Critiques

Ne m’oublie pas : Nos retrouvailles

© Caroline Laberge

Une mise en scène de Frédéric Dubois. Une traduction de Fanny Britt. Un texte de Tom Holloway, jeune auteur célébré en Australie. Les raisons étaient nombreuses de nourrir plus d’espoir que d’ordinaire envers la production présentée chez Duceppe ces jours-ci. Malheureusement, Ne m’oublie pas est un spectacle décevant, loin de rendre justice au drame sur lequel il s’appuie.

Caroline Laberge

Duceppe rappelait cette semaine par voie de communiqué le contexte historique qui a servi de point de départ à l’écriture de la pièce, et qui a aussi inspiré à Jim Loach, en 2010, un film intitulé Oranges and Sunshine : « À partir de 1869 et jusqu’à la fin des années 30, la Grande-Bretagne a déporté entre 100 000 et 150 000 enfants dans le but de peupler l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada. Ces milliers d’enfants arrachés à leur patrie ont servi de main-d’œuvre bon marché lors de leur arrivée dans ces colonies anglaises, et ont subi maltraitances en tous genres. Au Canada, les “petits immigrants” et leurs descendants forment aujourd’hui entre 10 et 12 % de la population, soit environ 4 millions de personnes, dont 8 000 Québécois. Parmi les enfants envoyés au Québec, il y avait John James Rowley, père d’Hélène Rowley, épouse de Jean Duceppe et mère de sept enfants, dont Monique, Louise et Gilles Duceppe. »

Un seul destin

Plutôt que de rendre compte de l’ampleur de la tragédie, l’auteur de Forget Me Not a choisi de se pencher sur le destin d’un seul homme. Gerry (François Papineau), un Australien dans la cinquantaine, veuf, alcoolique et colérique, s’envole pour l’Angleterre afin de rencontrer sa mère (Louise Turcot), septuagénaire et malade, celle à qui il a été arraché alors qu’il avait 4 ans. Si l’homme se décide enfin à renouer avec le passé, à embrasser tout ce que la démarche implique de souffrance, c’est grâce à sa fille, Nathalie (Marie-Ève Milot), et à un travailleur social déterminé, Marc (Jonathan Gagnon).

Bien qu’elle s’appuie sur une astucieuse alternance entre le rêve et la réalité, un coup de théâtre qui survient à la toute fin et qu’il ne faut surtout pas révéler, la pièce s’avère d’une banalité confondante. Les personnages sont unidimensionnels et même, dans le cas de l’adolescente et du travailleur social, caricaturaux. C’est en partie une question de direction d’acteur, mais c’est surtout que le mélodrame de 90 minutes ne donne pas aux protagonistes une existence propre, un discours, une vie en dehors de la démarche du personnage principal. Il faut dire que la mise en scène, peu inspirée, n’arrange rien. La scénographie, vaste plateau aux reliefs topographiques où sont réunis quelques salons et une salle à manger, un espace sur lequel on ne cesse de faire apparaître et disparaître la lumière, semble totalement superflue.

À vrai dire, il n’y a que les quelques scènes entre la mère et le fils, trop courtes, souvent très émouvantes, qui donnent un sens à l’entreprise. François Papineau incarne avec justesse cet homme rustre qui accepte peu à peu de ressentir, de comprendre, et même de pardonner. Louise Turcot bouleverse dans la peau de cette femme qui a passé sa vie en tête-à-tête avec la culpabilité alors qu’elle est tout aussi victime que son fils. En somme, on ne peut s’empêcher de rêver d’un spectacle qui ne se serait pas embarrassé d’exposer si longuement les réticences de l’homme et les récriminations de sa fille pour se concentrer sur l’essentiel, les retrouvailles de la mère et du fils.

Ne m’oublie pas

Texte : Tom Holloway. Traduction : Fanny Britt. Mise en scène : Frédéric Dubois. Décor : Jasmine Catudal. Costumes : Linda Brunelle. Éclairages : Caroline Ross. Musique : Will Driving West. Accessoires : Normand Blais. Avec François Papineau, Louise Turcot, Jonathan Gagnon et Marie-Ève Milot. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 25 mars 2017.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.