En ouverture, un chœur composé de deux hommes et de trois femmes rivalise pour donner, par bribes, des témoignages complémentaires ou contradictoires. Une jeune femme a été agressée par un soir d’hiver glacial, à quelques maisons de chez elle. L’heure exacte et les circonstances précises de l’événement font l’objet d’affirmations et d’hypothèses, sans éviter les habituels préjugés que doivent essuyer, encore et toujours, les victimes de viol… trop téméraires ou trop court-vêtues. Ce récit en fragments, la seule à pouvoir le reconstituer est la jeune fille, déchirée entre le besoin d’oublier et celui de se libérer.
Premier texte de la comédienne Rachel Graton, artiste en résidence à la salle Jean-Claude-Germain, La nuit du 4 au 5 est mise en scène par Claude Poissant, qui a opté pour une certaine lenteur et une pénombre feutrée pour ce récit difficile mais nécessaire d’une agression et laissé s’accomplir, tout doucement, la résilience et la guérison. La jeune auteure bénéficiait là des conditions idéales pour livrer à la lumière de la scène cette pièce-mosaïque, qui juxtapose et superpose de petites touches impressionnistes pour raconter une « histoire triste », comme la qualifie la protagoniste au moment d’écrire sa déposition.
Parmi le discours des intervenants, policiers, parents et voisins, les paroles de la victime ne nous parviennent que hachurées et syncopées, comme souffrant d’un manque de souffle. Ainsi, dans sa respiration même, le texte traduit l’asphyxie de son héroïne, étouffée par la main de son agresseur sur sa bouche, une main gantée qu’elle a réussi à repousser pour, ultimement, lancer le cri qui l’a sauvée mais qui l’a laissée la « bouche arrachée ».
Presque toujours réunis, les cinq interprètes se tiennent serrés sur un plateau étroit, silhouettes sombres habillées de gris ou de noir, dont seuls les visages se détachent sur l’arrière-scène anthracite, les corps s’effaçant derrière les mots à dire. Ils esquissent les gestes et les personnages sans les incarner, avant tout porte-parole, ou porte-voix pour crier la colère de la victime. Quelques sons ambiants nous parviennent, lointains, évoquant faiblement les contours d’une réalité. Les éclairages de Renaud Pettigrew, tout en clairs-obscurs, installent un climat d’ombre et de lumière faisant écho à la mémoire trouée de la jeune femme, qui passe, elle aussi, du black-out amnésique à la fulgurance du souvenir (après l’oubli complet, le visage de son agresseur lui revient en un flash terrifiant).
Dans cette histoire, qui est celle d’une résurrection (le cri qui la ramène à la vie est décrit comme « une lumière jaune, presque blanche », énergie pure qui monte du ventre), Rachel Graton met l’accent sur la dislocation du corps de la protagoniste : « bouche arrachée », membres qui tombent, « yeux revirés par en dedans »… De la même manière qu’elle doit recoller sa mémoire fragmentée, la jeune femme doit se réapproprier son corps violé. Aussi, elle devra reconstituer le visage de son agresseur (« l’homme pas de face »), ce à quoi elle arrivera en composant pièce par pièce, tel un puzzle, son portrait-robot. Ces reconquêtes sont évoquées comme de petites victoires sur sa mort symbolique, cette nuit-là.
La reconquête ultime sera celle du territoire : marcher à nouveau dans la ville, revoir cette ruelle où, enfin, « la glace a fondu » et vivre à nouveau. Un peu précipitée, la finale a le mérite de ne pas verser dans la mièvrerie. Les dernières répliques, porteuses d’espoir, reviennent à la lumineuse Louise Cardinal, dont le regard paisible tire résolument hors de la nuit ce chant clair-obscur.
Texte : Rachel Graton. Mise en scène : Claude Poissant. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Éclairages : Renaud Pettigrew. Costumes : Sylvain Genois. Son : Frédéric Auger. Avec Geneviève Boivin-Roussy, Louise Cardinal, Johanne Haberlin, Simon Landry-Désy, Alexis Lefebvre. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 20 octobre 2017.
