Critiques

Le Jeu de l’amour et du hasard : Mentir pour démasquer l’amour

Yves Renaud

Pour sa première mise en scène au Théâtre du Nouveau Monde, Alain Zouvi, qui y a joué de très nombreux rôles, a choisi une œuvre emblématique de son parcours. En effet, lui-même a tenu le rôle d’Arlequin dans Le Jeu de l’amour et du hasard au Théâtre Denise-Pelletier en 1989, l’année du décès de son père, Jacques Zouvi, qui avait été Arlequin sur la même scène 20 ans plus tôt.

L’homme de théâtre a voulu boucler la boucle, et la production qu’il propose comble les attentes, grâce à une direction d’acteurs précise faisant ressortir les enjeux de façon claire. On s’amuse ferme durant la représentation, même si on peut avoir quelques réserves sur l’enrobage scénique un peu statique.

Yves Renaud

Quatre jeunes personnes, deux femmes et deux hommes de classes sociales différentes, se retrouvent ballotés par les quiproquos, dans ce qui ressemble à une mise en scène astucieuse de leurs propres sentiments. Ainsi, la fille du riche Orgon, Silvia, pour bien évaluer le futur que son père lui destine, se déguise, avec son assentiment, en servante, alors que Lisette, sa femme de chambre, peu instruite mais délurée, revêt les habits de sa maîtresse. Ainsi, Silvia pourra observer et jauger à sa guise le seigneur Dorante. Le hic, et son père Orgon comme son frère Mario en sont complices, c’est que Dorante a eu la même idée, en troquant ses vêtements avec ceux de son valet Arlequin… La prémisse est énorme, invraisemblable, mais ainsi va la comédie.

Bien sûr, à l’époque où Marivaux écrivit ce chef-d’œuvre, la pièce étant datée de 1730, on ne causait ni ne pensait comme aujourd’hui. Pourtant, si la pièce, comme tant d’autres de cet auteur mésestimé en son siècle, a traversé les temps pour arriver jusqu’à nous, c’est que l’écrivain, en plus de maîtriser comme personne le raffinement du langage, a su analyser en détail la nature des sentiments. Des sentiments amoureux naissants, en ce qui concerne Le Jeu de l’amour et du hasard. Ce qu’il a fait, en outre, en mariant sa radiographie sensible à une conscience pionnière des injustices sociales, à travers un genre comique qu’il a pratiquement réinventé.

Yves Renaud

Entre expressivité et intériorité

Le metteur en scène a situé la pièce dans un jardin stylisé : le décor de Jean Bard, encadré de grandes haies évoquant les jardins français, est constitué d’une vasque en plein centre, pouvant servir de banc ou de tréteau, et dont le bassin d’eau révèle son utilité comique lors du dénouement. Le tout surmonté d’un cyclo porté par des colonnes, servant d’écran de projection où évoluent imperceptiblement des nuages dans un ciel aux teintes pastel. La bande sonore marie quelques airs de piano au souffle du vent, et les chants d’oiseaux omniprésents ponctuent l’action, créant une sensation d’organicité, de proximité avec la nature. L’humour transparaît jusque dans les costumes, les représentants des deux classes sociales étant traités fort différemment, les maîtres toujours élégants même en valets, les serviteurs dans des vêtements plutôt bouffons.

Les interprètes se prêtent admirablement au jeu des malentendus et de la supercherie. De joyeuse complice avec son entourage, Silvia glisse lentement dans l’incompréhension et l’incrédulité, devant le double mensonge qui se joue et dont elle est la première victime. Bénédicte Décary s’y révèle dans toute une gamme d’émotions, le fort caractère de l’héroïne porté par sa voix riche et profonde. Dans le rôle de son prétendant, Dorante déguisé en laquais, David Savard excelle à multiplier les nuances, pris dans un jeu qui se retourne aussi contre lui.

Yves Renaud

Les deux serviteurs en costumes de maîtres, Arlequin et Lisette, donnent au tandem Catherine Trudeau et Marc Beaupré l’occasion de briller dans des numéros clownesques, où le jeu, inspiré de la commedia dell’arte, se fait expressif, les mimiques hilarantes, notamment lors d’apartés au public. Enfin, dans les rôles d’Orgon et de son fils Mario, Henri Chassé et Philippe Thibault-Denis montrent une belle complicité.

On s’en doute, à la fin, tout ce beau monde se réconcilie, et l’amour désormais irréfutable entre Dorante et celle qu’il a cru servante, et celui, évident, entre son valet et celle qu’il tenait pour la fille d’Orgon, se conclut par un double mariage annoncé. Tout est bien qui finit bien, et l’on sort de ce spectacle le cœur léger, dans cet hésitant printemps où tarde à s’inaugurer la saison des amours…

Le Jeu de l’amour et du hasard

Texte : Marivaux. Mise en scène : Alain Zouvi. Scénographie : Jean Bard. Costumes : Judy Jonker. Éclairages : Nicolas Ricard. Vidéo : Lionel Arnould. Musique : Christian Thomas. Accessoires : Alain Jenkins. Maquillages : Jacques-Lee Pelletier. Coiffures et perruques : Carol Gagné. Avec Marc Beaupré, Henri Chassé, Bénédicte Décary, David Savard, Philippe Thibault-Denis et Catherine Trudeau. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 20 mai 2017.