Dans L’Enfer de sa Divine Comédie, Dante raconte comment Virgile découvrit un territoire inconnu, médusant. L’univers pire que pire du mal absolu s’étendait, horrifique et nauséabond, suggérant au poète des scènes d’épouvante où Virgile faillit rester enfermé, fasciné par l’enfer. Il s’en fallut donc de peu qu’il y demeurât, sans ramener Béatrice vers la lumière. Le symbole de la sidération par le mal est clair.
De cette exploration mythique, antique puis chrétienne, Olivier Kemeid et Estelle Clareton ont retenu l’épure. La sobriété de la mise en scène de Sous la nuit solitaire laisse parler de brefs mais saisissants extraits du poème dantesque, projetés au-dessus de sept spectres dansants. Ils se démènent dans le malheur et la destruction. Voyons-les s’ébattre, en s’en prenant les uns aux autres, furieux, roulant cul par-dessus tête, s’étripant, s’égorgeant, s’arrachant des cris fous dans une cavalcade effrénée.
Sobres, donc, ces tableaux humanisés le moins possible adhèrent à la modernité. Le texte retenu, admirable, traverse le temps sans faux pli, du Moyen Âge aux reportages de guerre, où ni les destructions ni les corps abandonnés ne cèdent le pas à la cruauté ancienne. Stylisé, propre au pathétique, un vaste décor composé de cinq panneaux, glacés comme des icebergs, borne cet enfer. Comme chez Gustave Doré, les personnages y tourneront en rond, sous des éclairages cliniques, rouge, vert ou bleu, tantôt livides, tantôt brumeux. Prison absurde de corps en contorsion.
Sept interprètes dansent ainsi le mal absolu. Dans le capharnaüm d’une musique illustrative, aux bruits d’orages, d’avalanches et de rafales, un déluge de sons ne lâchera pas d’une heure. Le théâtre s’immerge dans l’évocation dévastatrice, que Clareton avait déjà signée après sa visite des camps nazis. On suit la petite foule compacte, anonyme, damnée, rappelant les Goya, les Bosch et les peintres des supplices, des maladies et de la pauvreté. Si Doré inspire les tableaux de cette pièce, la mise en scène est chorégraphiée sans mots. Le graveur romantique, découvrant L’Enfer en 1855, se jeta éperdument dans l’imagerie surnaturelle. Il succédait alors à d’autres illustrateurs – Botticelli, Delacroix, Füssli, Ingres, Blake notamment – et voulait égaler Michel Ange et ses corps musclés, détaillés. La danse de Clareton en possède la tristesse en arrière-plan.
Kemeid nous amène habilement au bord de l’angoisse. Entrelacs et amoncellement des corps, hybridité des couples, décollation, dépouillement des vêtements, tout ce connu a l’allure de la banalité. Le chemin de la sidération frappera au cœur du spectateur, dans sa simplicité efficace, sensible, intelligente et picturalement très référencée.
Mise en scène: Estelle Clareton et Olivier Kemeid. Chorégraphie: Estelle Clareton. Scénographie et costumes: Romain Fabre. Éclairages: Marc Parent. Musique: Eric Forget. Avec Larissa Corriveau, Renaud Lacelle-Bourdon, Esther Rousseau-Morin, Nicolas Patry, Ève Pressault, Éric Robidoux et Mark Eden-Towle. Une coproduction de Trois Tristes Tigres et de Créations Estelle Clareton. Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 2 décembre 2017.
Dans L’Enfer de sa Divine Comédie, Dante raconte comment Virgile découvrit un territoire inconnu, médusant. L’univers pire que pire du mal absolu s’étendait, horrifique et nauséabond, suggérant au poète des scènes d’épouvante où Virgile faillit rester enfermé, fasciné par l’enfer. Il s’en fallut donc de peu qu’il y demeurât, sans ramener Béatrice vers la lumière. Le symbole de la sidération par le mal est clair.
De cette exploration mythique, antique puis chrétienne, Olivier Kemeid et Estelle Clareton ont retenu l’épure. La sobriété de la mise en scène de Sous la nuit solitaire laisse parler de brefs mais saisissants extraits du poème dantesque, projetés au-dessus de sept spectres dansants. Ils se démènent dans le malheur et la destruction. Voyons-les s’ébattre, en s’en prenant les uns aux autres, furieux, roulant cul par-dessus tête, s’étripant, s’égorgeant, s’arrachant des cris fous dans une cavalcade effrénée.
Sobres, donc, ces tableaux humanisés le moins possible adhèrent à la modernité. Le texte retenu, admirable, traverse le temps sans faux pli, du Moyen Âge aux reportages de guerre, où ni les destructions ni les corps abandonnés ne cèdent le pas à la cruauté ancienne. Stylisé, propre au pathétique, un vaste décor composé de cinq panneaux, glacés comme des icebergs, borne cet enfer. Comme chez Gustave Doré, les personnages y tourneront en rond, sous des éclairages cliniques, rouge, vert ou bleu, tantôt livides, tantôt brumeux. Prison absurde de corps en contorsion.
Sept interprètes dansent ainsi le mal absolu. Dans le capharnaüm d’une musique illustrative, aux bruits d’orages, d’avalanches et de rafales, un déluge de sons ne lâchera pas d’une heure. Le théâtre s’immerge dans l’évocation dévastatrice, que Clareton avait déjà signée après sa visite des camps nazis. On suit la petite foule compacte, anonyme, damnée, rappelant les Goya, les Bosch et les peintres des supplices, des maladies et de la pauvreté. Si Doré inspire les tableaux de cette pièce, la mise en scène est chorégraphiée sans mots. Le graveur romantique, découvrant L’Enfer en 1855, se jeta éperdument dans l’imagerie surnaturelle. Il succédait alors à d’autres illustrateurs – Botticelli, Delacroix, Füssli, Ingres, Blake notamment – et voulait égaler Michel Ange et ses corps musclés, détaillés. La danse de Clareton en possède la tristesse en arrière-plan.
Kemeid nous amène habilement au bord de l’angoisse. Entrelacs et amoncellement des corps, hybridité des couples, décollation, dépouillement des vêtements, tout ce connu a l’allure de la banalité. Le chemin de la sidération frappera au cœur du spectateur, dans sa simplicité efficace, sensible, intelligente et picturalement très référencée.
Sous la nuit solitaire
Mise en scène: Estelle Clareton et Olivier Kemeid. Chorégraphie: Estelle Clareton. Scénographie et costumes: Romain Fabre. Éclairages: Marc Parent. Musique: Eric Forget. Avec Larissa Corriveau, Renaud Lacelle-Bourdon, Esther Rousseau-Morin, Nicolas Patry, Ève Pressault, Éric Robidoux et Mark Eden-Towle. Une coproduction de Trois Tristes Tigres et de Créations Estelle Clareton. Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 2 décembre 2017.