Critiques

Histoires à plumes et à poils : Safari douceur

© Martin Blache

Après avoir présenté, en 2015, Lettre pour Éléna, un spectacle sur le deuil au sein duquel la danse occupait une place prépondérante, le Petit Théâtre de Sherbrooke est de retour à la Maison Théâtre, mais explore, avec Histoires à plumes et à poils, un tout autre registre.

La directrice artistique, metteure en scène et auteure Érika Tremblay-Roy s’est entourée de deux autres dramaturges, David Paquet (dont Le Brasier a enflammé le public adulte l’automne dernier) et Marie-Hélène Larose-Truchon afin de créer un bestiaire surprenant, amusant, intelligent, quoique parfois légèrement décousu, auquel une orchestration sobre – sans plus de recours à des pitreries qu’à la technologie – apporte un bel équilibre.

Martin Blache

Les deux plumes invitées à se joindre à celle de Tremblay-Roy ne sont par ailleurs pas les seules collaborations qui nourrissent la production. Non seulement le trio a-t-il rencontré des enfants de niveau préscolaire afin de s’inspirer de l’imaginaire luxuriant dont ils font preuve lorsqu’il s’agit du règne animal, mais, en outre, la scénographie est signée par l’artiste visuelle Isabelle Caron. Celle-ci a conçu un univers iconographique basé sur les mécanismes de toutes sortes (rappelant la machine de Rube Golberg). Tout était donc en place pour que naisse un spectacle stimulant et original. Les attentes à cet égard ne sont certainement pas déçues.

Sur scène, deux enfants, interprétés avec une grande justesse par Emmanuelle Laroche et Ludger Côté, observent un œuf lové au creux d’un nid et cèdent à l’irrépressible envie de l’en déloger pour pouvoir le contempler de plus près. L’œuf s’égare ensuite en un parcours faits de tuyaux aux tailles et à l’agencement variables, non sans refaire régulièrement surface là où on ne l’attend pas, grâce à des stratagèmes qui frôlent la prestidigitation.

«Unique comme toi»

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La quête à laquelle se livreront les protagonistes consistera donc à remettre l’œuf dans son nid, ce qui ne se fera pas sans, au passage, susciter quelques conjectures quant à l’animal qui se cache sous la délicate coquille. Un flamand rose, un rhinocéros, un chat-chien? Au cours de leurs pérégrinations, les deux comparses et leur précieux cargo pénétreront dans différents univers, créés en grande partie par le jeu des acteurs (l’ambiance sous-marine s’avère d’ailleurs particulièrement réussie), où se dérouleront des saynètes impliquant diverses créatures fauniques tels porcs-épics, baleine et chameau.

Que le jeune public (le spectacle est destiné aux enfants de quatre à huit ans) se montre fasciné par ces historiettes s’explique d’une part par le caractère imaginatif et farfelu de celles-ci, mais aussi, d’autre part, par l’efficacité du jeu des deux comédiens principaux. Le spectacle repose largement sur leurs épaules et celles-ci se révèlent tout à fait habilités à soutenir cette charge. Leur jeu sans emphase mais bien incarné ainsi que leur voix claire mais posée confèrent à ces Histoires de plumes et de poils une ambiance toute en douceur, propice à la découverte et au voyage.

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Or, ce safari proposé aux spectateurs recèle bien plus que des rencontres avec des animaux excentriques. C’est à travers le dédale de leurs propres questionnements identitaires que les petits sont subtilement guidés. Le destin d’un individu est-il tracé à l’avance? Est-il tributaire du milieu où l’on voit le jour? Chacun peut-il s’inventer tel qu’il se désire? À cette dernière question, la plus récente création du Petit Théâtre de Sherbrooke répond par l’affirmative. Métaphoriquement de même que littéralement, grâce à des répliques telles celle-ci, adressée à l’œuf sur lequel on se résout enfin à cesser de projeter désirs, fantasmes et prédictions afin de plutôt lui laisser le soin de surprendre son entourage par son autodétermination: «Tu rêveras le jour autant que la nuit.» Inspirant pour les adultes autant que pour les enfants.

Histoires à plumes et à poils

Texte: Marie-Hélène Larose-Truchon, David Paquet et Érika Tremblay-Roy. Mise en scène: Érika Tremblay-Roy. Scénographie: Isabelle Caron. Musique: Yann Godbout. Éclairages: Andréanne Deschênes. Avec Ludger Côté et Emmanuelle Laroche. Une production du Petit Théâtre de Sherbrooke. À la Maison Théâtre jusqu’au 14 mai 2017. Au Théâtre Léonard-St-Laurent (Sherbrooke) du 28 novembre au 2 décembre 2017. Au Centre national des Arts du 13 au 17 décembre 2017. Au Théâtre Outremont le 28 janvier 2018. À l’Arrière Scène (Belœil) du 25 au 28 mars 2018.