Critiques

Trafiquée : L’horreur quotidienne

Cath Langlois

Le récit raconté dans Trafiquée, d’Emma Haché, et monté par une jeune troupe de Québec, Les Gorgones, comporte une force dose d’horreur quotidienne. C’est le récit d’un cul-de-sac, d’un destin sans issue. Il y a des scènes atroces, qui laissent le cœur au bord des lèvres. Assez pour créer au moins un certain choc, au mieux une réflexion.

On suit le parcours d’une femme sans nom et sans pays d’origine qui se fait promettre à 14 ans une nouvelle vie au Canada. On «l’initie», on la prostitue, on la bat pour qu’elle ne dise jamais non, qu’elle se plie aux envies sexuelles les plus vicieuses vingt fois par jour, se déshumanise, se désincarne, étouffe.

Cath Langlois

Le texte, toutefois, n’est pas sans lacunes. Les images poétiques un peu naïves qui le percent peinent à susciter des étincelles d’espoir dans ce récit étouffant. On est englué dans l’horreur quotidienne, le corps transgressé, l’humain dénigré.

La mise en scène de Marie-Ève Chabot-Lortie, qui a signé plusieurs productions de la troupe Les Treize de l’Université Laval, parvient toutefois à faire un peu respirer le texte, à varier les rythmes et les langages. Les chorégraphies de Maryse Damecour, surtout portées par la danseuse contemporaine Ève Rousseau-Cyr, ajoutent des torsions, des souffles, des images troublantes sans être littérales sur le témoignage porté par la comédienne Catherine Côté.

Elles sont en fait trois pour incarner le personnage central. Myriam Brousseau participe à la chorégraphie des corps et laisse par moments échapper un chant sans paroles.

Le trio est pris au piège entre un plafond suspendu qui laisse passer la lumière des spots et une barricade faite de sommiers, de squelettes de matelas, de cage à poules et de longs néons. C’est efficace, à l’exception des chaises qui bloquent parfois la vue des spectateurs placés sur les côtés de la salle lors des nombreux déplacements au sol.

Litanie de la souffrance

Cath Langlois

On s’accroche à la voix de Catherine Côté dans une scène qui se déroule dans le noir complet, alors que son personnage est prisonnier d’une cave humide, mais on s’éloigne du drame dans les moments où le récit est moins modulé, moins incarné, et devient une litanie où les phrases ont toutes le même rythme et la même sonorité.

On pourrait plaider la déshumanisation du personnage, mais il semble manquer des éléments dans le texte pour que les idées contradictoires qui se bousculent parfois parviennent vraiment à rendre sa psychologie plus complexe, le récit de son enfance moins prévisible, ses mots plus adroits.

Dans le jeu, un sarcasme plus affirmé, une hargne mieux dirigée, des silences assumés dans le flot verbal auraient rendu la vulnérabilité et la souffrance du personnage plus poignantes encore.

En comparaison, on ne peut s’empêcher de penser à la force de frappe de Et au pire on se mariera, un autre monologue, une autre déposition, mais avec une poésie plus effervescente et une escalade dramatique habile qui nous laissait complètement retourné. Ou à l’histoire de cette prostituée yougoslave dans Nature morte dans un fossé, monté en 2009 par le Théâtre Blanc, qui racontait le trafic humain dans une société rongée de l’intérieur et qui moisit lentement.

Trafiquée essaie un peu de faire tout cela, mais le monologue schizophrénique nous enferme sans nous permettre de connecter au personnage autrement qu’à travers ses souffrances atroces.

Trafiquée

Texte : Emma Haché. Mise en scène : Marie-Ève Chabot-Lortie. Conception décor, costumes et accessoires : Sonia Pagé. Éclairages et direction technique : Luc Vallée. Chorégraphe aux mouvements : Maryse Damecour. Conception sonore : Vincent Roy. Conception vidéo : Jean-Philippe Côté. Avec Catherine Côté, Myriam Brousseau et Ève Rousseau Cyr. Présenté par Les Gorgones au Théâtre Premier acte jusqu’au 25 mars 2017.