Critiques

La Cour suprême : Jeu de société

© Cath Langlois

À travers leurs pitreries aux rires gras, les bouffons sont des philosophes de peccadilles. Ceux de La Cour suprême ne font pas exception à la règle. Wannabe (François-Guillaume Leblanc), Douchebag (Paul Fruteau de Laclos) et Lacharrue (Valérie Boutin) dévoilent un crime de lèse-majesté et entendent traduire le coupable en justice, celui qui a dessiné un pénis rouge devant la bouche de Sa Majesté la reine d’Angleterre.

Leurs corps déformés par des pustules qui amplifient leurs petits vices s’accouplent, se chamaillent, s’exhibent comme des sans-gêne paillards, des demi-Diogène qui surfent sur les dictons, proverbes et autres métaphores populaires. À travers leurs grimaces, ils traînent en cour l’humanité entière, fautive de tous les vices et de quelques douteuses vertus. Les attaques sont absurdes et grotesques, on n’en espérait pas moins. Et ils ratissent large dans nos faiblesses qui ont nom vanité, mensonge, envie, vengeance, cruauté… Ils illustrent en caractères gras nos comportements collectifs et individuels, les misères du quotidien, le cynisme ambiant qu’alimentent les politiciens : « Si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé. »

Les bouffons sont une meute menaçante qui vient tirer le tapis sous les pieds des bien-pensants pour ridiculiser les maîtres du monde. Ce simulacre de procès, où le procureur arrache au public des slogans-chocs comme « sodomie-justice » scandés dans un bel enthousiasme, est une jouissive parodie où l’accusé, choisi par les applaudissements du public, devient un VIP respecté et adulé.

© Cath Langlois

Une farce un peu confuse

Cette création collective sous l’œil extérieur de Marc Doré, inventeur du bouffon québécois, contient les défauts de ses qualités. Les bouffons sont généreux, volubiles, obscènes, bourrés d’inventions et de pirouettes, s’arrachant leurs organes génitaux pour « passer la quéquette », baisant à qui mieux mieux, s’évertuant à dépeindre la société comme une farce gigantesque où le public est convié à prendre position.

Mais « qui trop étreint, mal embrasse ». La Cour suprême, prononcée cour sur sperme, n’est bien sûr qu’un prétexte pour démonter ce trompe-l’œil légaliste qui n’a aucun rapport avec la justice. Il est impossible de tracer une ligne directrice dans ce spectacle touffu qui va dans toutes directions. Les attaques viennent de partout : errance morale, turpitude, avilissement. Sous leur dérision grinçante, notre humanité se délite, notre veulerie nous transforme en moutons de Panurge, ces bêlantes bêtes envoûtées par leur propre bêtise. Et pour finir, les moutons s’extasient devant le nouveau Dieu de la technologie.

Il y a des scènes remarquables dans ce spectacle, des clins d’œil aux grands mythes fondateurs tels Sisyphe dont le rocher est un amas de fils entremêlés le menaçant d’asphyxie, ou cette étrange orgie où la chair pustuleuse n’est plus qu’un amas rauque aux désirs inassouvis. Mais on reste perplexe devant tant de débauche. Comme si la critique flirtait en même temps avec le social, l’éthique, la philosophie, sans vraiment toucher le cœur des choses.

Nos bouffons philosophes ont le cœur large, et l’appétit gargantuesque. Ils ont su par leur gloutonnerie et leur jeu direct avec le public s’attirer la faveur des spectateurs, certains fuyant la salle à grands pas, d’autres, au contraire, séduits par ces étranges bibittes irrévérencieuses. Pets de reine, organes sexuels bien en vue, jeux de société, spectateur-comédien : qui veut être dérouté sera servi.

La Cour suprême

Texte et interprétation : François-Guillaume Leblanc, Paul Fruteau de Laclos et Valérie Boutin. Mise en scène : Nicola Boulanger. Œil extérieur : Marc Doré. Scénographie : Nathalie Côté. Éclairages : Jérôme Huot. Son : Roberto Schilling Pollo Duarte. Vidéo : Jean-Philippe Côté et Louis-Robert Bouchard. Une production d’Hommeries! présentée à Premier Acte jusqu’au 30 septembre 2017.