Critiques

Je disparais : Partir, c’est mourir un peu

Matthew Fournier

Arne Lygre est l’auteur de nouvelles, de deux romans et de sept pièces de théâtre, traduites et jouées en plusieurs langues, dont Homme sans but, qui fut présentée à l’Usine C en 2008 dans la mise en scène de Claude Régy. Je disparais est son texte le plus récent, il a été créé en 2011 par Stéphane Braunschweig au Théâtre de la Colline à Paris. Au Québec, c’est la première fois que cet auteur est monté, grâce au Groupe de la Veillée, qui remplit fort bien sa mission de faire découvrir des textes des dramaturgies étrangères.

Matthew Fournier

Je disparais met en scène deux femmes, deux amies, qui doivent quitter leur maison, leur pays. Pourquoi? On ne le sait pas exactement. Fuite, exil, immigration? Elles attendent la fille de l’une, le mari de l’autre pour le faire. Mais le mari ne viendra pas. Pendant leur exode, peut-être pour conjurer la peur qui les étreint, elles imaginent des situations, des accidents de parcours, vécus par d’autres gens, qu’elles jouent et se rejouent, qui évoquent les tragédies de l’actualité: naufrage en mer de ceux qui fuient la guerre ou la dictature, tremblement de terre, maladie, solitude… Comme si, en évoquant le pire, elles parviendraient à l’éviter, à le repousser. «On est encore en vie» revient plusieurs fois dans la bouche de l’une ou de l’autre, une façon de se rassurer, de conjurer le mauvais sort.

Catherine Vidal a fait le choix d’un théâtre radical pour raconter cette histoire de fragilité, de doute, d’incertitude. Entouré sur trois côtés de rangées de gradins, l’espace de jeu est nu, et noir, souvent éclairé d’un plein feu. Deux chaises pour tout accessoire, et les lumières de François Marceau, dures, presque violentes par moments, comme si elles refusaient toute intimité avec ce qui se joue. Certaines scènes, données dans le noir complet, sont particulièrement éprouvantes.

Matthew Fournier

Le texte de Lygre, minimaliste, elliptique, mérite une langue universelle, neutre, polie comme on dit d’un galet resté longtemps dans l’eau. Mais, dans la traduction de Guillaume Corbeil, certaines tournures, certains accents québécois écorchent l’oreille, car il est clair que cette pièce se passe ailleurs. Cet univers étrange et étranger, c’est ce que l’on vient chercher, voir, entendre.

Enfin, la direction d’acteurs est inégale. On sent que le travail s’est concentré sur Marie-France Lambert, qui porte la pièce de sa présence puissante et précise, alors que les autres comédiens semblent encore chercher le chemin qui les mènera à leur personnage. Macha Limonchik, affublée d’un chandail rayé, multiplie les mouvements de tête saccadés sans réussir à nous faire croire à sa détresse. Larissa Corriveau, dans le rôle de la jeune fille, surjoue l’énergie jusqu’à l’énervement. Quant à James Hyndman, qui ne fait qu’une apparition à la fin de la pièce, on l’a connu plus convaincant. Enfin, les costumes, un peu trop neufs, un peu trop propres, sont d’une telle banalité qu’ils en gâchent l’esthétique de la pièce.

Je disparais

Texte: Arne Lygre. Traduction: Guillaume Corbeil. Mise en scène: Catherine Vidal. Costumes: Marilène Bastien. Scénographie: Catherine Vidal, Marilène Bastien et Pierre Mainville. Éclairages: François Marceau. Son: Francis Rossignol. Avec Larissa Corriveau, James Hyndman, Marie-France Lambert, Marie-Claude Langlois et Macha Limonchik. Une production du Groupe de la Veillée. Au Théâtre Prospero jusqu’au 21 octobre 2017. Au Studio Azrieli du CNA du 1er au 4 novembre 2017.