Passé à la moulinette des Écornifleuses, Titus Andronicus de Shakespeare devient simplement Titus, une tragédie où les comédiennes interprètent les rôles masculins et où la charge guerrière et les émotions viscérales mènent le monde, du moins jusqu’à l’épilogue.
La joute sanglante s’exécute au rythme des tambours, des sons de gorge et des chants aériens entremêlés par Mykalle Bielinski. Les joueurs, Romains et Goths, portent des chemisiers bouffants ou scintillants, des manteaux stylés et des espadrilles, prêts à conquérir le monde comme s’il s’agissait de quelque sport de contact. On trouve quelque chose de la lutte, aussi, dans cette manière qu’ont les comédiens de solliciter des réactions de la foule et de crier jusqu’au bout de leur voix pour s’attirer des encouragements.
La metteure en scène Édith Patenaude n’est pas allée jusqu’à mettre un ring sur scène, mais on se trouve devant une sorte de gymnase, une arène, une allée qui peut rappeler l’espace scénographique de L’Absence de guerre. Juchés sur une estrade, les spectateurs peuvent voir la sueur perler sur les fronts et les traits de visage se découper dans les jets de lumières qui traversent l’espace de jeu comme des faisceaux. Marie-Hélène Lalande (Marius) présente les joueurs. Il est déjà établi que certains changeront de rôles, en l’annonçant, sans changer de costume, presque sans utiliser d’accessoires. Dans ce spectacle, les mots et les corps se confrontent, et les coups fatals sont portés en arrêt sur image, avec des gestes suspendus.
Au début, on guette avec attention ce qui pourrait surgir comme nouveau sens à cause de l’inversion des sexes, puis il ne reste qu’une certaine fascination devant ce défi de jeu. Guillaume Perreault joue Tamora. L’œil bleu ombragé, la camisole seyante et la voix grave, qui sait se faire mielleuse, il compose une reine tangible, malgré la carrure masculine. Pas de perruque, pas de faux seins… on mise sur l’interprétation pure et sur la capacité du spectateur à accepter de nouvelles conventions. Anglesh Major incarne une Lavinia surprenante, dont on prend toute la mesure lors de la déchirante scène de viol. La seule présence douloureuse du costaud comédien noir nous serre le ventre lorsqu’il est accueilli, mutilé et meurtri, par les cris déchirants de Titus (noble et solide Joanie Lehoux) et Lucius (Marie-Hélène Gendreau, qui joue les jeunes premiers avec un aplomb et un plaisir sadique).
Véronique Côté et Caroline Boucher-Boudreau incarnent les frères Démétrius et Chiron avec une arrogance adolescente qui cache une rage animale. Mais c’est la noirceur d’Aaaron (Dominique Leclerc) qui est la plus terrifiante. Foutre la trouille avec des lunettes à chaînettes et à épaisses montures noires et des pantalons moulants argentés, quand même, il faut le faire. L’unique moment où du faux sang est versé sur scène détonne par rapport à l’économie de moyens du reste de la pièce. En nourrice, Marie-Hélène Gendreau laissera un liquide épais et visqueux jaillir de sa gorge, puis le ramassera avec des gestes certes chorégraphiés, mais tout de même étranges, qui suscitent davantage le questionnement que l’émotion.
L’adaptation, ponctuée de «Correct», «Ok, cool», «Tabarnak!», «Ta yeule!» et «J’m’en câlisse», conjugue habillement le bâtard et le sublime, bien que le dosage et le mordant avec lesquels les comédiens attaquent les répliques ne soient pas toujours totalement maîtrisés. Les Écornifleuses racontent en épilogue une fin heureuse, où chacun aurait pris conscience de ce qui rend la vie douce. «On n’est pas très indulgent avec les fins heureuses», lancera Lalande, et on se dit qu’effectivement, la symbolique de tout ce bain de sang pour rétablir l’ordre perdrait de sa force avec cette finale pleine d’espoir et d’humanisme. Mais en sortant de la salle, le cerveau travaille, le spectateur se questionne sur la proposition, et on salue cette petite victoire du théâtre sur la vie, qui arrive trop peu souvent.
Texte : William Shakespeare. Traduction: André Markowicz. Mise en scène et adaptation : Édith Patenaude. Appui dramaturgique : Joanie Lehoux. Consultant à la dramaturgie scénique : Patrice Charbonneau-Brunelle. Musique : Mykalle Bielinski. Stylisme : Noémie O’Farrell. Éclairages : Jean-François Labbé. Une production des Écornifleuses. Présenté au LANTISS, par le Périscope, jusqu’au 2 décembre 2017. Au Théâtre Prospero du 13 au 24 février 2018.
