Depuis une dizaine d’années, Isabelle Van Grimde enrichit ses recherches chorégraphiques au contact des sciences et des technologies. Symphonie 5.1 repose sur l’interaction en temps réel de la danse et de la musique en direct avec l’image.
Pour ce faire, la chorégraphe a fait appel à l’artiste visuel Jérôme Delapierre pour concevoir un design d’interaction numérique. De cette collaboration résulte un univers visuellement splendide où des corps aux caractères ancestraux cohabitent avec leurs doubles virtuels. La reprise de cette pièce présentée l’année dernière à l’Agora de la danse se laisse redécouvrir avec plaisir.
Quelques longs et fins écrans sont suspendus de chaque côté de la scène. Dans ce décor sobre, Sophie Breton, en sous-vêtements de couleur chair, marche sur des projections qui tapissent le plancher. De ses bras et jambes, la danseuse tranche l’espace, se déplace avec souplesse jusqu’au sol, créant des brèches dans le paysage quadrillé. Comme les flux et reflux d’une vague, l’image se détache de la danseuse pour mieux revenir la happer.
Les rythmes de la musique bruitiste de Tim Brady et Thom Gossage interprétée en direct viennent soutenir la dynamique de la chorégraphie qui s’inscrit d’abord en résistance à l’image. Des figures géométriques viennent tatouer la peau de l’interprète qui se fond peu à peu dans ce décor numérique, avant de se recroqueviller sur elle-même en position fœtale. Ainsi se clôt un premier tableau qui installe d’emblée la fascinante scénographie numérique où s’inscrit subtilement le mouvement.
Corps de chair, corps de pixel
La scène replonge dans l’obscurité et Georges-Nicolas Tremblay entre en scène se plaçant sous un faisceau de lumière. Les pieds ancrés solidement dans le sol, son torse se bombe et prolonge les ondulations de son bassin. Sur un axe vertical, ses mains dessinent avec élasticité des ouvertures sur toute la surface de son abdomen, puis cherchent à agripper l’espace autour de lui. Cette séquence de mouvements essoufflants se répètera au long de la pièce, comme une variation sur un même thème. À ses côtés, Sophie Breton s’empare de ce même phrasé chorégraphique frénétique d’où se détache une étrange sensualité.
Les danseurs se dédoublent alors que leurs image-vidéos captées en direct sont projetés sur les écrans. Ainsi confrontés à leurs avatars, autour d’eux l’espace et le temps paraissent se fragmenter. Lorsqu’ils sont en synchronie, notre œil ne parvient plus à distinguer les êtres de chair de leurs doubles virtuels. La présence troublante de ces spectres semble court-circuiter la rencontre et le contact entre les deux individus aux mouvements reptiliens. Au sol, le duo se lance pourtant dans une sorte de parade nuptiale. Cambrés et arqués, leurs corps s’imbriquent, sans proprement réussir à entrer en contact.
Ce n’est que lorsque les deux jeunes interprètes Maya Robitaille (16 ans) et Samaël Maurice (14 ans) entrent en scène qu’une tendresse s’installe dans cette mécanique. Les adolescents cherchent d’abord à toucher les avatars, puis en duo, reprennent le phrasé initial des adultes en se déplaçant dans des carrés de lumière qui défilent et s’évanouissent promptement. Breton et Tremblay viennent à leur rencontre, caressant la joue des plus jeunes du revers de la main. Tandis que l’espace entre les quatre danseurs se resserre doucement, les étreintes se multiplient. De ce tableau final se dégage une chaleur humaine soulignée par les projections numériques, contrastant avec l’apparente froideur des avatars.
Avec Symphonie 5.1, Isabelle Van Grimde livre une œuvre sensible et visionnaire où l’image, le mouvement et le son entrent dans une complémentarité rarement égalée. Cette pièce soulève des interrogations très actuelles sur le devenir de nos identités et notre rapport au corps à l’heure où les avancées technologiques tendent à nous désincarner.
Chorégraphie : Isabelle Van Grimde. Avec Sophie Breton, Georges-Nicolas Tremblay, Maya Robitaille et Samaël Maurice. Design visuel d’interaction : Jérôme Delapierre. Musique : Thom Gossage et Tim Brady. Une coproduction de Van Grimde Corps Secrets, l’Agora de la danse, Bradyworks, la Brian Webb Dance Company et l’École supérieure de ballet du Québec. Présenté Au Wilder jusqu’au 21 avril 2017.
