Critiques

Eros Journal : Coït interrompu

Il est présent partout autour de nous, dans cette fleur que l’on cueille, dans ce ciel que l’on scrute, dans ce vin qui nous saoule. Et bien sûr, dans cet autre qu’on enlace. Dans la création de David Pressault, Éros est le personnage central d’un livre ouvert qui s’immisce dans les moindres recoins de nos vies. Il prend tour à tour l’apparence de nos amours: de l’amour fou, de l’amour vache, de l’amour charnel ou du premier amour. Plus qu’un fruit défendu, Éros est une pulsion qui nous guide vers l’oubli de soi, l’oubli de l’autre.

Avec Eros Journal, Pressault s’amuse avec les stéréotypes et les tabous érotiques, il livre une œuvre composée d’une série de vignettes pour dépeindre l’amour sous toutes ses facettes. Présenté dans la série Traces-Chorégraphes, avec laquelle Danse-Cité encourage la danse d’auteur et la création de nouvelles écritures chorégraphiques, le spectacle offre une vision éclatée de la sexualité, un peu comme si le chorégraphe proposait au spectateur de regarder son rapport à l’érotisme à travers un kaléidoscope.

Si Éros avait un corps, il aurait celui de Kimberley De Jong, tant la danseuse originaire de Vancouver cannibalise le plateau, et même un peu les autres interprètes. Non pas que ces derniers ne soient pas bons, loin de là. Mais la maîtrise qu’elle a de son corps est simplement remarquable. Elle ouvre avec un solo qui est la partie la plus forte du spectacle. C’est finalement bien dommage que ce moment arrive si tôt. Parmi les autres interprètes, il faut tout de même mentionner Daniel Soulières, qui exécute sur You Don’t Own Me de Lesley Gore une chorégraphie qui transcende le corps vieillissant.

La musique est aussi une belle réussite. C’est d’ailleurs quand elle s’arrête qu’on s’aperçoit qu’on l’aime et qu’elle nous manque. Les innombrables costumes conçus par Camille Thibault-Bédard font partie des belles surprises d’Eros Journal. Ils se marient parfaitement aux éclairages et aux effets visuels qui rythment la pièce.

Parce que le spectacle n’hésite pas à faire appel à quelques clichés, la pomme y occupe une place centrale. Par contre, l’idée d’en faire profiter le public est certes intéressante, mais elle vient couper un peu le souffle de la pièce, jusqu’à ce que le spectateur ne sache plus très bien ce qui se trame. D’ailleurs, cette confusion se fait ressentir à plusieurs endroits, les intentions du chorégraphe étant un peu floues, ou alors fort prévisibles. Certaines justifications aux actions des danseurs manquent, et les messages sont, à certains moments, difficiles à saisir.

Alors que le spectateur s’attendait certainement à ces différentes nuances d’amour, charnel, bestial, vulgaire, cru, intime ou voyeur, il s’attendait aussi à être surpris, désarçonné et peut-être même un peu émoustillé. À dire vrai, il a dû rester un peu sur sa faim.

Eros Journal

Chorégraphie: David Pressault. Artiste visuel: Gareth Bate. Éclairages: Lucie Bazzo. Arrangements sonores: Michel F. Côté. Costumes: Camille Thibault-Bédard. Conseillère artistique: Sophie Michaud. Avec Angie Cheng, Dany Desjardins, Karina Iraola, Kimberley De Jong, Gabriel Painchaud et Daniel Soulières. Une production de Danse-Cité. Au Théâtre Prospero jusqu’au 4 novembre 2017.

Mathieu Carbasse

À propos de

Journaliste touche-à-tout, il se passionne pour le spectacle vivant, notamment le théâtre, depuis une dizaine d’années.