Disons-le d’emblée: lumineux et humaniste, le texte d’Evelyne de la Chenelière, créé il y a dix ans, pourrait avoir été écrit cette année et semble porté par la même urgence qu’en 2007. C’est d’abord, bien sûr, qu’avec l’afflux d’émigrés qui frappent à nos portes, il semble issu de l’actualité la plus brûlante, tant nationale qu’internationale. Par sa mise en scène épurée, sans références directes, en atténuant les renvois à la guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie, Sylvain Bélanger a cherché à lui donner une portée universelle.
Il a fait un autre pari: confier à un artiste sans formation théâtrale ce monologue exigeant d’un réfugié politique qui, sans en avoir les qualifications (on retrouve là le thème de l’imposture traité ailleurs par la dramaturge), s’offre comme remplaçant dans une école où un professeur vient de suicider. Algérien arrivé au Québec à vingt et un ans, rappeur et producteur, Rabah Aït Ouyahia interprète ce personnage qui a tout laissé derrière lui comme s’il jouait sa vie. Avec une technique impeccable, intense, direct, mais non sans tendresse, il insuffle à cette partition trouée de silences et de non-dits la détermination pleine d’humilité de ceux qui n’ont rien à perdre. «Je ne prends pas beaucoup de place, plaide-t-il. Je remplace.»
Prof Lazhar
En choisissant de faire de cet immigrant un enseignant, l’auteure suggère avec habileté les difficultés inhérentes auxquelles se heurtent tous ceux qui changent de pays, mais aussi ceux qui les accueillent. Sensible, fin, cultivé, Bashir Lazhar, avec sa suave dictée Balzac et sa fable de La Fontaine, est en décalage culturel avec l’enseignement et les méthodes pédagogiques des autres professeurs. Mais c’est surtout son interprétation de la violence qui entre en conflit frontal avec les valeurs véhiculées par sa société d’accueil. Il heurte tout le monde quand il avoue que l’assassinat d’une mère et de ses enfants le révolte davantage que le suicide d’un professeur. Et encore plus la directrice quand il lui demande d’afficher le travail de la petite Alice. Travail d’autant plus choquant qu’il exprime le monde de violence avec naïveté et humour. On ne peut demander à la suicidée de recopier dix fois, comme une mauvaise élève, «Je ne me pendrai plus en classe».
Mais Evelyne de la Chenelière est une dramaturge experte. Entre les cours en classe, les visites à la directrice et les retours vers le passé, son monologue, construit avec intelligence, offre à la mise en scène une grande latitude de mouvements, d’évocations et d’interprétations. On y devine les réponses des enfants, les remarques des autres collègues, les accusations du juge à l’émigration, les appels dramatiques des proches restés au pays. S’il y a un texte qui demande de la part du spectateur une écoute active, c’est celui-là.
Fluide et naturelle, la mise en scène de Sylvain Bélanger semble prolonger l’histoire de ce déraciné qui se cherche de nouvelles racines. Grâce aux éclairages qui accompagnent ses mouvements, le spectateur le suit dans les divers lieux de son histoire, présents et passés. À cette réalisation épurée du texte correspond une scénographie minimaliste, une chaise se prêtant à toutes les situations. Le grand tableau noir du fond, qui évoque le monde de l’école, se change en une immense œuvre abstraite en noir, sorte de métaphore du destin. Mais les sonneries qui rythment la vie de l’école, la silhouette du narrateur en ombre chinoise, les rectangles lumineux qui s’ouvrent de chaque côté comme des fenêtres ou des échappées vers le passé, tout cela joue un rôle dans cette histoire d’une vie finie qui n’arrive pas à recommencer.
Au sombre tableau d’ouverture répond la lumineuse image finale, l’histoire de la chrysalide et du papillon, leg poétique du remplaçant à son élève et de l’exilé à sa société d’accueil.
Texte: Evelyne de la Chenelière. Mise en scène: Sylvain Bélanger. Scénographie: Julie Vallée-Léger. Costumes: Marc Senécal. Éclairages: Cédric Delorme-Bouchard. Musique: Guido Del Fabbro. Avec Rabah Aït Ouyahia. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 14 octobre 2017.
