À quelques jours d’intervalle, deux pièces inédites de Larry Tremblay, aux résonances apparentées, comme les deux volets d’un diptyque, ont pris l’affiche sur des scènes montréalaises. Après Le Joker au Quat’Sous, œuvre drôle et insolite sur la peur de l’autre, c’est à la Licorne qu’on peut apprécier Le garçon au visage disparu, toute nouvelle création du Théâtre le Clou, compagnie pionnière dans l’exploration des méandres de l’âme adolescente. Une belle réussite qui rejoint par la bande le thème de la radicalisation des jeunes.
En jouant à nouveau sur la fascination pour l’univers des zombies et autres morts-vivants, une sous-culture pouvant interférer dans le développement identitaire de jeunes vulnérables, l’auteur propose une brillante métaphore d’un mal bien actuel. Le désarroi de la mère, devant son fils qui ne l’entend plus, ne la voit plus, et contre les délires duquel elle se sent impuissante et laissée à elle-même, n’est pas sans évoquer celui des parents de jeunes Occidentaux partis rejoindre le djihad, en Syrie ou ailleurs.
Larry Tremblay a l’intelligence de ne pas rattacher ses œuvres à l’actualité immédiate, tout en offrant une réflexion éclairant certains enjeux incontournables, voire insolubles, de celle-ci. Ses pièces se présentent comme des objets complexes, bien ficelés, ne révélant pas d’emblée leurs visées secrètes. Le garçon au visage disparu ne fait pas exception, qui nous entraîne dans la dérive de Jérémy (David Strasbourg, juste dans les émotions contradictoires vécues par ce jeune fragile, pas si différent des autres), qui va perdre progressivement son jugement rationnel et, s’isolant de plus en plus, risquer de perdre contact avec son entourage.
Heureusement pour Jérémy, son amie de cœur Jessica (Alice Moreault, incarnant l’optimisme et l’équilibre avec énergie) et sa mère Adèle (Julie McClemens, intense dans l’incompréhension, comme dans la tendresse retrouvée) continueront de lui tenir la main. L’adolescent, qui souffre de l’absence de son père, parti en mission humanitaire en Afrique, sera ébranlé par la disparition de celui-ci, kidnappé par un groupe armé. La scène où sa mère lui met entre les mains la guitare du disparu, dont il joue spontanément, faisant ressurgir la chaleur dans son environnement devenu glacial, sera une occasion de renouveau pour Jérémy.
Le metteur en scène chevronné Benoît Vermeulen et son équipe de concepteurs aguerris ont eu une bonne intuition en explorant les codes du cinéma, reproduisant sur scène l’ambiance d’un plateau de tournage, d’une salle de montage, d’un studio de post-synchro. Des projecteurs et des micros trônent à vue dans l’aire de jeu, où un régisseur place et donne le signal aux comédiens avant de tourner les séquences. La scénographie, multifonctionnelle, permet d’évoquer à la fois ces instants où l’on est en studio et ceux du quotidien de Jérémy et de ses proches.
Ainsi, une salle de cinéma, où les jeunes amoureux assistent à un film de zombies, fait place à la rue, puis à la cuisine de la mère, Adèle, qui un matin découvre que son fils n’a plus de visage. Elle s’adresse à la police, qui, refusant de la croire, lui conseille d’appeler un psychiatre, ce dernier, bien peureux, l’enjoignant à son tour de faire appel à un prêtre pour exorciser la chambre de Jérémy. Christian E. Roy, qui incarne à tour de rôle le régisseur, le policier, le psychiatre et le prêtre, entre autres, se révèle d’un grand comique en nuançant chacun par quelque trait de personnalité, sans trop caricaturer.
La mécanique fonctionne, théâtre et cinéma imbriqués: projection d’images et extraits de scènes qu’on vient de tourner, musique et bruits d’ambiance, jeux de lumière colorée, d’ombres et de voix transformées nous font passer d’un univers à l’autre, cherchant à saisir le fin mot de l’histoire. Il faut dire que les dialogues sont d’une précision remarquable, chaque réplique porte et nous tient en haleine. Grâce aux durs pans de réalité décrits, cette pièce devrait pouvoir aider certains jeunes à faire la part des choses et à porter un regard plus éclairé sur les fanatismes de toute sorte.
Texte: Larry Tremblay. Mise en scène: Benoît Vermeulen. Son: Navet Confit. Scénographie, accessoires et storyboard: Raymond Marius Boucher. Costumes: Marc Senécal. Éclairages: Mathieu Marcil. Vidéo: Francis-William Rhéaume. Maquillages: Suzanne Trépanier. Avec Julie McClemens, Alice Moreault, Christian E. Roy et David Strasbourg. Une production du Théâtre le Clou. À la Licorne jusqu’au 25 novembre 2016. En tournée du 21 mars au 1er mai 2018.
