Critiques

Psychédélique Marilou : Les Illuminations

Suzane O'Neill

Sept longues années que Pierre-Michel Tremblay ne nous avait pas offert de nouvelle pièce. La dernière, c’était Au Champ de mars, portée à la scène par Michel Monty et au grand écran par Émile Gaudreault (sous le titre Le Vrai du faux). Comme on dit, ça valait la peine d’attendre. En effet, le plus récent opus de celui qui nous a notamment donné Coma Unplugged, Mille Feuilles et Le Rire de la mer est un très bon cru. Mise en scène par Philippe Lambert, Psychédélique Marilou est l’une de ces irrésistibles comédies dont l’auteur a le secret, un portrait de société aussi sensible que satirique.

Suzane O'Neill

Digne représentante des millénariaux, Marilou est la fille de deux baby-boomers: Jean-Marc, rédacteur de discours politiques, et Véronique, animatrice à la radio d’État. Préparant un mémoire de maîtrise sur l’influence du mouvement hippie, la jeune femme est aussi indécise que ses parents sont désillusionnés. Pour inciter les membres de la maisonnée à sortir de leur torpeur, à prendre leur destin en main, l’auteur a eu l’excellent idée de fait appel au fantôme de Timothy Leary, figure marquante de la contre-culture, partisan des bienfaits thérapeutiques et spirituels du LSD.

En observant le présent par le prisme de la culture hippie, Pierre-Michel Tremblay mène (et déclenche) une joyeuse réflexion sur la perte des idéaux dans le Québec du 21e siècle. À situer dans le prolongement du Déclin de l’empire américain de Denys Arcan, l’aventure, riche en péripéties, traduit le choc des générations, mais surtout celui qui s’est produit (et continue de se produire) entre de grandes et belles utopies, celles des années 1960 et 1970, et le néo-libéralisme, dont les ravages intimes et collectifs semblent sans fin. Au terme de leur voyage initiatique, après avoir «vu la lumière», les membres de cette famille, dans laquelle il est difficile de ne pas se reconnaître, seront à jamais transformés.

Suzane O'Neill

Portée par la musique du tandem Le futur, toujours au diapason de l’action, et par l’interprétation impeccable des quatre comédiens, la représentation est sans temps morts. Nous entraînant de Montréal à San Francisco, du salon familial à l’université en passant par un studio de radio, la mise en scène de Philippe Lambert est aussi simple que vigoureuse. Jacques Girard et Isabelle Vincent incarnent des parents à la fois risibles et attachants. Alice Moreault traduit avec doigté les nombreux paradoxes qui assaillent sa Marilou.

Quant à Bruno Marcil, il brûle les planches! Que ce soit dans la peau de l’inspirant Timothy Leary, ou encore du professeur d’université frappé par le démon du midi, sans oublier l’inénarrable Élias Jememoi, un auteur dramatique imbu de lui-même, le comédien multiplie les nuances. Établissant avec le public une complicité croissante sans jamais cabotiner, il occupe sa fonction de narrateur de manière souveraine. Soyons clairs: la présence de l’acteur, et du rôle, sont pour beaucoup dans l’originalité du spectacle et dans le grand plaisir qu’il procure.

Psychédélique Marilou

Texte: Pierre-Michel Tremblay. Mise en scène: Philippe Lambert. Scénographie: Geneviève Lizotte. Costumes: Elen Ewing. Éclairages: André Rioux. Musique en direct: Le futur. Accessoires: Claire Renaud. Avec Jacques Girard, Bruno Marcil, Alice Moreault et Isabelle Vincent. Une production de la Manufacture. À la Licorne jusqu’au 28 octobre 2017.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.