Critiques

Là où le sang se mêle : Retour aux sources

Guillaume Sabourin

Après Muliats, un texte collectif mis en scène par Xavier Huard en 2016, un spectacle qui sera présenté en tournée à travers le Québec jusqu’au printemps, les Productions Menuentakuan sont de retour avec Là où le sang se mêle, une pièce de Kevin Loring, Nlaka’pamux de la Première Nation Lytton en Colombie-Britannique, traduite et mise en scène par Charles Bender (qui a joué en 2009 dans la production anglophone, celle du Teesri Duniya Theatre). Avec Marco Collin, Émilie Monnet, Natasha Kanapé Fontaine et d’autres, Bender participe sans nul doute en ce moment à un captivant renouveau du théâtre autochtone au Québec.

Guillaume Sabourin

Alors que Muliats s’intéressait au destin d’un Innu de Mashteuiatsh, Shaniss, qui décidait de quitter sa réserve pour s’installer à Montréal, l’action de Là où le sang se mêle concerne plutôt le retour de Christine, élevée en ville et curieuse de ses origines, sur les terres qui l’ont vu naître. Entre la jeune femme et son père, à qui elle a été arrachée par les services sociaux après le suicide de sa mère, les retrouvailles, charriant nombre de souvenirs douloureux, ne seront pas de tout repos.

L’action se déroule sous le regard bienveillant d’une aînée en costume traditionnel, sur une scène en rond, dans une arène encerclée de spectateurs. Une grande table sur roulettes suffit à évoquer un bar, un quai, un lit ou un portail. Au-dessus du plateau, savamment éclairé, sont suspendus une multitude de tuyaux de cuivre du plus bel effet. Des esprits qui veillent sur les vivants? Des destins prêts à s’entrechoquer violemment? Des bouées de sauvetage offertes à qui peut les voir? Probablement tout cela à la fois.

Guillaume Sabourin

La plus grande partie du texte est consacrée à la relation entre Floyd (Marco Collin) et Quêteux (Mohsen El Gharbi), des amis d’enfance qui noient jour après jour leurs souffrances dans la bière. Alors que le premier tente de survivre à l’absence de sa femme et de sa fille, le second cherche à engourdir la douleur qu’ont laissée en lui des années de pensionnat. Autour d’eux, June (Tania Kontoyanni), la compagne colérique de Quêteux, et le barman (Xavier Huard), seul non-Autochtone de la pièce. Le soir de la première, il y avait ici et là quelques problèmes de diction, mais rien d’insurmontable.

Vivant de petites illusions et de franche camaraderie, les personnages sont fort attachants, mais on s’explique mal que le dramaturge prenne autant de temps à exposer leur relation, risquant de susciter la lassitude chez le spectateur, alors que l’essentiel, le drame, voire la tragédie, se joue ailleurs. Le moment où tout bascule, celui où Christine (Soleil Launière) surgit à l’improviste alors que son père et son meilleur ami se battent violemment, se produit trop tard. Les scènes qui suivent, celles des aveux et de la réconciliation, sont aussi cruciales qu’émouvantes, mais un brin expéditives, nous laissant sur notre faim.

Là où le sang se mêle

Texte: Kevin Loring. Traduction et mise en scène: Charles Bender. Conseillère à la dramaturgie: Liz Valdez. Scénographie, accessoires et costumes: Xavier Mary. Éclairages: Geoff Levine. Musique: Musique nomade. Avec Marco Collin, Mohsen El Gharbi, Xavier Huard, Tania Kontoyanni et Soleil Launière. Un spectacle des Productions Menuentakuan, en collaboration avec le Teesri Duniya Theatre. À la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 3 février 2018.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.