Critiques

Caligula : Le despote amoureux

Yves Renaud

Le metteur en scène René Richard Cyr ne craint pas de s’attaquer à des monstres : il montait récemment Après de Serge Boucher relatant le rapport au quotidien d’un ingénieur après le meurtre de ses deux enfants et une tentative de suicide. Avec Caligula, nous assistons aux dérèglements d’un empereur jusqu’aux excès les plus inhumains.

Yves Renaud

L’œuvre d’Albert Camus, écrite en 1939 a été créée à Paris en 1945 dans une nouvelle version afin de s’adapter à l’actualité politique et sociale. Mettre en scène le tyran sanguinaire Caius Caesar Germanicus dit Caligula au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale avait un écho direct sur l’actualité. Camus en fait un fou furieux épris de liberté. Le problème, c’est que sa liberté n’a plus de limite. Il se retrouve le seul être libre de Rome, tout son entourage et le peuple qu’il domine vivent sous le règne de la terreur. Dans la mise en scène de Cyr, le déséquilibre psychique du jeune empereur est causé, hors de tout doute, par la mort de sa sœur Drusilla dont il est également l’amant. Son désespoir l’entraîne dans un comportement irrationnel et abusif. Il tue, il vole, il viole. Il s’accapare des richesses des sénateurs. Nous nous sentons soudainement concernés quand il dit : «Gouverner c’est voler».

La scène d’exposition, troublante d’ambiguïté, nous montre les dernières minutes de Drusilla en compagnie de Caligula, déjà en proie au désarroi. Cette scène se passe dans un immense cube blanc qui domine entièrement la scène. Cet élément scénographique ne servira, par la suite qu’à nous montrer le visage de l’amante disparue à travers de petites ouvertures dans le décor pour nous rappeler que c’est bien elle la cause du désespoir qui ronge le roi tortionnaire. C’est un choix discutable. On ne peut pas attribuer tous ces dérapages qu’à la perte de l’être cher. Le désordre dont souffre Caligula est de l’ordre de la maladie mentale, c’est un psychopathe assoiffé de sang ; il affirme : «Quand je ne tue pas, je me sens seul.»

Une vision romantique

Yves Renaud

L’incarnation de Caligula par Benoît McGinnis est magistrale, élevant ainsi ce comédien au rang des monstres sacrés, parce qu’il faut bien appartenir à cette race d’acteurs d’exception pour rendre avec justesse et nuance toute la démesure de pareils personnages. Cyr reste cohérent avec sa vision romantique de l’homme d’état tourmenté par le deuil amoureux. Son Caligula évolue parmi une poignée de hauts fonctionnaires de petite envergure en complets cravates, habillé au départ d’un pantalon et d’une chemise de fin coton blanc maculée de traces de sang, puis il adopte un look anarcho-punk, avec la tête rasée et un maquillage livide. Les costumes de Mérédith Caron expriment bien le passage de la sérénité à la folie, tout comme les décors (Pierre-Étienne Locas) qui, mis à part les deux seuls moments purs et lumineux, avant et après l’empire du tyran, placent le reste de l’action dans un sous-sol, belle métaphore de l’obscurantisme. Hélicon (Éric Bruneau), le seul conseiller (serviteur) de Caligula déambulant pieds nus, adopte une désinvolture fort intéressante. Soulignons également le jeu de Benoît Drouin-Germain qui rend crédible toute la juvénile incertitude de Scipion et Étienne Pilon, solide dans le personnage de Cherea, le seul à oser tenir tête à l’empereur fou.

«Je suis encore vivant!» vient nous narguer Caligula à la fin de la pièce,  alors qu’on croyait en avoir fini avec lui, laissant entendre que nous ne serons jamais débarrassés de dirigeants qui gouvernent comme s’ils étaient seuls au monde, sauf que, fort heureusement, il existe aujourd’hui, dans certains pays, des systèmes de protection des acquis en matière de démocratie.

Caligula

Texte : Albert Camus. Mise en scène et dramaturgie : René Richard Cyr. Décor et accessoires : Pierre-Étienne Locas Costumes : Mérédith Caron. Éclairages : Erwann Bernard. Musique originale : Michel Smith. Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti. Perruques : Rachel Tremblay. Avec Chantal Baril, Éric Bruneau, Louise Cardinal, Normand Carrière, Jean-Pierre Chartrand, Sébastien Dodge, Benoît Drouin-Germain, Milène Leclerc, Jean-Philippe Lehoux, Macha Limonchik, Benoît McGinnis, Étienne Pilon, Denis Roy et Rebecca Vachon. Une production du Théâtre du Nouveau Monde. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 8 avril 2017 (supplémentaires jusqu’au 12 avril).

Jean-Claude Côté

À propos de

Collaborateur de JEU depuis 2016, il a enseigné le théâtre au Cégep de Saint-Hyacinthe et au Collège Shawinigan. Il a également occupé pendant six ans les fonctions de chroniqueur, critique et animateur à Radio Centre-Ville.