À quelques jours d’intervalle, deux pièces inédites de Larry Tremblay, aux résonances apparentées, comme les deux volets d’un diptyque, ont pris l’affiche sur des scènes montréalaises. Après Le Joker au Quat’Sous, œuvre drôle et insolite sur la peur de l’autre, c’est à la Licorne qu’on peut apprécier Le garçon au visage disparu, toute nouvelle création du Théâtre le Clou, compagnie pionnière dans l’exploration des méandres de l’âme adolescente. Une belle réussite qui rejoint par la bande le thème de la radicalisation des jeunes.
En jouant à nouveau sur la fascination pour l’univers des zombies et autres morts-vivants, une sous-culture pouvant interférer dans le développement identitaire de jeunes vulnérables, l’auteur propose une brillante métaphore d’un mal bien actuel. Le désarroi de la mère, devant son fils qui ne l’entend plus, ne la voit plus, et contre les délires duquel elle se sent impuissante et laissée à elle-même, n’est pas sans évoquer celui des parents de jeunes Occidentaux partis rejoindre le djihad, en Syrie ou ailleurs.
Larry Tremblay a l’intelligence de ne pas rattacher ses œuvres à l’actualité immédiate, tout en offrant une réflexion éclairant certains enjeux incontournables, voire insolubles, de celle-ci. Ses pièces se présentent comme des objets complexes, bien ficelés, ne révélant pas d’emblée leurs visées secrètes. Le garçon au visage disparu ne fait pas exception, qui nous entraîne dans la dérive de Jérémy (David Strasbourg, juste dans les émotions contradictoires vécues par ce jeune fragile, pas si différent des autres), qui va perdre progressivement son jugement rationnel et, s’isolant de plus en plus, risquer de perdre contact avec son entourage.
Heureusement pour Jérémy, son amie de cœur Jessica (Alice Moreault, incarnant l’optimisme et l’équilibre avec énergie) et sa mère Adèle (Julie McClemens, intense dans l’incompréhension, comme dans la tendresse retrouvée) continueront de lui tenir la main. L’adolescent, qui souffre de l’absence de son père, parti en mission humanitaire en Afrique, sera ébranlé par la disparition de celui-ci, kidnappé par un groupe armé. La scène où sa mère lui met entre les mains la guitare du disparu, dont il joue spontanément, faisant ressurgir la chaleur dans son environnement devenu glacial, sera une occasion de renouveau pour Jérémy.
Le metteur en scène chevronné Benoît Vermeulen et son équipe de concepteurs aguerris ont eu une bonne intuition en explorant les codes du cinéma, reproduisant sur scène l’ambiance d’un plateau de tournage, d’une salle de montage, d’un studio de post-synchro. Des projecteurs et des micros trônent à vue dans l’aire de jeu, où un régisseur place et donne le signal aux comédiens avant de tourner les séquences. La scénographie, multifonctionnelle, permet d’évoquer à la fois ces instants où l’on est en studio et ceux du quotidien de Jérémy et de ses proches.
Ainsi, une salle de cinéma, où les jeunes amoureux assistent à un film de zombies, fait place à la rue, puis à la cuisine de la mère, Adèle, qui un matin découvre que son fils n’a plus de visage. Elle s’adresse à la police, qui, refusant de la croire, lui conseille d’appeler un psychiatre, ce dernier, bien peureux, l’enjoignant à son tour de faire appel à un prêtre pour exorciser la chambre de Jérémy. Christian E. Roy, qui incarne à tour de rôle le régisseur, le policier, le psychiatre et le prêtre, entre autres, se révèle d’un grand comique en nuançant chacun par quelque trait de personnalité, sans trop caricaturer.
La mécanique fonctionne, théâtre et cinéma imbriqués: projection d’images et extraits de scènes qu’on vient de tourner, musique et bruits d’ambiance, jeux de lumière colorée, d’ombres et de voix transformées nous font passer d’un univers à l’autre, cherchant à saisir le fin mot de l’histoire. Il faut dire que les dialogues sont d’une précision remarquable, chaque réplique porte et nous tient en haleine. Grâce aux durs pans de réalité décrits, cette pièce devrait pouvoir aider certains jeunes à faire la part des choses et à porter un regard plus éclairé sur les fanatismes de toute sorte.
Le garçon au visage disparu
Texte: Larry Tremblay. Mise en scène: Benoît Vermeulen. Son: Navet Confit. Scénographie, accessoires et storyboard: Raymond Marius Boucher. Costumes: Marc Senécal. Éclairages: Mathieu Marcil. Vidéo: Francis-William Rhéaume. Maquillages: Suzanne Trépanier. Avec Julie McClemens, Alice Moreault, Christian E. Roy et David Strasbourg. Une production du Théâtre le Clou. À la Licorne jusqu’au 25 novembre 2016. En tournée du 21 mars au 1er mai 2018.