Lorsqu’il revient à Bienveillance 17 ans plus tard pour rencontrer avec appréhension Bruno son ami d’enfance, Gilles Jean, riche avocat de Westmount, se sait d’avance condamné par les actions qu’il va poser.
Ce village insignifiant porte déjà les scarifications des tragédies humaines: la mort de ses trois frères, l’enfermement de sa mère dans un monde habité par les fantômes de ses fils et de son mari, le coma du fils de son ami imputé à une négligence de la compagnie de service téléphonique… Lorsque le bureau d’avocat chargé de représenter ladite compagnie délègue Gilles Jean vers le pays de son enfance, ce dernier s’y rend à son corps défendant. Le bureau qu’il représente a préparé la boucherie, ils ne feront qu’une bouchée de ces ploucs de province.
Le couple terrassé par sa propre culpabilité vacille entre la nécessité et la justice, pressentant pourtant que celle-ci n’existe pas. Isabelle (bouleversante Nadia Girard Eddahia) est pétrifiée de souffrance, incrédule qu’on souligne son ancien métier de serveuse sexy pour la discréditer. Bruno (intense Eliot Laprise) est sur la corde raide entre l’amitié indéfectible et la rage contenue contre son ami devenu son adversaire. Tous deux seront dévorés par les puissants requins du droit, qui comme chacun le sait n’a aucun lien avec la justice.
Très conscient des stratégies de cette guerre de tranchées, Gilles Jean (excellent Emmanuel Bédard) est dans une insoutenable tension morale, coincé dans ses mensonges et ses illusions. L’acteur porte ce texte admirablement construit avec la fragilité d’un grand corps sur le point de se disloquer. C’est que sa mère (imparable Lorraine Côté) le pousse dans ses retranchements, lui dérobant toute autonomie, faisant de lui un être de substitution pour ses propres désirs.
Inextricable tragédie
Bienveillance est le monologue d’un jeune loup en crise d’humanité. Entre l’amour qui le fait fuir, les valeurs humanistes et le pouvoir de l’argent et de la réussite pompeuse, il est confronté à ses démons dans une inextricable situation. La confidence adressée directement au public est illustrée en quelque sorte par quelques scènes extraites du réel. Ce va-et-vient de part et d’autre du quatrième mur devient le passage entre la franchise totale d’un homme envers lui-même et la duperie dans l’espace public.
Les déchirements entre ses choix de vie et la pression sociale, entre ses désirs réels et sa veulerie, son incapacité à confronter sa mère, tout cela le place dans une situation sans issue. Ce cul-de-sac moral sera amplifié par le rêve cauchemardesque de son patron en une scène d’anthologie jouée par Éric Leblanc, reflet de la démence qui le guette une fois que les garde-fous de la morale ont été abolis. Obsédé par la bonté, mais plongé dans une conspiration du mal, Gilles Jean sera broyé par ses contradictions.
L’éclairage joue un rôle déterminant dans ce passage entre la scène et la salle. Cela opère comme le diaphragme d’une caméra, jouant sur la profondeur de champ, plaçant les autres personnages immobiles dans une pénombre atténuée, les ramenant à la vie par le retour de la pleine lumière. La musique souligne un certain onirisme, avec l’apparition du fantôme du père, la puissance de l’eau en arrière-plan, les enchevêtrements amoureux du couple anéanti par la mort et le spleen.
Seul bémol de cette très belle production, on se demande en quoi cet amas de pierres central participe au projet. Il permet bien sûr la fuite du père, et son apparition, la disparition de Gilles et l’apothéose de son amant potentiel, mais il me semble malgré tout créer une distorsion dans l’ensemble. Bienveillance lance avec force la première saison de Michel Nadeau, nouveau directeur de la Bordée.
Texte: Fanny Britt. Mise en scène: Marie-Hélène Gendreau. Scénographie: Marie-Renée Bourget Harvey. Costumes: Sébastien Dionne. Éclairages: Sonoyo Nishikawa. Musique: Josué Beaucage. Avec Emmanuel Bédard, Lorraine Côté, Nadia Girard Eddahia, Éliot Laprise et Éric Leblanc. Au Théâtre la Bordée jusqu’au 7 octobre 2017.