En ouverture, un chœur composé de deux hommes et de trois femmes rivalise pour donner, par bribes, des témoignages complémentaires ou contradictoires. Une jeune femme a été agressée par un soir d’hiver glacial, à quelques maisons de chez elle. L’heure exacte et les circonstances précises de l’événement font l’objet d’affirmations et d’hypothèses, sans éviter les habituels préjugés que doivent essuyer, encore et toujours, les victimes de viol… trop téméraires ou trop court-vêtues. Ce récit en fragments, la seule à pouvoir le reconstituer est la jeune fille, déchirée entre le besoin d’oublier et celui de se libérer.
Premier texte de la comédienne Rachel Graton, artiste en résidence à la salle Jean-Claude-Germain, La nuit du 4 au 5 est mise en scène par Claude Poissant, qui a opté pour une certaine lenteur et une pénombre feutrée pour ce récit difficile mais nécessaire d’une agression et laissé s’accomplir, tout doucement, la résilience et la guérison. La jeune auteure bénéficiait là des conditions idéales pour livrer à la lumière de la scène cette pièce-mosaïque, qui juxtapose et superpose de petites touches impressionnistes pour raconter une « histoire triste », comme la qualifie la protagoniste au moment d’écrire sa déposition.
Parmi le discours des intervenants, policiers, parents et voisins, les paroles de la victime ne nous parviennent que hachurées et syncopées, comme souffrant d’un manque de souffle. Ainsi, dans sa respiration même, le texte traduit l’asphyxie de son héroïne, étouffée par la main de son agresseur sur sa bouche, une main gantée qu’elle a réussi à repousser pour, ultimement, lancer le cri qui l’a sauvée mais qui l’a laissée la « bouche arrachée ».
Presque toujours réunis, les cinq interprètes se tiennent serrés sur un plateau étroit, silhouettes sombres habillées de gris ou de noir, dont seuls les visages se détachent sur l’arrière-scène anthracite, les corps s’effaçant derrière les mots à dire. Ils esquissent les gestes et les personnages sans les incarner, avant tout porte-parole, ou porte-voix pour crier la colère de la victime. Quelques sons ambiants nous parviennent, lointains, évoquant faiblement les contours d’une réalité. Les éclairages de Renaud Pettigrew, tout en clairs-obscurs, installent un climat d’ombre et de lumière faisant écho à la mémoire trouée de la jeune femme, qui passe, elle aussi, du black-out amnésique à la fulgurance du souvenir (après l’oubli complet, le visage de son agresseur lui revient en un flash terrifiant).
Dans cette histoire, qui est celle d’une résurrection (le cri qui la ramène à la vie est décrit comme « une lumière jaune, presque blanche », énergie pure qui monte du ventre), Rachel Graton met l’accent sur la dislocation du corps de la protagoniste : « bouche arrachée », membres qui tombent, « yeux revirés par en dedans »… De la même manière qu’elle doit recoller sa mémoire fragmentée, la jeune femme doit se réapproprier son corps violé. Aussi, elle devra reconstituer le visage de son agresseur (« l’homme pas de face »), ce à quoi elle arrivera en composant pièce par pièce, tel un puzzle, son portrait-robot. Ces reconquêtes sont évoquées comme de petites victoires sur sa mort symbolique, cette nuit-là.
La reconquête ultime sera celle du territoire : marcher à nouveau dans la ville, revoir cette ruelle où, enfin, « la glace a fondu » et vivre à nouveau. Un peu précipitée, la finale a le mérite de ne pas verser dans la mièvrerie. Les dernières répliques, porteuses d’espoir, reviennent à la lumineuse Louise Cardinal, dont le regard paisible tire résolument hors de la nuit ce chant clair-obscur.
La nuit du 4 au 5
Texte : Rachel Graton. Mise en scène : Claude Poissant. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Éclairages : Renaud Pettigrew. Costumes : Sylvain Genois. Son : Frédéric Auger. Avec Geneviève Boivin-Roussy, Louise Cardinal, Johanne Haberlin, Simon Landry-Désy, Alexis Lefebvre. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 20 octobre 2017.