Disons-le d’emblée: lumineux et humaniste, le texte d’Evelyne de la Chenelière, créé il y a dix ans, pourrait avoir été écrit cette année et semble porté par la même urgence qu’en 2007. C’est d’abord, bien sûr, qu’avec l’afflux d’émigrés qui frappent à nos portes, il semble issu de l’actualité la plus brûlante, tant nationale qu’internationale. Par sa mise en scène épurée, sans références directes, en atténuant les renvois à la guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie, Sylvain Bélanger a cherché à lui donner une portée universelle.
Il a fait un autre pari: confier à un artiste sans formation théâtrale ce monologue exigeant d’un réfugié politique qui, sans en avoir les qualifications (on retrouve là le thème de l’imposture traité ailleurs par la dramaturge), s’offre comme remplaçant dans une école où un professeur vient de suicider. Algérien arrivé au Québec à vingt et un ans, rappeur et producteur, Rabah Aït Ouyahia interprète ce personnage qui a tout laissé derrière lui comme s’il jouait sa vie. Avec une technique impeccable, intense, direct, mais non sans tendresse, il insuffle à cette partition trouée de silences et de non-dits la détermination pleine d’humilité de ceux qui n’ont rien à perdre. «Je ne prends pas beaucoup de place, plaide-t-il. Je remplace.»
Prof Lazhar
En choisissant de faire de cet immigrant un enseignant, l’auteure suggère avec habileté les difficultés inhérentes auxquelles se heurtent tous ceux qui changent de pays, mais aussi ceux qui les accueillent. Sensible, fin, cultivé, Bashir Lazhar, avec sa suave dictée Balzac et sa fable de La Fontaine, est en décalage culturel avec l’enseignement et les méthodes pédagogiques des autres professeurs. Mais c’est surtout son interprétation de la violence qui entre en conflit frontal avec les valeurs véhiculées par sa société d’accueil. Il heurte tout le monde quand il avoue que l’assassinat d’une mère et de ses enfants le révolte davantage que le suicide d’un professeur. Et encore plus la directrice quand il lui demande d’afficher le travail de la petite Alice. Travail d’autant plus choquant qu’il exprime le monde de violence avec naïveté et humour. On ne peut demander à la suicidée de recopier dix fois, comme une mauvaise élève, «Je ne me pendrai plus en classe».
Mais Evelyne de la Chenelière est une dramaturge experte. Entre les cours en classe, les visites à la directrice et les retours vers le passé, son monologue, construit avec intelligence, offre à la mise en scène une grande latitude de mouvements, d’évocations et d’interprétations. On y devine les réponses des enfants, les remarques des autres collègues, les accusations du juge à l’émigration, les appels dramatiques des proches restés au pays. S’il y a un texte qui demande de la part du spectateur une écoute active, c’est celui-là.
Fluide et naturelle, la mise en scène de Sylvain Bélanger semble prolonger l’histoire de ce déraciné qui se cherche de nouvelles racines. Grâce aux éclairages qui accompagnent ses mouvements, le spectateur le suit dans les divers lieux de son histoire, présents et passés. À cette réalisation épurée du texte correspond une scénographie minimaliste, une chaise se prêtant à toutes les situations. Le grand tableau noir du fond, qui évoque le monde de l’école, se change en une immense œuvre abstraite en noir, sorte de métaphore du destin. Mais les sonneries qui rythment la vie de l’école, la silhouette du narrateur en ombre chinoise, les rectangles lumineux qui s’ouvrent de chaque côté comme des fenêtres ou des échappées vers le passé, tout cela joue un rôle dans cette histoire d’une vie finie qui n’arrive pas à recommencer.
Au sombre tableau d’ouverture répond la lumineuse image finale, l’histoire de la chrysalide et du papillon, leg poétique du remplaçant à son élève et de l’exilé à sa société d’accueil.
Bashir Lazhar
Texte: Evelyne de la Chenelière. Mise en scène: Sylvain Bélanger. Scénographie: Julie Vallée-Léger. Costumes: Marc Senécal. Éclairages: Cédric Delorme-Bouchard. Musique: Guido Del Fabbro. Avec Rabah Aït Ouyahia. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 14 octobre 2017.