Lorsqu’il revient à Bienveillance 17 ans plus tard pour rencontrer avec appréhension Bruno son ami d’enfance, Gilles Jean, riche avocat de Westmount, se sait d’avance condamné par les actions qu’il va poser.
Ce village insignifiant porte déjà les scarifications des tragédies humaines: la mort de ses trois frères, l’enfermement de sa mère dans un monde habité par les fantômes de ses fils et de son mari, le coma du fils de son ami imputé à une négligence de la compagnie de service téléphonique… Lorsque le bureau d’avocat chargé de représenter ladite compagnie délègue Gilles Jean vers le pays de son enfance, ce dernier s’y rend à son corps défendant. Le bureau qu’il représente a préparé la boucherie, ils ne feront qu’une bouchée de ces ploucs de province.
Le couple terrassé par sa propre culpabilité vacille entre la nécessité et la justice, pressentant pourtant que celle-ci n’existe pas. Isabelle (bouleversante Nadia Girard Eddahia) est pétrifiée de souffrance, incrédule qu’on souligne son ancien métier de serveuse sexy pour la discréditer. Bruno (intense Eliot Laprise) est sur la corde raide entre l’amitié indéfectible et la rage contenue contre son ami devenu son adversaire. Tous deux seront dévorés par les puissants requins du droit, qui comme chacun le sait n’a aucun lien avec la justice.
Très conscient des stratégies de cette guerre de tranchées, Gilles Jean (excellent Emmanuel Bédard) est dans une insoutenable tension morale, coincé dans ses mensonges et ses illusions. L’acteur porte ce texte admirablement construit avec la fragilité d’un grand corps sur le point de se disloquer. C’est que sa mère (imparable Lorraine Côté) le pousse dans ses retranchements, lui dérobant toute autonomie, faisant de lui un être de substitution pour ses propres désirs.
Inextricable tragédie
Bienveillance est le monologue d’un jeune loup en crise d’humanité. Entre l’amour qui le fait fuir, les valeurs humanistes et le pouvoir de l’argent et de la réussite pompeuse, il est confronté à ses démons dans une inextricable situation. La confidence adressée directement au public est illustrée en quelque sorte par quelques scènes extraites du réel. Ce va-et-vient de part et d’autre du quatrième mur devient le passage entre la franchise totale d’un homme envers lui-même et la duperie dans l’espace public.
Les déchirements entre ses choix de vie et la pression sociale, entre ses désirs réels et sa veulerie, son incapacité à confronter sa mère, tout cela le place dans une situation sans issue. Ce cul-de-sac moral sera amplifié par le rêve cauchemardesque de son patron en une scène d’anthologie jouée par Éric Leblanc, reflet de la démence qui le guette une fois que les garde-fous de la morale ont été abolis. Obsédé par la bonté, mais plongé dans une conspiration du mal, Gilles Jean sera broyé par ses contradictions.
L’éclairage joue un rôle déterminant dans ce passage entre la scène et la salle. Cela opère comme le diaphragme d’une caméra, jouant sur la profondeur de champ, plaçant les autres personnages immobiles dans une pénombre atténuée, les ramenant à la vie par le retour de la pleine lumière. La musique souligne un certain onirisme, avec l’apparition du fantôme du père, la puissance de l’eau en arrière-plan, les enchevêtrements amoureux du couple anéanti par la mort et le spleen.
Seul bémol de cette très belle production, on se demande en quoi cet amas de pierres central participe au projet. Il permet bien sûr la fuite du père, et son apparition, la disparition de Gilles et l’apothéose de son amant potentiel, mais il me semble malgré tout créer une distorsion dans l’ensemble. Bienveillance lance avec force la première saison de Michel Nadeau, nouveau directeur de la Bordée.
Bienveillance
Texte: Fanny Britt. Mise en scène: Marie-Hélène Gendreau. Scénographie: Marie-Renée Bourget Harvey. Costumes: Sébastien Dionne. Éclairages: Sonoyo Nishikawa. Musique: Josué Beaucage. Avec Emmanuel Bédard, Lorraine Côté, Nadia Girard Eddahia, Éliot Laprise et Éric Leblanc. Au Théâtre la Bordée jusqu’au 7 octobre 2017.