, de révolte, de doutes et d’espoirs, on a pris soin d’éliminer toute présence d’enseignant dans cette classe. C’est ainsi que de l’autodénigrement intégré – « Les jeunes, on n’a rien à dire! » –, de la difficulté à faire des phrases complètes à l’expression d’un ras-le-bol partagé, de la dénonciation d’une éducation qui consiste à « apprendre par cœur des choses qui ne servent à rien », du désespoir au désir, à la quête amoureuse qui occupe l’essentiel de leur esprit, tout y passe.

Dans l’espace dénudé de la salle du théâtre aux murs de béton, avec en arrière-fond les portes de l’ancienne caserne, les pupitres, sagement alignés au début, constituent l’unique mobilier. Les corps, comme possédés par les mouvements chorégraphiés, paraissent cependant rivés aux chaises et aux bureaux, petites prisons individuelles. Les têtes d’enterrement marquent l’ennui et la fatigue. Les cinq acteurs se mêlent aux jeunes, alternant les rôles, utilisant des micros, se déplaçant au rythme des tableaux qui se succèdent en un feu roulant. Des jeux de lumière, jaillissant parfois de l’intérieur des pupitres, animant les zones d’ombre, des projections de personnages filmés, répondent à une bande sonore omniprésente. Écouteurs aux oreilles, le chœur mime une séance de karaoké, puis se déplace dans un de ces mouvements d’ensemble bien huilés qui parsèment la représentation.

Des passages dansés, jeux d’acteurs très physiques, font suite à des monologues, comme celui où un adolescent de 16 ans rêve d’entrer chez ses parents « soûl mort un soir de semaine quand il y a de l’école le lendemain ». Ou celui où Dany Boudreault, avant un examen d’histoire, voit tous les massacres du passé se conjuguer à ceux du présent, instant de lucidité touchant. Dans la quatrième et dernière période, on demande à un élève d’exprimer en 250 mots sa vision de l’avenir, tâche insurmontable pour lui. Chacun des membres du chœur, à tour de rôle, lance alors au micro qu’on lui tend : « Je m’appelle… et je voudrais… », exercice permettant au public de recevoir quelques perles qui donnent par la même occasion une identité à chacun, jusqu’au constat final : « J’ai rien de spécial, mais aime-moi quand même! »

En sortant de la salle, on se dit : c’est vrai qu’on n’entend pas souvent ce que pense cette génération qui formera la société de demain. Que feront ces adultes de notre monde? L’énergie qu’ils offrent sur la scène donne envie de les encourager à libérer leur espoir d’un monde différent, assurément meilleur.

Album de finissants

D’après un texte de Mathieu Arsenault. Adaptation et mise en scène : Anne Sophie Rouleau. Assistance à la création et idéation : Michelle Parent. Scénographie : Marie-Ève Fortier. Éclairages : Andréanne Deschênes. Vidéo : Josué Bertolino. Costumes : Marianne Thériault. Avec Dany Boudreault, Simon Landry-Désy, Joseph Martin, Michelle Parent, Annie Valin et un chœur de jeunes finissants du secondaire. Une coproduction de Pirata Théâtre et de Matériaux Composites. À Espace Libre jusqu’au 29 octobre 2016, au Théâtre Périscope du 17 au 21 janvier 2017, puis en tournée durant la saison 2018-2019.