Critiques

Pain d’épice : Tendre et délicieux

Michel Pinault

Cuisiné avec une infinie tendresse par Claire Voisard, Pain d’épice, spectacle traditionnel de la saison des Fêtes du théâtre de marionnettes L’Illusion, mettrait du baume au cœur au plus cynique des Ebenezer Scrooge. La recette est pourtant toute simple: une charmante cuisinière concocte un bonhomme de pain d’épice qui prend vie sous ses yeux interloqués.

Les pitreries et friponneries du biscuit – autant d’ailleurs que l’air hébété de l’auteure de ses jours – sauront tirer d’innombrables éclats de rire des jeunes spectateurs. Même les plus durs à cuire se laisseront prendre au jeu. Cet auditoire haut de trois pommes sera par ailleurs ébloui lorsque la pâtisserie à forme humaine sortira du four. D’aucuns pourraient voir là une métaphore du miracle de la naissance. Surtout lorsque sa créatrice peint un sourire et des rayons de soleil autour des yeux du farineux gamin, décrétant du même coup qu’il sera heureux. N’est-ce pas là le vœu le plus cher de tout individu donnant la vie à un autre être humain?

Michel Pinault

Le parallèle entre le bonhomme et l’enfant se poursuit lorsque le biscuit est emmitouflé dans un linge à vaisselle devenant de ce fait une couverture, puis couché pour faire la sieste dans un tiroir en guise de lit. Comme toute créature vivante, le pain d’épice voudra néanmoins voler de ses propres ailes et lorsqu’il entreprend d’explorer le monde, son incapacité à traverser une rivière (qu’arrive-t-il lorsqu’on trempe un biscuit dans du lait? demandera la pâtissière) causera sa perte. Car le renard qui lui offrira le passage ne fera qu’une bouchée de ce dessert ambulant.

Cette partie du récit, comme elle se déroule à l’extérieur de la cuisine qui occupe l’entièreté de la minuscule scène du théâtre de poche, sera relatée grâce à des images projetées au plafond de cette cuisinette aux angles et aux proportions fantasques dont l’esthétique serait qualifiée de topsy-turvy dans la langue de Shakespeare. Pour jouir pleinement de ces projections, il faudra par contre être assis au sol avec les enfants, car la vue à partir des gradins en est pour le moins sommaire.

Respecter le jeune public

Plusieurs adultes reconnaîtront ce conte traditionnel du pain d’épice en fuite terminant sa course dans la gueule d’un renard, notamment pour l’avoir entendu narré par le personnage de Grand-mère (incarné par Kim Yaroshevskaya) dans l’émission culte Passe-Partout. On notera d’ailleurs que Marie Eykel agit en tant que conseillère artistique au sein du spectacle. Que celui-ci en soit à sa 14e saison n’a absolument rien d’étonnant. Bien entendu, le jeune public (de 3 à 6 ans) se renouvelle constamment, ce qui permet à Pain d’épice de constituer un rituel d’avant les Fêtes au même titre que Casse-Noisette, mais c’est surtout la qualité de la production qui en explique la longévité.

À cet égard, si l’on peut saluer le décor coloré et juste assez fantaisiste imaginé par Richard Cloutier et son équipe, il reste que le mérite revient en large part à Claire Voisard, qui, seule en scène avec sa marionnette, sait tenir en haleine une cinquantaine de petits d’âge préscolaire (comme c’était le cas lorsque nous y étions), invitant ceux-ci tantôt à réagir, tantôt – et avec le même succès – à écouter sagement, tout en étant en constante interaction avec ces imprévisibles et spontanés spectateurs. La relation qui s’instaure d’emblée entre la conteuse et son auditoire se révèle franchement impressionnante, émouvante même.

Michel Pinault

Il faut dire que si l’histoire est simple et que le ton adopté est celui, chaleureux, de l’adulte qui parle à un jeune enfant, le public n’est jamais sous-estimé par la comédienne, auteure et metteure en scène. Elle traite ses vis-à-vis comme des personnes douées d’intelligence et de sensibilité. La liste des ingrédients de son biscuit, à elle seule, puisqu’elle compte de l’essence d’orange de Valence, de la mélasse de la Barbade et du chocolat africain, témoigne de la considération démontrée par la créatrice envers l’ouverture d’esprit et la curiosité de ceux qui la dévorent de leurs yeux ronds et de leurs oreilles grandes ouvertes.

Cette estime et cette adresse ont beaucoup à voir avec la qualité et le succès de Pain d’épice. Certes, le petit biscuit remis à chacun à la fin de la représentation ne gâte certainement rien et clôt par une note délectable ce petit moment de bonheur qu’offre L’Illusion.

Pain d’épice

Texte et mise en scène: Claire Voisard. Conseillère artistique: Marie Eykel. Scénographie: Richard Cloutier, Jean-Philippe Morin et Nelly Savova. Marionnettes: Nelly Savova. Costumes: Sabine Voisard. Musique: Pierre Labbé. Éclairages: Guy Simard. Avec Claire Voisard. Au Studio-théâtre de L’Illusion jusqu’au 17 décembre 2017.