Depuis une dizaine d’années, Isabelle Van Grimde enrichit ses recherches chorégraphiques au contact des sciences et des technologies. Symphonie 5.1 repose sur l’interaction en temps réel de la danse et de la musique en direct avec l’image.
Pour ce faire, la chorégraphe a fait appel à l’artiste visuel Jérôme Delapierre pour concevoir un design d’interaction numérique. De cette collaboration résulte un univers visuellement splendide où des corps aux caractères ancestraux cohabitent avec leurs doubles virtuels. La reprise de cette pièce présentée l’année dernière à l’Agora de la danse se laisse redécouvrir avec plaisir.
Quelques longs et fins écrans sont suspendus de chaque côté de la scène. Dans ce décor sobre, Sophie Breton, en sous-vêtements de couleur chair, marche sur des projections qui tapissent le plancher. De ses bras et jambes, la danseuse tranche l’espace, se déplace avec souplesse jusqu’au sol, créant des brèches dans le paysage quadrillé. Comme les flux et reflux d’une vague, l’image se détache de la danseuse pour mieux revenir la happer.
Les rythmes de la musique bruitiste de Tim Brady et Thom Gossage interprétée en direct viennent soutenir la dynamique de la chorégraphie qui s’inscrit d’abord en résistance à l’image. Des figures géométriques viennent tatouer la peau de l’interprète qui se fond peu à peu dans ce décor numérique, avant de se recroqueviller sur elle-même en position fœtale. Ainsi se clôt un premier tableau qui installe d’emblée la fascinante scénographie numérique où s’inscrit subtilement le mouvement.
Corps de chair, corps de pixel
La scène replonge dans l’obscurité et Georges-Nicolas Tremblay entre en scène se plaçant sous un faisceau de lumière. Les pieds ancrés solidement dans le sol, son torse se bombe et prolonge les ondulations de son bassin. Sur un axe vertical, ses mains dessinent avec élasticité des ouvertures sur toute la surface de son abdomen, puis cherchent à agripper l’espace autour de lui. Cette séquence de mouvements essoufflants se répètera au long de la pièce, comme une variation sur un même thème. À ses côtés, Sophie Breton s’empare de ce même phrasé chorégraphique frénétique d’où se détache une étrange sensualité.
Les danseurs se dédoublent alors que leurs image-vidéos captées en direct sont projetés sur les écrans. Ainsi confrontés à leurs avatars, autour d’eux l’espace et le temps paraissent se fragmenter. Lorsqu’ils sont en synchronie, notre œil ne parvient plus à distinguer les êtres de chair de leurs doubles virtuels. La présence troublante de ces spectres semble court-circuiter la rencontre et le contact entre les deux individus aux mouvements reptiliens. Au sol, le duo se lance pourtant dans une sorte de parade nuptiale. Cambrés et arqués, leurs corps s’imbriquent, sans proprement réussir à entrer en contact.
Ce n’est que lorsque les deux jeunes interprètes Maya Robitaille (16 ans) et Samaël Maurice (14 ans) entrent en scène qu’une tendresse s’installe dans cette mécanique. Les adolescents cherchent d’abord à toucher les avatars, puis en duo, reprennent le phrasé initial des adultes en se déplaçant dans des carrés de lumière qui défilent et s’évanouissent promptement. Breton et Tremblay viennent à leur rencontre, caressant la joue des plus jeunes du revers de la main. Tandis que l’espace entre les quatre danseurs se resserre doucement, les étreintes se multiplient. De ce tableau final se dégage une chaleur humaine soulignée par les projections numériques, contrastant avec l’apparente froideur des avatars.
Avec Symphonie 5.1, Isabelle Van Grimde livre une œuvre sensible et visionnaire où l’image, le mouvement et le son entrent dans une complémentarité rarement égalée. Cette pièce soulève des interrogations très actuelles sur le devenir de nos identités et notre rapport au corps à l’heure où les avancées technologiques tendent à nous désincarner.
Symphonie 5.1
Chorégraphie : Isabelle Van Grimde. Avec Sophie Breton, Georges-Nicolas Tremblay, Maya Robitaille et Samaël Maurice. Design visuel d’interaction : Jérôme Delapierre. Musique : Thom Gossage et Tim Brady. Une coproduction de Van Grimde Corps Secrets, l’Agora de la danse, Bradyworks, la Brian Webb Dance Company et l’École supérieure de ballet du Québec. Présenté Au Wilder jusqu’au 21 avril 2017.