Critiques

La vie attend : Virilités confondantes

Copyright 2017. All rights reserved.

Dans La vie attend, exploration d’une physicalité masculine poussée, les chorégraphes David Albert-Toth et Emily Gualtieri posent des enjeux de vie: Comment les hommes entrent-ils en relation, face au monde et entre eux? Où vont leurs émotions, leurs frustrations, leurs doutes? En chargeant la scène de leurs impulsions, pulsions et réactions, les artistes de la compagnie Parts+Labour_Danse, fondée en 2011, opposent à la brièveté de la vie une tenace volonté d’exister.

Justin Desforges

Finie la virilité monolithique et solitaire du héros musclé? Son goût de tuer, de réduire, d’exploser? Nenni. Son peu de respect de la vie, ses passions schématiques et brutales, sa contenance, son assurance, son caractère buté? Là, la danse nuance. Et la virilité tourmentée des acteurs séduisants, au regard sombre et inquiet? Non, ce n’est pas ça. Des virilités, même plurielles, on connaît les valeurs: la présence, le partage, l’identification, le simulacre; mais qu’elles soient lucides change tout.

À l’ère de l’égalité et des choix identitaires, culturels, sexuels, et des progrès pour les femmes, les hommes disposent-ils plus que du pouvoir et de l’ego? L’omniprésence phallique dans nos sociétés laisse peu de chance, concédons-le, aux valeurs positives de la danse masculine. Pourtant, ces artistes déclinent le respect et la tendresse, jouissant de danser comme d’être enragés.

 

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Expressivité rebelle

D’entrée de jeu, Marc Boivin exécute une brillante parodie. Cet interprète aguerri, louvoyant entre l’adresse au public et l’autocritique de l’acteur, livre un jeu théâtral impayable, se moquant des mots trop songés accolés à la danse. Maître des codes, il rit de lui-même et de son propos, improvisateur, danseur et acteur dont la maturité met le public de son côté. Sur ce mode comique, la chorégraphie se poursuit à un rythme endiablé.

Les cinq fiers danseurs porteront cette condition du «faire homme» en parodiant divers styles de danse, où la virilité est tour à tour complice, sauvage, belliqueuse et décomplexée. Sur la trame chorégraphiée, ils se libèrent, se cognent, accrochent une table, débordent, puis les voici vulnérables dans la mort. La virilité change de teintes. Sur une musique répétitive, regardons-les tourner autour du thème, l’investir seuls, en duos, en groupe, tournoyer, tomber, glisser, s’empoigner, se prendre, se renverser. Tant de souffle, de force et de concentration écrit quelque chose d’innommé.

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Il y a les états théâtraux de Marc Boivin, sa voix puissante et son visage changeant, son ironie mordante. Involontairement, ses pieds nus se tordent, se contractent et se déforment sous l’emportement. Il y a le très grand Nicolas Patry, danseur formidable qui donne à ses gestes une beauté secrète, tel un poème jailli du plexus solaire. Avec leur stature impressionnante, perchés sur des tables, tous deux figurent le Commandeur et Don Juan, présences tutélaires ici bienveillantes. Dans un duo final poignant, l’un portant l’autre avec grâce, la mort l’emporte, et les rôles vont habilement s’inverser.

La danse combat ici la mort. Simon-Xavier Lefebvre avec ses arts martiaux, Joe Danny Aurélien, danseur break, Milan Panet-Gigon, le plus jeune des cinq, tous impriment une emprise nerveuse dans l’espace. Se souvient-on des beaux jours de la fureur chez Carbone 14? Plus d’une génération a passé, on ne se raconte plus, tout est danse hypermoderne, mouvements symboliques, cassés, emballés. La communauté des mâles, resserrée, déconstruit ses mythes sans effet féminisant. On aura ainsi pu se passer du féminin et blackbouler les clichés. Nul déclin de la virilité: on en sort ébranlé, galvanisé.

La vie attend

Chorégraphie: David Albert-Toth et Emily Gualtieri (Parts+Labour_Danse). Musique: David Drury. Éclairages: Paul Chambers. Costumes: Angela Rassenti. Avec Joe Danny Aurélien, Marc Boivin, Simon-Xavier Lefebvre, Milan Panet-Gigon et Nicolas Patry. Une production de Danse-Cité. À la Chapelle jusqu’au 7 octobre 2017.