Passé à la moulinette des Écornifleuses, Titus Andronicus de Shakespeare devient simplement Titus, une tragédie où les comédiennes interprètent les rôles masculins et où la charge guerrière et les émotions viscérales mènent le monde, du moins jusqu’à l’épilogue.
La joute sanglante s’exécute au rythme des tambours, des sons de gorge et des chants aériens entremêlés par Mykalle Bielinski. Les joueurs, Romains et Goths, portent des chemisiers bouffants ou scintillants, des manteaux stylés et des espadrilles, prêts à conquérir le monde comme s’il s’agissait de quelque sport de contact. On trouve quelque chose de la lutte, aussi, dans cette manière qu’ont les comédiens de solliciter des réactions de la foule et de crier jusqu’au bout de leur voix pour s’attirer des encouragements.
La metteure en scène Édith Patenaude n’est pas allée jusqu’à mettre un ring sur scène, mais on se trouve devant une sorte de gymnase, une arène, une allée qui peut rappeler l’espace scénographique de L’Absence de guerre. Juchés sur une estrade, les spectateurs peuvent voir la sueur perler sur les fronts et les traits de visage se découper dans les jets de lumières qui traversent l’espace de jeu comme des faisceaux. Marie-Hélène Lalande (Marius) présente les joueurs. Il est déjà établi que certains changeront de rôles, en l’annonçant, sans changer de costume, presque sans utiliser d’accessoires. Dans ce spectacle, les mots et les corps se confrontent, et les coups fatals sont portés en arrêt sur image, avec des gestes suspendus.
Au début, on guette avec attention ce qui pourrait surgir comme nouveau sens à cause de l’inversion des sexes, puis il ne reste qu’une certaine fascination devant ce défi de jeu. Guillaume Perreault joue Tamora. L’œil bleu ombragé, la camisole seyante et la voix grave, qui sait se faire mielleuse, il compose une reine tangible, malgré la carrure masculine. Pas de perruque, pas de faux seins… on mise sur l’interprétation pure et sur la capacité du spectateur à accepter de nouvelles conventions. Anglesh Major incarne une Lavinia surprenante, dont on prend toute la mesure lors de la déchirante scène de viol. La seule présence douloureuse du costaud comédien noir nous serre le ventre lorsqu’il est accueilli, mutilé et meurtri, par les cris déchirants de Titus (noble et solide Joanie Lehoux) et Lucius (Marie-Hélène Gendreau, qui joue les jeunes premiers avec un aplomb et un plaisir sadique).
Véronique Côté et Caroline Boucher-Boudreau incarnent les frères Démétrius et Chiron avec une arrogance adolescente qui cache une rage animale. Mais c’est la noirceur d’Aaaron (Dominique Leclerc) qui est la plus terrifiante. Foutre la trouille avec des lunettes à chaînettes et à épaisses montures noires et des pantalons moulants argentés, quand même, il faut le faire. L’unique moment où du faux sang est versé sur scène détonne par rapport à l’économie de moyens du reste de la pièce. En nourrice, Marie-Hélène Gendreau laissera un liquide épais et visqueux jaillir de sa gorge, puis le ramassera avec des gestes certes chorégraphiés, mais tout de même étranges, qui suscitent davantage le questionnement que l’émotion.
L’adaptation, ponctuée de «Correct», «Ok, cool», «Tabarnak!», «Ta yeule!» et «J’m’en câlisse», conjugue habillement le bâtard et le sublime, bien que le dosage et le mordant avec lesquels les comédiens attaquent les répliques ne soient pas toujours totalement maîtrisés. Les Écornifleuses racontent en épilogue une fin heureuse, où chacun aurait pris conscience de ce qui rend la vie douce. «On n’est pas très indulgent avec les fins heureuses», lancera Lalande, et on se dit qu’effectivement, la symbolique de tout ce bain de sang pour rétablir l’ordre perdrait de sa force avec cette finale pleine d’espoir et d’humanisme. Mais en sortant de la salle, le cerveau travaille, le spectateur se questionne sur la proposition, et on salue cette petite victoire du théâtre sur la vie, qui arrive trop peu souvent.
Titus
Texte : William Shakespeare. Traduction: André Markowicz. Mise en scène et adaptation : Édith Patenaude. Appui dramaturgique : Joanie Lehoux. Consultant à la dramaturgie scénique : Patrice Charbonneau-Brunelle. Musique : Mykalle Bielinski. Stylisme : Noémie O’Farrell. Éclairages : Jean-François Labbé. Une production des Écornifleuses. Présenté au LANTISS, par le Périscope, jusqu’au 2 décembre 2017. Au Théâtre Prospero du 13 au 24 février 2018.