Critiques

La Grenouille avait raison : Vol au-dessus d’un nid de coucou

Richard Haughton

Les visites de James Thierrée sont aussi rares que précieuses. La dernière fois que le créateur suisse, véritable homme-orchestre, nous a fait l’honneur de sa présence, c’était en 2012, pour offrir, en rappel, une œuvre tout bonnement extraordinaire intitulée Raoul. Cinq ans plus tard, la Tohu sert à nouveau d’écrin à cet imaginaire prodigieux en accueillant La Grenouille avait raison, un spectacle qui a vu le jour en 2016.

Richard Haughton

Le directeur de la Compagnie du Hanneton pratique ce qu’il est convenu d’appeler un art total. Ses créations uniques combinent tout naturellement la danse, la musique, l’acrobatie, le clown, le mime, la marionnette, le théâtre d’objets, la jonglerie et le chant. Entouré cette fois de cinq interprètes, parmi lesquels une chanteuse et deux danseuses, Thierrée donne naissance à une suite de tableaux vivants qui transcendent le cirque, des fresques fascinantes dont le sens est aussi difficile à épingler que la beauté est grande.

«Je fais du théâtre pour ne pas avoir à expliquer ce qui remue à l’intérieur, plutôt pour rôder autour», écrit Thierrée dans le programme. Ainsi, dans les entrailles d’un monde gris et néanmoins reluisant, un laboratoire patiné par le temps et pourtant étincelant, une fratrie s’agite, des êtres à la fois tragiques et comiques vont et viennent, évoluent sous l’œil attentif d’une étrange créature, une structure kaléidoscopique en constante reconfiguration, un orifice qui semble à même de prendre ou de donner la vie. Dans ce lieu, les choses, les matières et les matériaux se meuvent, respirent, sont pour ainsi dire parcourus d’impulsions nerveuses. Du rideau au piano, du manteau au plan d’eau, tout grouille de vie.

Richard Haughton

Si le ravissement est au rendez-vous, il faut tout de même avouer que l’émotion est moins grande que celle procurée par Raoul. Il y a ici et là quelques longueurs, des scènes moins étonnantes, moins spectaculaires, ou alors un brin redondantes, des passages où les fils du récit (aussi insaisissable soit-il) sont plus distendus. C’est alors que surgit un moment de grâce qui nous enchante, comme les solos chaplinesques de Thierrée, de vrais bijoux, les envolées vocales d’Ofélie Crispin, sublimes, ou encore l’apparition de la grenouille géante, aussi drôle que poignante.

La Grenouille avait raison

Mise en scène, scénographie et musique: James Thierrée. Son: Thomas Delot. Éclairages: Alex Hardellet et James Thierrée. Costumes: Pascaline Chavanne. Bestiaire: Victoria Thierrée. Avec Sonia ‘Sonya’ Bel Hadj Brahim, Ofélie Crispin, Samuel Dutertre, Hervé Lassïnce, Thi Mai Nguyen et James Thierrée. Une production de la Compagnie du Hanneton. À la Tohu jusqu’au 7 octobre 2017.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.