Critiques

Temporel : Les dédales du temps

Jean-François Gratton

Le tout dernier spectacle du duo formé par Victor Pilon et Michel Lemieux, qui se sont associés à des artistes des 7 doigts, prouve encore une fois que les arts du cirque et le multimédia savent former une union des plus fructueuses. La question que laisse néanmoins planer Temporel est celle-ci: la nostalgie et l’humour clownesque peuvent-ils former un mariage aussi heureux

Lemieux et Pilon n’en sont pas à leur première plongée en eaux circassiennes. Pensons aux productions du Cirque du Soleil Délirium, Soleil de minuit et Toruk. Toutefois, ici, on sent le propos plus intime, la proposition plus personnelle. Un homme et une femme (Patrick Léonard et Isabelle Chassé, aussi co-metteurs en scène du spectacle avec Lemieux et Pilon) revivent, sous l’œil d’un mystérieux grand horloger et maître du temps (Gisle Henriet), plusieurs étapes de leur existence grâce à des projections holographiques. Le thème, soit l’inexorable marche du temps, se prête à une iconographie rétro, nourrie d’engrenages, de livres, d’albums photo et de vieux jouets.

Jean-François Gratton

Le spectateur sentira à plusieurs reprises que l’on souhaite l’émouvoir. Il s’avérera pourtant difficile de se laisser aller à quelque trouble de l’âme entre les numéros burlesques qui ponctuent la représentation. Comment, par exemple, céder à la mélancolie qu’engendrerait théoriquement la chanson de Léo Ferré Avec le temps, qui vient à la toute fin coiffer ce défilé d’épisodes de la vie humaine (enfance, débuts amoureux, vieillesse, etc.), alors que le numéro précédant, d’interminables acrobaties autour d’une échelle qui oscille sur ses pattes, accorde la bouffonnerie à une musique vaguement effrayante? Résulte de cette cacophonie émotionnelle un spectacle qui semble se chercher un ton.

Bien sûr, Temporel n’en est encore que tout au début de son parcours et il y a fort à parier que le temps ne sera pas que le thème de ce spectacle, mais qu’il sera aussi son allié. Au cours des représentations, des tournées, il y aura sans aucun doute rodage, réglage et peaufinage. Peut-être alors que l’alliance entre l’humour et la nostalgie gagnera en subtilité et en finesse. Cela permettrait d’apprécier à leur juste valeur la joliesse de certains tableaux proposés (un cerceau ovale faisant à la fois office d’appareil acrobatique et de miroir éclatant en mille morceaux virtuels, une danse partagée par des personnages réels et holographiques, etc.) ainsi que l’habileté avec laquelle les mouvements s’intègrent à la narration.

Jean-François Gratton

Car les tableaux s’enchaînent harmonieusement sans céder au rythme saccadé des numéros qui caractérise souvent les spectacles de cirque. En outre, plutôt que de vouloir en mettre plein la vue à l’auditoire par des prouesses physiques époustouflantes, culbutes, roulades et contorsions sont ici utilisées comme un langage chorégraphique permettant d’exprimer le ressenti des personnages face au passage du temps. D’ailleurs comme les jours et les années qui filent sans que l’on ne sache où ils sont allés, les artistes disparaissent souvent de la scène, qui par la fente du divan, qui par une trappe aménagée à même le plancher en pente. D’autres tours de passe-passe ajoutent aussi au charme du spectacle, comme lorsque le personnage de Patrick Léonard alterne entre deux âges dans une même chorégraphie, enlevant et remettant adroitement son masque – qui, soit dit en passant, gagnerait à être moins caricatural – à l’abri de l’œil du public.

Souhaitons donc à ce spectacle qu’il gagne, justement, en magie, celle-ci étant pour l’instant, hélas, contrecarrée par les multiples ruptures de ton qui empêchent le spectateur de savourer pleinement l’onirisme et de se laisser emporter par sa beauté mélancolique.

Temporel

Conception et mise en scène: Michel Lemieux, Victor Pilon, Patrick Léonard et Isabelle Chassé. Conception visuelle: Michel Lemieux et Victor Pilon. Musique: Julien Mineau. Chorégraphies acrobatiques: Shana Carroll. Scénographie, costumes et accessoires: Anne Séguin-Poirier. Éclairages: Francis Hamel. Avec Patrick Léonard, Isabelle Chassé et Gisle Henriet. Une coproduction de la Place des Arts et de Lemieux Pilon 4D Art, en collaboration avec les 7 Doigts. À la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 27 janvier 2018.